Sénégal : Macky Sall prêt à tout pour reprendre la main 

Sorti affaibli du raid judiciaire contre son principal opposant Ousmane Sonko, le président Macky Sall fait feu de tout bois pour rebondir politiquement, avec en arrière-pensée de cette stratégie un troisième mandat en 2024 

C’est une stratégie à plusieurs tiroirs que met en œuvre par petites touches le président sénégalais Macky Sall que l’on pensait définitivement « grillé » après l’opération judiciaire lancée contre l’opposant Ousmane Sonko poursuivi « un viol » qu’il aurait commis dans un salon de massage de Dakar. Surpris par le soulèvement populaire provoqué les poursuites contre le chef du parti des Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF), le président Sall avait réussi à éviter l’embrasement de son pays, en faisant preuve de grande humilité dans un message adressée à la nation le 8 mars dernier. Il avait agi sur l’exhortation des guides religieux qui ont intercédé également auprès des opposants notamment la coalition créée par les partis politiques et la société civile sous la dénomination de Mouvement de défense de la démocratie (M2D). 

Course de fond 

Macky Sall n’a pas attendu que tout se tasse pour concevoir un plan associant plusieurs actions. Parce qu’il a vu les jeunes, pas forcément de la tendance politique de Sonko, en première ligne dans les manifestations de mars, le président sénégalais cherche à tout prix à séduire la jeunesse de son pays. Pas moins de 450 milliards de FCFA (environ 675 millions d’euros) seront mobilisés entre 2021 et 2023 pour donner du travail à la jeunesse. Cet effort inédit dans l’histoire du pays en direction de la jeunesse comprend le recrutement direct de 65000 jeunes dans les emplois publics, l’aide à la création d’entreprises, la formation, etc. Conscient des enjeux économiques et sociaux que représente l’immigration, le président a négocié avec le président du gouvernement espagnol Pédro Sanchez de passage à Dakar un accord d’émigration de travail temporaire. En vertu du mémorandum sur « l’émigration circulaire » signé le 10 avril à Dakar par MM. Sall et Sanchez, des centaines de jeunes Sénégalais iront travailler temporairement chaque année en Espagne avant de revenir au pays à la fin de leur contrat. Ces mesures tous azimuts en faveur de la jeunesse sont complétées par des gestions d’apaisement en direction de la classe politique. Outre la remise en liberté provisoire le 24 mars de Guy Marius Sagna, Cléodor Sène et Assane Diouf, trois figures emblématiques des dernières manifestations, le pouvoir a annoncé la création d’une commission indépendante qui fera toute la lumière sur les troubles qui ont suivi l’arrestation de Sonko. 

« La Commission travaillera en toute indépendance. Et si des fautes ont été commises par les forces de l’ordre, elles seront sanctionnées », s’est engagé le ministre sénégalais des forces armées Sidiki Kaba. « La justice rendra,  a-t-il ajouté en faisant allusion aux poursuites pour viol contre Sonko,   sa décision en toute indépendance. »

Le troisième mandat en ligne de mire 

Le président sénégalais entend tirer les meilleurs dividendes le moment venu de ses gestes d’attention en direction de la jeunesse de son pays. Il espère que d’ici à 2024 la jeunesse sénégalaise aura récolté les fruits des investissements publics d’aujourd’hui. Elle lui sera alors redevable et, partant, beaucoup moins hostile que maintenant. Ce « retournement » espéré de la jeunesse vient compléter la stratégie de débauchage en échange des postes des figures de l’opposition. Le stratagème a marché avec Idriss Seck arrivé deuxième lors de la présidentielle de 2019 et qui vient de rallier Macky Sall en échange du poste du président du Conseil économique et social.  

Résultat, même au plus fort de la tourmente de mars denier Macky Sall a refusé de répondre aux sommations de ceux qui, comme Ousmane Sonko, le pressaient de lever toute ambiguïté sur intention de se présenter ou non à un troisième mandat en 2024. Et souvent en Afrique, s’agissant du troisième mandat, ne pas dire « non » publiquement équivaut à un « oui ». C’est ainsi que ça s’est passé en Côte d’Ivoire et en Guinée, deux pays d’Afrique de l’Ouest. 

Macky Sall réussira-t-il à faire comme ses homologues ivoirien Alassane Ouattara et guinéen Alpha Condé ?