Sénégal: le débat s’engage sur la répression des migrants clandestins

Dans une interview qu’il a accordée à RFI, ce mardi 27 août, le sociologue sénégalais Aly Tandian critique les patrouilles policières sur le littoral instaurées par son pays pour enrayer les départs de migrants clandestins vers l’Europe. Parce que, dit-il, « quand les gens pensent que partir est une forme de suicide, c’est parce qu’ils ignorent les conditions de vie dans lesquelles les populations vivent dans leur territoire d’origine ».

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè

Le week-end dernier, l’armée sénégalaise a fourni un premier bilan de l’opération « Djoko » destinée à lutter contre l’émigration clandestine. Depuis le 15 août des forces de l’ordre patrouillent en effet sur le littoral pour enrayer la vague de départs de migrants clandestins vers l’Europe, à partir des côtes sénégalaises. Au total, 453 personnes, majoritairement sénégalaises, ont été interpellées durant cette opération, ainsi que des membres de divers réseaux de passeurs.

Depuis le début de l’année, près de 27.640 migrants ont atteint les côtes des îles Canaries en provenance du Sénégal. La traversée s’est faite à bord de 822 embarcations. Ces chiffres sont terribles. Ils interpellent surtout parce qu’ils ont augmenté de plus de 12 % sur la même période par rapport à l’année précédente. Mais pour le sociologue sénégalais Aly Tandian, la réponse sécuritaire à ce phénomène est la pire des solutions.

Partir, ce n’est pas choisir le suicide

Car toutes les recherches sur le sujet, dit-il « n’ont cessé de montrer les limites de la sécurisation en matière de réponse sur les questions de migration irrégulière ». Aly Tandian s’étonne donc que le nouveau régime ait choisi cette option. « Ce que d’autres n’ont pu faire en termes de sécurisation des frontières, je ne vois pas comment l’État du Sénégal pourrait le faire », assure-t-il.  Et pour cause : « quand les gens pensent que partir est une forme de suicide, c’est parce qu’ils ignorent les conditions de vie dans lesquelles les populations vivent dans leur territoire d’origine. Ces jeunes qui partent, ils veulent être au cœur de la mondialisation, ils ne veulent pas continuer à en être de simples victimes », explique-t-il.

Les jeunes Africains ont besoin de se sauver

Et puisque les attentes sont si fortes, une économie de l’immigration clandestine qui part des banlieues aux marchés en passant par les universités s’est organisée. L’objectif est de faciliter le départ des jeunes. A charge pour ces derniers de mobiliser des bourses avec la contribution des parents, de vendre le peu qu’ils possèdent pour partir. Car il faut parfois compter entre 8.000 et 10. 000 dollars pour une traversée, voyage et passeurs compris. « Parce que ces jeunes ont « besoin de « se sauver », parce qu’en face ils n’ont rien d’autre que du noir et l’absence de perspectives », insiste Aly Tandian.

Il faut des solutions à l’échelle régionale

Ces jeunes africains qui partent en Europe ne cherchent pas à être des éboueurs ou des personnels d’Epahd. Ils veulent plutôt profiter des possibilités qu’offrent ces pays pour devenir des acteurs des technologies de l’information et de la communication. Tous rêvent de devenir des acteurs du développement du monde. C’est pourquoi, pour les retenir, le sociologue Aly Tandian ne voit pas de réponse viable à part celle qui consoliderait une approche régionale.

« La grande difficulté que nous avons aujourd’hui, c’est que nous avons un éclatement des réponses, alors qu’on a plutôt besoin d’une mobilisation d’acteurs divers, d’une mobilisation des États pour trouver une réponse régionale, et non pas une réponse pays par pays ». Or face à ce drame humain, la réponse des nouvelles autorités sénégalaises n’a été jusqu’à ce jour que « le grand silence », s’inquiète Aly Tandian.

« Ce qu’on a pu remarquer, c’était le grand silence. À ce jour, sans me tromper, il y a eu deux, trois petites sorties. Une première sortie par le président de la République lorsqu’il a reçu le Président du Conseil européen Charles Michel qui était là. Et la deuxième sortie qui a été constatée, c’est le Premier ministre lorsqu’il s’est rendu à Saint-Louis suite à un nouveau drame migratoire.

Ce silence inquiète! Entre-temps, beaucoup perdent leur vie en tentant l’échappée belle.

 

Pour parler des questions de l’immigration clandestine, le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez débute dès ce lundi une tournée africaine, avec le Sénégal pour étape.

 Le 1er ministre espagnol à Dakar pour parler d’immigration clandestine