Sénégal : Diomaye Faye dans le viseur de l’Union européenne

Le nouveau président est pris entre la colère froide des chalutiers internationaux qui se livraient à des activités de pêche dans les eaux du pays sous faux drapeau sénégalais et l’avertissement de l’Union européenne qui ne veut pas renégocier les accords de 2014 qui lui garantissent des ressources halieutiques à peu de frais.

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè

Changer ou ne pas changer, telle est désormais la question pour Bassirou Diomaye Faye qui avait promis, durant sa campagne électorale victorieuse, de renégocier les accords de pêche entre l’Union européenne et son pays afin de soulager 600 mille sénégalais qui vivent directement ou indirectement de la pêche artisanale. Mais il peut aussi choisir de succomber aux 3 millions d’euros que son partenaire occidental lui apporte chaque année comme contrepartie financière, vu que les caisses de l’Etat ne sont pas pleines et que le gouvernement a dû attendre l’émission d’eurobonds pour engranger récemment quelque 750 millions de dollars.

La pêche n’est au demeurant pas une activité banale au Sénégal puisque près de 20% de la population active est concernée et que le poisson constitue une denrée alimentaire vitale pour les populations. Depuis son arrivée au pouvoir, Bassirou Diomaye Faye a sensiblement fait baisser le coût du poisson sur les marchés locaux afin de lutter contre la cherté de la vie. Mais il a également mis un terme aux activités de chalutiers étrangers qui menaient des activités de pêche sous faux drapeau sénégalais. Le nouveau ministre de la pêche a en effet dressé une liste de 151 navires industriels qui sont désormais les seuls autorisés à pêcher dans les eaux nationales.

 

La guerre du poisson

La diminution des stocks de poissons et l’augmentation du coût de la vie qui font qu’il est difficile de joindre les deux bouts dans le pays, selon des habitants interrogés par des médias, est une conséquence de la surpêche pratiquée par les chalutiers internationaux qui disposent d’infrastructures extrêmement efficaces. Ceux-ci exportent par la suite le poisson sénégalais vers des marchés occidentaux pendant que les petits bateaux qui desservent le marché intérieur ne sont pas compétitifs.

L’activité est également victime de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (dite pêche INN) qui représente au moins 15 % de la pêche mondiale. Cette pratique constitue l’une des principales menaces pour les écosystèmes marins et l’économie bleue. Estimant que les dernières décisions du gouvernement sénégalais les mettent en péril, l’Union européenne a adressé le 27 mai un « carton jaune » au Sénégal pour le mettre en garde contre des pratiques de pêche jugées « illicites », à cinq mois de la fin de l’accord de pêche qui expire en novembre 2024.

L’Union européenne considère que la récente désignation de 151 navires comme les seuls à pratiquer la pêche dans les eaux sénégalaises est la preuve que le Sénégal est devenu un « pays non coopératif » dans la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée – la pêche dite INN. Qu’elle aurait fait ce constat à la suite de « plusieurs années de lacunes et d’un manque de coopération ». « Ceci est un avertissement, le temps d’entamer un dialogue et de laisser la possibilité aux nouvelles autorités de proposer des solutions », a indiqué l’UE qui menace de devoir interdire l’exportation de produits de la mer venant du Sénégal vers le territoire européen. Selon Fatou Niang, la vice-présidente du Groupement des armateurs et industriels de la pêche au Sénégal (GAIPES), l’avertissement de l’UE « vient corroborer nos doutes sur les nouvelles immatriculations des bateaux qui avaient un passé de pêche INN et qui débarquent sur nos côtes », assure-t-elle.

 

Un accord léonin

L’Union européenne menace également de mettre fin à sa contrepartie financière de quelque 3 millions d’euros. En revanche, elle se couperait d’une grande variété de ressources halieutiques. L’accord de pêche entre le Sénégal et l’Union européenne existe depuis 1979. Il a été renouvelé régulièrement jusqu’en 2014 et transformé par la suite en un accord thonier de cinq ans tacitement reconductibles. Depuis 2020, le nouveau protocole d’accord permet à l’Union européenne de pêcher jusqu’à 28 thoniers congélateurs, 10 bateaux utilisant des cannes à pêches et 5 différents types de filet utilisés en Espagne, au Portugal et en France, représentant un tonnage de référence de 10.000 tonnes de thon par an et 1700 tonnes de merlus noirs au bénéfice de deux navires espagnols.

Le nouveau gouvernement sénégalais se trouve désormais au pied du mur pour concrétiser ses promesses électorales. Son duo d’Exécutif porté par des millions de jeunes majoritairement frappés par le chômage et la désespérance attendent la concrétisation du changement et de la rupture promis par le président et son premier ministre. Le chantier de la pêche est, à cet égard, d’une grande importance.