À l’approche imminente de la fin du deuxième et dernier mandat de Joseph Kabila en République démocratique du Congo (RDC) et de la passation du pouvoir en décembre 2016 au nouveau président élu, les prétendants à la succession fourbissent leurs armes et se bousculent au portillon en vue d’une bataille politique attendue avec impatience, théoriquement le 27 novembre 2016. C’est en prévision de cette bataille politique que l’ancien gouverneur de la riche province du Katanga, Moïse Katumbi a annoncé officiellement le mercredi 4 mai 2016, soit six mois plus tôt que prévu, sa candidature à l’élection présidentielle en RDC.
Le porte-parole du gouvernement congolais qui opine que « le créateur ne peut pas avoir peur de la créature… Joseph Kabila ne peut avoir peur de Katumbi qu’il a fabriqué de ses mains et à qui il a donné tous les moyens pour qu’il rayonne aujourd’hui », a estimé que cette annonce était prématurée, dans la mesure où les règles de jeu ne seraient pas encore fixées par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) qui ne dispose pas jusqu’à présent d’un fichier électoral fiable, ni même un calendrier aussi prévisible que possible.
Troisième mandat pour Kabila ?
Aucun observateur sérieux de la politique congolaise ne peut s’avancer sur une telle affirmation. Ce qui est sûr et certain est que la classe politique congolaise, toute tendance confondue, mais également la communauté internationale qui apporte son soutien financier, sont toutes conscientes que même avec toutes les bonnes volontés du monde, il est techniquement et matériellement improbable d’organiser des bonnes élections présidentielles justes, transparentes et apaisées dans le temps qu’il nous reste.
En plus du temps matériel qui ferait défaut pour organiser les élections dans le délai prévu, il y a ce que j’appelle « un vrai faux problème du futur politique de Joseph Kabila » qui, depuis plus d’année, anime le débat politique en RDC. Comme si la Constitution était muette à ce sujet, il est difficile de mettre fin au débat sur la candidature de Joseph Kabila et à l’inquiétude que cela suscite auprès de l’opinion publique congolaise qui se demande si le président sortant allait se représenter pour un troisième mandat, en violation de la Constitution; lui qui totalise déjà 15 ans d’exercice du pouvoir.
En effet, même si l’intéressé ne s’est jamais prononcé ouvertement à ce sujet, il y a des signes qui ne trompent pas. Tous ceux, y compris dans sa famille politique, qui s’opposent publiquement à son éventuel troisième mandat savent pertinemment bien ce qui les attend. L’exemple le plus patent est celui de responsables des sept partis politiques de la majorité présidentielle, dénommé « G7 », signataires de la lettre adressée au président Kabila en septembre 2015. Ils ont tous été révoqués des différentes fonctions qu’ils occupaient au sein du gouvernement, dans les entreprises publiques et au sein du Parlement. Ce qui, bien évidemment, conforte les pressentiments de ceux qui soupçonnent le président Kabila de vouloir s’accrocher absolument au pouvoir au-delà du délai constitutionnel. Son mutisme à ce sujet nourrit à la fois la crainte, la méfiance et l’intransigeance de la classe politique, et débouche finalement sur une crise politique qui ne dit pas son nom, mais qui rend impossible l’organisation apaisée de prochaines élections présidentielles et législatives.
Pour clarifier une fois pour toute cette situation et trouver un compromis nécessaire aux préoccupations majeures, des uns et des autres, qui minent le processus électoral, la communauté internationale et une frange majoritaire de la classe politique congolaise ont appelé vivement au dialogue politique pour baliser le processus électoral et tenir le scrutin présidentiel crédible. Mais force est de constater que depuis sa désignation, bientôt deux mois passés, comme médiateur international par l’Union africaine, avec le soutien des Nations unies et de l’Organisation internationale de la Francophonie, pour lancer le processus de dialogue politique, le Togolais Edem Kodjo ne parvient pas à nager dans le marigot congolais plein des caïmans. M. Kodjo peine à constituer le bureau du comité préparatoire de ce forum, alors que les jours qui restent avant les élections se comptent sur le bout des doigts.
Avec un tel retard, on se demande si le diplomate togolais va-t-il réellement tenir sa parole? Lui qui, dans une de ses déclarations, s’était engagé à respecter la Constitution de la RDC ainsi que les délais fixés pour l’élection présidentielle. Tout compte fait, aucun observateur averti ne pouvait s’en douter de l’issue catastrophique d’une telle manœuvre suspicieuse à la veille des échéances électorales importantes. Comme qui dirait « la diplomatie est la dentelle de l’hypocrisie ».
Katumbi redouté
Le bilan de 15 ans au pouvoir de Joseph Kabila est loin d’être reluisant quand il s’agit de l’amélioration du vécu quotidien de la grande majorité de la population congolaise. Les différents gouvernements constitués n’ont certainement pas contribué à améliorer la situation du Congolais lambda. Il ne fait donc aucun doute que le candidat de la majorité présidentielle ait du mal à présenter des réalisations concrètes issues des promesses faites et des attentes légitimes du peuple congolais, tant sur le plan sécuritaire, économique et social.
De plus, les prétendants à la magistrature suprême ont finalement compris que pour maximiser leur chance, advenant la candidature du président sortant, en violation de la Constitution, la seule chance pour l’opposition politique, dans une élection à tour unique, est celui de fédérer leurs forces autour de l’un d’entre eux qui réunit suffisamment d’atouts pour battre Joseph Kabila. En effet, une campagne présidentielle n’est pas qu’un bon programme, c’est un ballet complexe mettant en jeu simultanément plusieurs facteurs, dont les moyens financiers, matériels et humains. De plus, une bonne équipe de campagne est le premier élément essentiel sur lequel peut reposer une victoire.
À cet effet, Moïse Katumbi présente un avantage comparatif du fait qu’il dispose des moyens matériels et financiers nécessaires pour mener une campagne électorale sur l’ensemble du territoire congolais, grand comme un continent, sans infrastructures de transport. À titre d’exemple malheureux, aux élections de 2006 et 2011, la plupart des candidats ont fait campagne seulement à Kinshasa et dans leurs provinces respectives, faute de moyen de transport pour couvrir l’ensemble du territoire national.
Un autre fait est la popularité de M. Katumbi qui faisait certainement peur à Joseph Kabila même pendant qu’il était gouverneur de la province du Katanga. Le capital de sympathie dont jouit Moïse Katumbi auprès de la population congolaise et particulièrement de la jeunesse congolaise n’est pas dû à sa fortune, mais bien à son engagement sportif. En effet, on a beau dire que le sport n’a rien à voir avec la politique, il reste que le sport n’est pas qu’un jeu, c’est un enjeu. Patron d’un grand club de football africain qui fait la fierté du Congo, Moïse Katumbi peut bien se servir encore des exploits sportifs de son équipe de football comme étalon de success-story pour courtiser l’électorat jeune, un groupe d’électeurs le plus nombreux en RDC. Ceux qui pensent que sport et politique ne se mélangent pas font de l’aveuglement volontaire.
Enfin, la RDC n’étant pas n’importe quel pays d’Afrique, plusieurs groupes d’intérêts financiers ont un regard intéressé sur ce qui se passe dans ce pays. Ces groupes d’intérêts ont des relais dans les arcanes du pouvoir politique de leurs pays. Ceci dit, il est toujours nécessaire de savoir lire et comprendre tous les faits et gestes des partenaires internationaux et des puissants de ce monde en ce qui concerne les enjeux électoraux en RDC. Moïse Katumbi réussit bien au niveau intérieur à rassembler autour de lui plusieurs partis et regroupements politiques qui soutiennent sa candidature et constituent une force politique dans l’éventualité d’une candidature de Joseph Kabila. Sur le plan extérieur également, en lisant les médias internationaux qui sont souvent les portes voix de leur gouvernement, c’est une candidature qui attire l’attention. Mais M. Katumbi devrait approcher également des gens comme Noel Tshiani Muadiamvita et Freddy Matungulu qui connaissent bien les arcanes des institutions de Bretton Woods, pour l’aider à fignoler son programme économique afin de sortir ce pays, doté d’immenses richesses, de la pauvreté.