Député en République Démocratique du Congo (RDC) et membre du PPRD, le parti de l’actuel président de la République, Joseph Kabila, Francis Kalombo a quitté le Congo après avoir critiqué les décisions prises par son propre camp, telle que la modification de la loi électorale. Depuis, celui que les congolais appelait « monsieur Solution », du temps où il était allié avec le pouvoir actuel, s’est exilé à Paris où Mondafrique s’est entretenu avec lui.
Pour les prochaines élections présidentielles qui auront lieu avant la fin de 2016, det opposant courageux soutient Moise Katumbi, ancien gouverneur du Katanga, qui mobilise désormais la nouvelle coalition de l’opposition- « L’Alternance pour la République ».
Mondafrique. Pourquoi se désolidariser de Joseph Kabila ?
Francis Kalombo :La RDC traverse aujourd’hui une période capitale, où la loi de la force prime sur la force de la loi. La majorité présidentielle commence à faire ce que nous avons toujours condamné : à rechercher le pouvoir des hommes providences, des hommes forts, au lieu de travailler au bon fonctionnement des institutions et des lois de la république.
Nous avons choisi comme mode de gestion la démocratie et le PPRD qui est un parti du peuple a privilégié jusqu’ici l’intérêt général de la population, avant tout autre chose. Aujourd’hui, je dénonce et me lève contre la révision de la constitution.
Le pouvoir a demandé en janvier le vote d’une loi qui obligeait le recensement de toute la population avant la tenue des élections prévues en septembre. On a vite compris que c’était une manière de retarder les choses et la situation actuelle nous donne raison. J’ai déposé un amendement sur cette loi qui a été rejeté par la majorité. J’ai à ce moment-ci soutenu l’opposition qui demandait que l’on élague cette disposition. J’ai, par la suite, boycotté la séance au niveau de l’assemblée nationale et je suis intervenu dans les médias pour dire que j’étais contre. C’est contre cette loi que la population est sortie dans la rue en janvier, il y a eu des blessés, des morts.
Ils veulent aujourd’hui mettre de côté ce que nous avions convenu à Sun City après des années de guerres, des millions de morts. J’ai participé à toutes ces rencontres dans le but de ramener la paix en RDC. Il ne faut pas oublier que le Congo n’existait plus dans sa configuration actuelle. Quand vous lisez les Accords de Lusaka, le plan de la répartition de la RDC était déjà engagé, dieu merci on a pu sauver cela, grâce à cet accord global et inclusif, qui a donné naissance à l’actuelle constitution, que nous sommes appelés à protéger.
Les gens ne doivent pas oublier que Mzee Laurent-Désiré Kabila, le père de l’actuel président, est venu à pied à Kinshasa pour chasser la dictature de Mobutu. Autour de Joseph Kabila aujourd’hui, vous verrez que la majorité de ses conseillers, quand ils ne sont âs des mobutistes, ont pris les armes contre le peuple.
Mondafrique. Quels arguments le pouvoir avance-t-il pour défendre la modification de la constitution?
F.K. Le chef de l’Etat crée une zone d’incertitude pour être la solution de recours, alors que nous pensons qu’il n’y a pas de crise en RDC, même s’il est vrai qu’il reste des poches de résistance. Il n’y aura des troubles que s’il n’y a pas élections et si Joseph Kabila veut se maintenir au pouvoir par la force. La constitution est claire : le président de la République ne peut pas faire trois mandats. À partir du 19 décembre, le mandat du président de la république prend fin, il sera dans l’incapacité définitive d’engager le Congo.
Mondafrique. Que pensez-vous du bilan de Joseph Kabila en tant que Président de la RDC ?
F.K. Je peux vanter le bilan de Joseph Kabila, mais ce qui en ternit l’image, c’est la fin. Parce que Kabila n’a pas trouvé le Congo tel qu’il est aujourd’hui. Au départ, il a fait profil bas, tout le monde lui a fait confiance, il a participé à la réunification du Congo et aux premières élections que nous avons connu.
Mais de 2011 à aujourd’hui j’ai l’impression que le Congo n’est pas géré. Aujourd’hui au Congo la crise est terrible, tout le monde réclame des élections. On nous dit qu’il n’y a pas d’argent pour les élections, alors que chaque année nous votons un budget dans lequel 200 millions sont prévus à cette fin. Par ailleurs, on peut constater comment l’argent est dépensé. On a fait un découpage du pays avec des nouvelles provinces qui n’ont même pas de siège, même pas de bureaux. Les gouverneurs n’ont même pas de maisons où loger. Ils sont encore tous à Kinshasa, ils ne savent pas dans quel bâtiment ils vont travailler. Il n’y a pas de bâtiment, pas d’infrastructures, il y a des provinces où il n’y a même pas une route !
Mondafrique. Les retards d’infrastructures sont ils prioritaires?
F.K. C’est vrai, il y a des problèmes d’eau, d’électricité, etc.. Mais le pire désormais, ce sont ces chars de combat qui débarquent dans des provinces où l’on en a même pas besoin. Il y a des intimidations, des arrestations arbitraires, des jeunes sont arrêtés pratiquement tous les jours et nous voyons des chaines de télé fermées, des journalistes arrêtés, des journalistes à qui on a donné l’ordre de ne pas prononcer le nom de Moise Katumbi. Est-ce comme ça que l’on doit gérer un pays ? On est en train de créer une bombe à retardement.
Mondafrique. Avez-vous rejoint l’opposition ?
F.K. Je vois mes frères de l’opposition, je salue le travail qu’ils sont en train de faire. Puisque dans une démocratie, on a besoin d’une opposition. Si l’opposition ne fait pas contre-poids, qu’est-ce que nous allons devenir? Je suis un des membres fondateurs du PPRD, je suis président de la ligue des jeunes du PPRD, donc je suis membre du comité exécutif du PPRD. Mais j’ai vu Martine Aubry dénoncer la politique du gouvernement, je suis libre de pouvoir le faire moi aussi. Je suis un homme politique libre, et je dis ce que je crois être bon pour ma patrie. La population ne demande qu’une seule chose, qu’il y ait des élections dans les délais prévus par la constitution.
F.K. Aujourd’hui je ne dirais pas que Moise Katumbi est favori de l’opposition. Si vous me posez la question à moi, je dirais que Moise Katumbi est le favori de tous les congolais puisqu’il a beaucoup plus de soutien dans la majorité que dans l’opposition et je mets quiconque à défi de dire le contraire.
D’ailleurs le pouvoir délaisse le Congo en mobilisant toute son énergie à diminuer cet individu. Toute la stratégie est focalisée contre cette seule personne, parce qu’il pense que cette personne a des ambitions, il tue la nation pour ça. Aujourd’hui quand vous discutez avec certains journalistes, ils vous disent qu’ils regrettent qu’on leur interdise de prononcer le nom de Moise à la télévision. Il n’est pas seulement l’homme de l’opposition mais aussi l’homme de la majorité.
Mondafrique. Pourquoi a-t-il autant de sympathie de part et d’autres ?
F.K. Les congolais ont vu comment Moise Katumbi a transformé le Katanga. Aujourd’hui le pouvoir central doit plus de deux milliards de dollars à cette province. Sans compter les infrastructures qu’il a mis en place et tout ce qu’il a fait pour la province. Son travail est salué par le peuple et le peuple pense qu’un homme comme ça peut aider le Congo à se développer puisqu’on l’a vu à l’oeuvre. Il n’est pas sorti de nulle part. Il est l’unique gouverneur a avoir bien géré ce qui lui a été confié par le peuple et tout le monde lui tire son chapeau.
Mondafrique. Un rapport d’Amnesty International rendu en 2013 pour la période 2011-2012, déplore la situation au Katanga, la violation de droits humains en zones minières. On constate des expulsions de locaux au profit des multinationales qui sont à 80% chinoises, ainsi qu’une pollution des eaux remarquables et une destruction de la faune et de la flore. Cette enquête a été menée alors que Moise Katumbi était encore gouverneur de cette province. Le développement de la région ne s’est-il pas fait au détriment de la population ?
F.K. Les carrés miniers ne sont pas attribués à la province, tout le circuit d’attribution et de la gestion des mines appartient à Kinshasa. C’est le pouvoir central qui donne les carrés miniers, et les miniers sont sous son ordre. Donc la province n’a pas de pouvoir dans l’attribution. Moise Katumbi a fait ce qui relevait de ses compétences et je vous le dis pour parer à beaucoup de chose. Il a visité les usines et les mines dans lesquelles il a imposé une tenue, puisque des hommes travaillaient dans des produits chimiques en babouches : il a interdit cela. Il a imposé à chaque entreprise d’avoir des bus de transports :des travailleurs se rendaient aux mines dans des conditions très difficiles.
Moise Katumbi a interdit de sortir du territoire le minerai brut pour être traité en Zambie. Désormais le minerai est raffiné au Congo : il a fait appliquer la loi. Ce qui a augmenté le pouvoir d’achat. Un autre exemple, le prix du maïs que Moise a trouvé à 9000, il est à 45 dollars aujourd’hui. Il a demandé aux miniers de posséder des hectares de terres afin de faire de l’agriculture. Pendant qu’il était gouverneur, voilà le travail qu’il a accompli. Il a un bilan positif. Au contraire il a été là pour soulager la souffrance de la population. Il a aussi fait en sorte que les entreprises respectent les lois de la république.
Mondafrique. Qu’attendez-vous aujourd’hui de la France ?
F.K. Nous attendons que la communauté internationale fasse pression. C’est le moment d’agir et non d’agir comme le fait l’Union Africaine qui envoie un facilitateur qui ne met pas d’accord toutes les parties. Personne ne fait confiance à l’Union Africaine. Il faut fixer les limites, trouver un médiateur qui réunira toutes les parties : majorité, opposition et société civile.
Il y a encore plus de 15000 casques bleus en ce moment en RDC. Grâce à la communauté internationale nous avons la paix. Puisque nous n’avions pas d’armée, celle des Nations Unies est venue porter main forte à la RDC et ils ont financé les premières élections de 2006. Avec tous ces plans ne pas faire l’alternance aujourd’hui serait saboter tout ce que nous avons construit. Ils ne peuvent pas sacrifier tous ça.
Mondafrique. Quelles sont vos actions pour que les élections soient effectives ?F.K. L’opposition s’organise en favorisant les moyens pacifiques. Ils n’ont que ça. Il faut utiliser la marche qui est une expression de la démocratie pour sensibiliser la population. C’est vrai que de l’autre côté, le pouvoir a des canons à eau, des armes, des chars de combat pour marcher sur la population. Par ailleurs, le Congo ne fabrique pas d’armes de combat, tout ça est acheté ! Les pays vendeurs doivent prendre conscience que les armes qu’ils envoient au Congo ne servent pas à faire la guerre mais à tuer, à museler la population. Nous voulons les entendre. Nous en appelons à leur responsabilité, parce que ces armes c’est eux qui les fournissent. Ils doivent apprendre à ceux à qui ils les vendent comment ils doivent les utiliser et à quel moment.
Mondafrique. Il y encore des milices ?
F.K. Il y a quelques mouvements à l’est. Vous savez avec un état de droit tous ces problèmes vont se résoudre. Chacun trouvera son compte. Mais tant que c’est la force qui fait la loi, il n’y aura que ce genre de comportement. Dans la situation qui se prépare chacun pourra dire : je prend les armes moi aussi, puisque le pouvoir en place n’est pas. La population paie les frais.
Le combat politique, aujourd’hui, tue plus que la guerre. Il y a des assassinats, des arrestations arbitraires. La restriction des libertés, le non respect des droits humains et les accusations fortuites prennent des proportions inquiétantes. Vous avez vous même vu qu’on a condamné des jeunes gens parce qu’ils ont réclamé la démocratie. Chose impensable en France ! Un policier a tapé un manifestant et il va passer devant la justice, ce n’est pas le cas chez nous.
Monafrique. Quelle est l’implication de la population dans cette crise ?
F.K. La population est sortie dans la rue pour rappeler au pouvoir que son mandat prend fin, ils ont animé les rues de Kinshasa. La réponse a été l’envoi de chars de combats pour leur montrer qu’ils n’ont aucun droit.