Dans les rues désertes d’Abidjan comme dans de nombreuses localités de l’intérieur du pays, sous forte présence sécuritaire, la présidentielle du 25 octobre s’est tenue dans un climat de méfiance et de lassitude. Le pouvoir en place réussira à s’imposer, mais sans débat ni projet, et peinera à masquer sa fragilité politique dans un climat de crise sociale du Cameroun à Madagascar et du Maghreb au Sahel.
Correspondance Abidjan
Samedi dès l’aube, Abidjan offrait un spectacle étonnant avec une circulation très inhabituellement fluide, des rues vides, des commerces fermés et aucune affluence devant les écoles transformées en bureaux de vote. La veille, les marchés avaient été pris d’assaut, signes tangibles de l’inquiétude et de l’attente d’un scrutin jugé incertain. Si dans de nombreuses localités du pays le vote s’est déroulé dans un silence pesant marqué par la méfiance, dans d’autres, des violences ont émaillé cette journée.
Entre violences, calme et abstention
Les fausses informations étant très nombreuses, il est difficile d’établir la cartographie de tous les incidents qui ont éclaté au cours de la journée du samedi 25 octobre. Néanmoins, certains faits recoupés par des sources de terrain dessinent le paysage dans lequel cette élection s’est déroulée. Dans de nombreuses communes, à l’instar de Tiassalé, les Forces de défense et de sécurité quadrillaient la ville, et seuls les quartiers où vivent les partisans d’Alassane Ouattara se sont déplacés pour aller voter.
Dans le Grand Ouest, dans les fiefs de l’ex-président Laurent Gbagbo, autour des villes de Duékoué et de Bloléquin, des affrontements ont éclaté dès le matin : véhicules brûlés, la route nationale coupée. Selon un député de la région : « Tout le Grand Ouest n n’a pas voté. » D’est en ouest et au sud du pays, des échauffourées avec les forces de l’ordre ont éclaté, du matériel électoral a été détruit avant l’ouverture des urnes, et plusieurs bureaux de vote ont été saccagés.
À Yamoussoukro, la capitale politique, un couvre-feu avait été décrété 48 heures avant le scrutin, et la présence militaire avait été renforcée. Selon un résident, le taux de participation dans cette ville a été particulièrement faible : dans les quartiers favorables à Tidjane Thiam, président du parti d’opposition PDCI, invalidé par le Conseil constitutionnel, il n’y a pas eu plus de deux ou trois pour cent de votants.
À Abidjan, si cette journée s’est déroulée dans le calme, dans certains quartiers comme Bingerville ou Yopougon, l’abstention était exceptionnellement importante.
Une élection verrouillée
Le président de la Commission électorale indépendante (CEI), Ibrahim Kuibiert Coulibaly, a estimé que le taux de participation avoisinerait « les 50% ». Un taux qui paraît très important au vu du peu d’affluence constaté et qui ne manquera pas d’être contesté. Mais même s’il devait se confirmer, ce serait un niveau inédit pour une présidentielle en Côte d’Ivoire, inférieur aux 54,6% de 2015 et aux 53,9% de 2020. Cependant, cette faible mobilisation n’est une surprise pour personne.
Les deux principales figures de l’opposition, Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam, ayant vu leurs candidatures rejetées par le Conseil constitutionnel, laissaient au président sortant un champ entièrement libre. Les quatre rivaux qui ont eu la chance de participer — Henriette Lagou, Jean-Louis Billon, Simone Ehivet Gbagbo et Ahoua Don Mello — étaient structurellement incapables de s’imposer comme de véritables challengers.
L’avant-veille de l’élection, Jean-Louis Billon, Simone Ehivet Gbagbo et Ahoua Don Mello ont signé un accord de représentation unique pour mutualiser leurs observateurs dans les bureaux de vote. Mais même avec cet arrangement, ils n’ont pas réussi à aligner des représentants dans tous les bureaux d’Abidjan, encore moins dans les 25 000 bureaux de vote disséminés dans tout le pays. Cela illustre ô combien le pouvoir sortant s’est retrouvé face à des candidats choisis ou tolérés parce qu’ils ne représentaient aucune menace réelle pour sa réélection.
Le président de la CEI, Ibrahim Kuibiert Coulibaly, a également indiqué que « les événements observés ne permettent pas d’invalider le scrutin ». Les jeux sont donc faits : il ne fait aucun doute qu’Alassane Ouattara remportera son quatrième mandat, et les résultats devraient être proclamés dans la journée du 27 octobre.
La stabilité en trompe-l’œil
Une réélection sans suspense ni surprise de dernière minute. Pour la troisième fois, Alassane Ouattara s’imposera sur le plan légal et institutionnel, au prix d’une éviction de l’opposition et d’une participation citoyenne minimale. Mais au nom de la sacro-sainte stabilité, tout le monde — chancelleries comme organisations régionales et internationales — validera le processus et reconnaîtra la victoire.
Les Occidentaux seront, en outre, ravis de garder leur pilier stratégique dans le Golfe de Guinée. À court terme, la défaite de l’opposition et la victoire du camp présidentiel sont incontestables. Mais ce succès, fondé sur la peur et la lassitude, masque un potentiel de fracture sociale et politique. L’histoire de la région montre que les régimes qui négligent le consentement populaire finissent parfois par être confrontés à des surprises…
Laurent Gbagbo, un vieux lion, livre son dernier combat !
 
			 
		 
  
 