Face a une contestation grandissante et alors que la crise économique s’aggrave, le président Aziz tente de rallier l’opinion par un discours nationaliste arabe à l’algérienne.
Le 5 août dernier, un référendum constitutionnel à l’initiative du président mauritanien Mohammed Ould Abdelaziz obtenait 85% de votes favorables à l’issue d’un scrutin contesté. Parmi les réformes clées figurait l’ajout de deux bandes rouges au drapeau national. Objectif : « valoriser le sacrifice des martyrs » de la résistance à la colonisation française. Une thématique chère au président Aziz qui depuis son arrivée au pouvoir en 2011 multiplie le initiatives symboliques mettant en avant la résistance au colonialisme.
Outre le changement du drapeau, le nom d' »Avenue de la Résistance » donné à un artère de Nouakchott et la construction du nouvel aéroport international « Oum Tounsy » au nord de la capitale participent de cet effort dit « de mémoire » pourtant loin de faire l’unanimité. Baptisé en référence à une bataille de 1932 au cours de laquelle se sont affrontées deux tribus maures dont une alliée à l’administration coloniale française qui a systématiquement joué des divisions tribales pour asseoir son pouvoir, le nouvel aéroport a déclenché une vive polémique.
Dans les médias et sur les réseaux sociaux, nombre de voix se sont élevées pour déplorer le choix de ce nom source de division nationale dans un pays déjà marqué par d’importantes tensions entre les communautés arabe-berbères d’une part et celle des négro-mauritaniens et des haratines d’autres part. « Le nom du nouvel aéroport de Nouakchott divise puisque rappelant une rude bataille opposant des résistants et des collaborateurs, tous fils de la nation mauritanienne. Aujourd’hui encore, les gens du Nord et du Trarza s’invectivent sur cette bataille fratricide » écrit le journaliste Bâ Sileye dans la publication alakhbar.info liée au parti des frères musulmans mauritaniens. Porté par les autorités, le thème de la résistance s’est finalement installé dans le débat national. « Chacun s’efforce de prouver que ses ancêtres n’ont pas collaboré avec les colons » note un représentant de la société civile mauritanienne.
Double discours
A cette rhétorique s’ajoute un jeu subtil consistant à mettre valeur l’identité arabe du pays contestée par les communautés non-arabes majoritaires mais alimentée par certains tenants d’une pensée panarabiste qui entourent le chef de l’Etat. Dans les cercles négro-mauritaniens, une telle posture qui coupe la Mauritanie de ses racines africaines inquiète. « C’est une réécriture arabisante du roman national » souligne le représentant d’une ONG.
En parallèle, le président mauritanien lance des piques répétées contre la France à laquelle il s’efforce toutefois de donner des gages en matière de lutte contre le terrorisme dans le Sahel. « En interne, il livre un discours conservateur qui cultive l’hostilité à la France aux antipodes des propos qu’il lui réserve à l’extérieur » relève un ancien diplomate.
A l’été 2016, ce double discours avait valu au chef de l’Etat l’ire de l’ex ministre des affaires étrangères français Jean-Marc Ayrault. Ce dernier avait alors rédigé une lettre destinée aux autorités mauritanienne protestant contre les propos tenus par Aziz dans une interview au journal égyptien Al Ahram. Alors président de la ligue arabe, le président mauritanien avait estimé que Paris se rendait responsable des attaques terroristes commises sur son sol en raison de ses ingérences dans les affaires des pays arabes. La lettre n’avait finalement jamais été envoyée. A l’occasion de la visite de parlementaires français en septembre 2016, le président mauritanien avait rassuré ses partenaires de l’hexagone en affirmant qu’un tel discours ne l’engageait à rien.
Controversée même parmi ses partisans, la rhétorique de la résistance participe de ce jeu d’équilibre. A quel prix ? « Cultiver l’hostilité à l’ex-puissance coloniale et laisser le champs libre à des discours religieux radicaux sur fond d’inégalités et de chômage très élevé est la voie royale vers l’extrémisme » déplore un ancien ministre. Le discours nationaliste arabe risque par ailleurs de fragiliser encore davantage le pays dont la fracture sociale entre communautés noires et arabo-berbères constitue l’un des principaux talons d’Achille.