Des informations sur les traitements des militaires tchadiens permettent de dessiner les rapports de puissance à l’intérieur du système, réorganisé par Mahamat Idriss Deby depuis son arrivée au pouvoir en 2021 après le décès de son père.
Olivier Vallée
La nébuleuse militaire et sécuritaire du Tchad a été scrutée par la chercheuse française Marielle Debos qui en a dressé la sociologie politique. Elle aboutissait à la description d’un espace martial tchadien où cohabitent plusieurs générations et diverses factions d’hommes en armes.
Depuis son accession au pouvoir, le fils d’Idriss Déby, lui-aussi militaire de carrière, a entrepris une profonde réforme du système de défense et de surveillance de son pays. En décembre 2022, cette mutation a été sanctionnée par une nouvelle distribution des compétences. Le ministère de la Sécurité se voit à présent rattachées la gendarmerie nationale et la garde nationale nomade incriminées dans la répression des civils et des oppositions en 2021 et 2022, qui relevaient auparavant du ministre de la Défense.
Mais le ministre des Armées, qui n’était autre que Daoud Yaya Brahim, l’homme fort de la galaxie militaire jusqu’à son décès en février, distribue seul la considérable masse salariale de l’armée. Soit 840 milliards de francs CFA par an, soit près d’1,3 milliard d’euros.
Issakha Maloua Djamous, nommé à la succession du général Daoud Yaya au portefeuille des Armées, des Anciens Combattants et Victimes des Guerres, est seulement dixième seulement dans l’ordre protocolaire du gouvernement.
Tahir Erda Tahiro, le nouvel homme fort
Le premier servi par lamanne budgétaire est le commandant de la Direction générale des services de sécurité des institutions de l’État (DGSSIE), l’officier général Tahir Erda Tahiro. Il rafle, pour la solde de ses hommes dans les quatre zones militaires du Tchad, plus de 310 milliards par an. En outre, le chef de la DGSSIE a été élevé au rang et appellation de général d’armée. Il est le 5ème général de l’histoire du Tchad à obtenir ce grade, dont le défunt maréchal Idriss Deby Itno, son fils Mahamat Idriss Deby et le chef d’État-major particulier du Président, Bichara Issa Djadallah.
La DGSSIE relève directement de l’État-major particulier du Président de la République. Elle résulte de la volonté de feu Idriss Déby de transformer la garde présidentielle en une véritable unité d’élite chargée de la sécurisation des institutions de l’État. Ses effectifs sont issus des forces armées régulières et l’actuel Président y a servi l’essentiel de sa carrière militaire.
Autre homme fort du système militaire, le général Abakar Abdelkerim Daoud, qui possède la haute main sur l’État-major général des armées (EMGA). Cette seule entité absorbe 8,2 milliards de FCFA chaque mois pour rétribuer les centaines de généraux qui émargent au budget de la nation. L’EMGA a également sous sa tutelle le groupement des forces antiterroristes dont les soldes coûtent annuellement 130 milliards de FCFA. Un peu moins que l’armée de terre dont la paye atteint 144 milliards par an. Avec cette trinité – EMGA, groupement des forces antiterroristes et armée de terre – le général Abakar Abdelkerim Daoud pèse autant que la DGSSIE sur les finances publiques du Tchad.
Renaissance d’une manufacture d’équipements
Une des nouveautés du périmètre attribué à la défense est le retour de la Manufacture d’équipements et de maroquinerie (MANEM) créée en 2023, l’ancienne Manufacture d’Équipements des Forces Armées Nationales Tchadiennes (MANUFANT). Mais elle jouera désormais un rôle plus important dans le contexte de développement d’un complexe militaro-affairiste national. La Manufacture est placée sous le contrôle d’un proche parent du chef de l’État : le directeur général des équipements militaires est, en effet, le général Hissein Brahim Mahamat Itno, neveu et ex aide de camp du défunt maréchal.
Hissein Brahim est récemment revenu aux affaires avec sa nomination comme chef d’État-major de la direction générale des services de sécurité des institutions de l’État. Selon des sources bien introduites, la direction générale de la réserve stratégique (DGRS) aurait lancé une grande commande de tissus militaires destinés aux forces de défense et de sécurité auprès de la Nouvelle société des textiles du Tchad (NSTT). Les uniformes seront confectionnés par la direction générale des équipements militaires, ce qui donnera de l’activité à la MANEM et quelques gratifications à Hissein Brahim Mahamat.
Le coeur du système reste contrôlé par le tout puissant directeur de cabinet du Président tchadien, Idriss Youssouf Boy. Selon Africa Intelligence, ce dernier serait au cœur de lucratifs circuits de financements de matériel militaire, des Émirats à Israel, deux pays devenus des interlocuteurs bienveillants de la junte tchadienne.