Au pouvoir depuis bientôt 33 ans, le chef d’Etat camerounais Paul Biya qui entretient de bonnes relations avec François Hollande alimente le sentiment anti français dans son pays pour gonfler sa popularité.
Les illustrations de ce type font en général le buzz sur Facebook. A gauche, les photos de Ronald Reagan, George H. Bush, Bill Clinton, George W. Bush et Barack Obama. A droite, la seule et unique photo de Paul Biya. A gauche, les photos de François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande. A droite, la même photo de Paul Biya.
Vers 33 ans de règne
De fait, le président camerounais a vu passer, depuis son palais d’Etoudi, quatre (et bientôt cinq) chefs d’Etat américains, quatre présidents français, cinq ivoiriens, trois Sénégalais… Le 6 novembre dernier, ce survivant de la politique, qui a eu une gouvernance pour le moins « écologique » (il ne tient quasiment pas de Conseil des ministres et régule son système par des remaniements qui entretiennent l’illusion de possibles changements) a fêté son 33ème anniversaire de « règne ». Et le 13 février prochain, il soufflera sur sa 83ème bougie.
« Ne dure pas au pouvoir qui veut mais qui peut », a-t-il répondu, narquois, à un journaliste français qui l’interrogeait sur son anachronique longévité, lors de la dernière visite du président Hollande à Yaoundé le 3 juillet dernier. Quel est, au fond, le secret de cet homme du sérail choisi à la surprise générale par son prédécesseur qui était à la recherche d’un homme malléable qu’il pourrait continuer à téléguider après son départ du pouvoir ? Et si la clé du mystère se trouvait dans une sorte de maestria psychologique à la fois admirable et perverse ?
A différentes étapes de sa vie de président, Biya a en tout cas su exploiter les aspirations et les obsessions de son peuple, et alimenter ses fantasmes à travers une communication à l’économie, passant par de petites phrases insignifiantes à première vue mais ayant la capacité à devenir des phrases cultes mais aussi par l’ingénierie de la rumeur, redoutable machine à créer de faux débats et, souvent, à flatter les pires instincts. Petite liste de quelques-unes des passions camerounaises que Biya a su flatter pour mieux en tirer profit, sans pour autant changer quoi que ce soit à la manière de fonctionner d’un pays résolument immobile.
L’aspiration démocratique
Ce n’est un secret pour personne : Ahmadou Ahidjo, premier président camerounais qui a réprimé le mouvement nationaliste main dans la main avec la France, puissance tutélaire, était un despote. Un despote éclairé, selon ses partisans ; un despote tout court, selon ses adversaires. Sous son règne, de nombreux opposants étaient en exil, et les bagnes de Tcholliré (extrême-nord) et de Yoko (centre) traumatisaient une large frange de la population. Arrivé au pouvoir par la grâce d’Ahidjo, auquel il était toujours apparu comme un homme consensuel et effacé, Biya ne tarde pas à prendre ses marques et à se dissocier de son prédécesseur en brandissant un certain nombre de concepts. Comme le « renouveau » et « l’ouverture démocratique » qui se résumeront finalement à la mise en concurrence des élites du parti unique dans le cadre d’élections internes. Paul Biya se gargarise aussi de « rigueur » et de « moralisation » pour surfer sur la vague réformatrice qui traverse le pays. Du coup, il jouit pendant quelques années d’une vraie popularité, et l’opinion camerounaise se range majoritairement à ses côtés quand des nostalgiques de l’ère Ahidjo veulent le renverser par un coup d’Etat.
Le tribalisme
Comme de nombreux pouvoirs africains de l’époque, le régime Biya est dans la tourmente au début des années 1990. La jeunesse aspire à la démocratie, et le peuple tout entier demande des comptes sur la faillite financière d’un pays qui allait bien lorsque le maître de Yaoundé prenait le pouvoir en 1982. Les longs mois de « villes mortes » et de « désobéissance civile » menacent la survie même du pouvoir. Qui sort de son chapeau une arme fatale : le tribalisme. Il agite le spectre d’une opposition « anglo-bamilékée » en étant bien conscient que l’expansionnisme économique des communautés ainsi visées est une vieille angoisse camerounaise. Il finit par confiner les partis d’opposition dans les fiefs tribaux qu’il leur assigne par la grâce de la « technologie électorale ». Le SDF de John Fru Ndi ? Le parti des « Anglos » (anglophones, ndlr). L’UPC, parti historique qui a revendiqué l’indépendance du Cameroun ? La chose des Bassas. L’UNDP, formation des ahidjoïstes, est-elle dirigée par Samuel Eboua, un Mbo du Littoral ? Une branche activement soutenue par le pouvoir renverse son dirigeant, et installe à sa place un musulman du Nord, ce qui a pour « avantage » d’aligner le paysage politique sur la carte ethnique. Parti administratif, le RDPC au pouvoir est finalement le seul à revendiquer un ancrage national. Il introduit dans la Loi fondamentale les concepts d’« autochtones » et d’« allogènes », mais de manière assez floue pour permettre toutes les interprétations, amalgames et palabres quant aux implications institutionnelles de cette innovation constitutionnelle.
La corruption des élites et le « revanchisme » des masses
Monarque vieillissant, Biya a très vite compris que ses ministres et autres lieutenants, souvent de fringants « quadras » et « quinquas » ambitieux, pouvaient tenter de le « bourguibiser ». Mais il a su se servir d’un des « péchés capitaux » de l’élite politico-administrative de son pays : le goût du lucre. Sa méthode n’a pas changé depuis le début de l’opération « Epervier », officiellement destinée à traquer les auteurs de détournements de fonds publics, mais ses collaborateurs se font toujours prendre le doigt dans le pot de confiture : il les laisse s’enrichir illicitement, puis il met les juges à leurs trousses, fait confisquer leurs passeports et les jette à la prison de Kondengui. Il fait ainsi d’une pierre trois coups : il sème la terreur au sein de son camp ; il donne du grain à moudre à un peuple qui se sent soulagé de voir régulièrement des têtes tomber de l’échafaud ; et il alimente les rêves de nomination de la partie de l’élite qui est aux marges du système. A cet égard, une phrase qu’il aurait lancée à un ex-ministre en disgrâce est entrée dans les annales : « Je vous verrai ». Quand on rêve d’être « vu », on se tient tranquille.
Le culte du chef
Nombreux sont les Camerounais qui ont applaudi à tout rompre la réplique de Biya au journaliste français qui s’interrogeait sur la possibilité d’un départ à la retraite. Pour une raison simple : il a en quelque sorte montré les muscles. « Un grand n’est pas un petit », dit un dicton populaire camerounais. Le culte du chef est omniprésent au Cameroun, et il participe à légitimer le pouvoir établi. C’est en tout cas la thèse du cinéaste Jean-Marie Teno, illustrée dans un documentaire intitulé : Chef ! Le Cameroun y est décrit comme « une société hiérarchisée et inégalitaire, dans laquelle le modèle du chef omnipotent semble se dupliquer et se reproduire dans toutes les sphères de la vie ».
Le sentiment anti-français
L’atroce répression (méconnue) du mouvement nationaliste camerounais durant la période où ce pays était sous tutelle onusienne et sous mandat français ainsi que les diverses frustrations postcoloniales ont nourri une profonde méfiance pour Paris au sein d’une grande partie de la population. Paul Biya s’en est abondamment servi ces dernières années. Alors que ses relations avec François Hollande n’étaient pas au beau fixe, il a laissé s’exprimer avec virulence des commentateurs qui accusaient la France d’être l’inspiratrice de la secte djihadiste Boko Haram, notamment lors des émissions de la chaîne de télévision Afrique Media. Bien entendu, les rumeurs et accusations dont Paris a été l’objet ont permis au président camerounais de se refaire un capital de sympathie au sein de son opinion publique. Mais fort opportunément, dès lors que François Hollande est venu lui « baiser la babouche » à Yaoundé, Biya a laissé ses proches persécuter la chaîne de télévision que l’ambassade de France aimait détester. Il a « cadeauté » de nombreuses entreprises français avec de juteux contrats. Comme le veut la « tradition ».
Le chauvinisme
Les Camerounais sont connus en Afrique francophone pour leur fierté qui confine à l’arrogance. Citoyens d’un pays à fort potentiel, fort d’un pays aux nombreuses ressources et d’une population globalement éduquée, ils sont obligés de faire le constat que leur pays ne tourne pas rond. Aux anachronismes politiques s’ajoutent une atonie économique certaine et désormais des périls géopolitiques auxquels leur nation est mal préparée. Toutefois, un grand nombre d’entre eux répugne aux critiques « extérieures » et aux comparaisons avec des pays « équivalents » comme la Côte d’Ivoire ou le Ghana, voire le Sénégal ou l’Ethiopie. Ils nourrissent leur illusion « d’exceptionnalité » en se servant d’une phrase de Paul Biya devenue un mantra national qui face aux « détracteurs ». « Le Cameroun, c’est le Cameroun ». Une phrase qui ne signifie presque rien et justifie toutes les dérives !