Patrice Talon, le magnat du coton devenu Président du Bénin en 2016, a démoli la démocratie béninoise à coups de persécution d’opposants, de verrouillage du pluralisme et d’intimidation des journalistes.
Un énorme gâchis pour les uns ; une régression inédite pour les autres ; les deux à la fois pour d’autres encore. De la référence qui fait l’unanimité en matière de démocratie en Afrique subsaharienne francophone, le Bénin est tombé à la même échelle que le Congo de Sassou N’Guesso et le Tchad de Idriss Déby. Comme dans ces deux pays qui ne sont cités dans aucun palmarès de la démocratie en Afrique, au Bénin, sous Patrice Talon, les opposants n’ont d’autres choix que se ranger ou prendre le chemin de l’exil. Deux éminentes figures de l’opposition ont dû fuir le pays pour se réfugier en France et échapper à la machine répressive du président Talon: Sébastian Adjavon arrivé 3 ème lors de la présidentielle de 2016 et Léady Sogolo, ancien maire de Cotonou, la capitale économique du Bénin.
Coupures d’internet
Le rouleau compresseur mis en place par l’ancien magnat du coton n’épargne pas les journalistes qui sont, fait totalement inédit au Bénin, intimidés et parfois même incarcérés comme dans le cas du journaliste Ignace Sassou libéré en juin 2020 après avoir passé six mois de détention.
Le pouvoir béninois avait par ailleurs fait couper internet en avril 2019 en plein scrutin législatif. Mais dans un pays qui a pu organiser en 1990 la première conférence nationale souveraine d’Afrique subsaharienne et qui a connu de nombreuses alternances, c’est le verrouillage systématique du jeu politique par Talon qui choque davantage. En 2018, Patrice Talon a fait adopter un code électoral qui impose à chaque parti de déposer une caution de 249 millions de FCFA (environ 380.000 euros) pour présenter une liste au scrutin législatif. Résultat : seuls deux partis proches de Talon ont pu remplir cette condition. Le Bénin, jadis vitrine de la démocratie en Afrique francophone, se retrouve depuis les législatives d’avril 2019 avec une Assemblée nationale de 83 députés, sans un seul venant des rangs de l’opposition. Et tout porte à croire que la présidentielle du 11 avril prochain suivra le même chemin.
En application du nouveau code électoral, le président sortant est le seul candidat en mesure de réunir les dix-sept parrainages d’élus (députés ou maires) exigés pour faire valider son dossier de candidature.
Sans états d’âme
Un des aspects le plus surprenant de la descente aux enfers de la démocratie béninoise, c’est que son fossoyeur d’aujourd’hui fut lui-même contraint à l’exil politique entre 2012 et 2014. Accusé d’avoir tenté de faire empoisonner son prédécesseur Boni Yayi, Patrice Talon a connu les affres de l’exil entre Bruxelles et Paris, éloigné des siens et surtout de son business. De nombreux témoins se souviennent encore de lui assis au bar d’un palace parisien, seul, tourmenté par l’éloignement de son Bénin. Il distillait alors ses convictions démocratiques.
A l »épreuve de l’exil, s’ajoutent pour l’ancien roi du coton béninois les ennuis judiciaires. Suite à une demande d’extradition judiciaire formulée par Cotonou, Patrice Talon est placé sous contrôle judiciaire le 5 décembre 2012 un juge parisien qui l’oblige à remettre son passeport. Il échappe de peu à la détention provisoire, mais vivra pendant près de deux ans avec cette épée de Damoclès sur la tête. Il aura fallu une longue médiation assurée par l’ancien président sénégalais Abdou Diouf, alors Secrétaire général de la Francophonie, pour que MM. Talon et Yayi fassent la paix des braves. Dans un message adressé à la Nation, le 14 mai 2014, Boni Yayi accorde son pardon à Talon qui obtient enfin la possibilité de fouler le sol béninois.
Trésor de guerre
L’industriel entre en politique et utilise son énorme trésor de guerre pour devenir président du Bénin en 2016. Comme pour mettre en garde ses autres compatriotes, il mène la vie dure à Sébastian Adjon, arrivé troisième lors du scrutin présidentiel et qui avait fini par préférer Talon à Lionel Zinzou, l’autre candidat du second tour. A la surprise générale, Talon fait condamner Adjavon à 20 ans de prison par la Cour de répression des infractions économique et du terrorisme (CRIET) qu’il a spécialement créée.
La suite du quinquennat sera une longue succession de dérives autoritaires. En réalité, Talon applique à la politique la méthode sans état d’âme qui a assuré sa prospérité dans les affaires. A ce rythme-là, à la fin du second mandat de l’ex-magnat du coton la démocratie ne sera qu’une parenthèse pour les Béninois. Eux qui pensaient avoir tourné la page des régimes autoritaires quand le Dahomey au Bénin.
Francis Sahel
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