Le général Ghazouani, ex-chef d’état-major des armées et actuel ministre de la Défense de Mauritanie, s’est officiellement déclaré le samedi 2 mars candidat à la présidentielle de juin prochain pour succéder au président Aziz. Il l’a annoncé devant plus de 10 000 de ses sympathisants rassemblés dans un stade de Nouakchott.
Le général Ghazouani, un soutien constant et loyal de Mohamed Ould Abdel Aziz depuis son accession au pouvoir en 2008, devait en principe prendre sa retraite et être remplacé comme chef d’état-major avant la fin du mois d’octobre 2018. Or la désignation de ce gradé, cet automne, comme ministre de la Défense, fut le premier signe que l’heure de la retraite n’était pas venue pour lui. Plus encore, pensait-on alors mais sans certitudes, les cartes de la situation politique mauritanienne pourraient être redistribuées en sa faveur.
Un pas de plus vient en effet d’être franchi par le président Aziz qui devant quelques visiteurs à Nouakchott, a évoqué la possibilité que le général Ghazouani soit son candidat lors des prochaines présidentielles de la fin du mois de juin. Les promesses d’Aziz n’engageant que ceux qui y croient, il faut sans doute prendre cette annonce avec précaution.
Le président mauritanien poussé vers la sortie
Tout semble indiquer que le Président Mohamed Ould Abdel Aziz pourrait renoncer à un troisième mandat. S’il le fait, c’est qu’il n’a guère le choix. Sa candidature serait tout d’abord contraire à la constitution mauritanienne. Sans froisser inutilement le chef de l’état mauritanien qui est un allié constant sinon loyal, ses partenaires occidentaux, français et américains en tète, lui ont fait savoir qu’ils n’étaient pas hostiles à ce qu’il envisage une sortie par le haut.
Au sein même de son propre parti, l’UPR, ainsi qu’au sein de l’armée mauritanienne, beaucoup en privé devenaient fort critiques sur le bilan calamiteux du rêgne et sur la place grandissante prise par la famille du Président, notamment sa fille, dans les affaires du pays. A la façon dont à la fin du règne du président tunisien Ben Ali en 2011, le mouvement présidentiel, le RCD, et une partie des militaires ont lâché le pouvoir et entrainé sa chute.
Au sein des élites maures, au pouvoir depuis l’indépendance, des voix se font entendre également pour conseiller au président Aziz de ne pas briguer un nouveau mandat. Ainsi l’ancien ministre mauritanien des Affaires Etrangères et ex ambassadeur de l’ONU en Afrique de l’Ouest, Ould Abdallah, se prononçait publiquement contre un troisième mandat. Autre manifestation de la défiance grandissante à son égard, Yeddih Ould Breideleil, une personnalité de sensibilité bassiste, l’idéologie nationaliste des dirigeants maures, a conseillé lui aussi au président Aziz de « prendre de la hauteur », voire de lever le pied. « La Mauritanie qui était déjà mal en point à cause du gaspillage et d’un tâtonnement invraisemblable, écrivait Yeddih Ould Breideleil, a vu se multiplier des actions inconsidérées qui dénotaient, non pas de la lucidité mais de la nervosité et la solitude dans la décision ».
Plus grave, la montée de la contestation interne, qu’incarne entre autres le leader anti esclavagiste Biram, élu député en septembre 2018 mais dont le mouvement est aujourd’hui réprimé férocement, a provoqué une une solidarité au sein d’une opposition unie et, une fois n’est pas coutume, très déterminée contre le pouvoir.
Le plan secret d’Aziz
Voici donc le général Ghazouani placé ainsi en orbite pour assumer l’année prochaine, au lieu et place de l’actuel chef de l’Etat et avec son onction, la fonction de président. A la façon dont Poutine avait pu placer en 2008 Dmitri Medvedev, son Premier ministre, à la tète de la Fédération de Russie.
Remarquons qu’Aziz, qui se méfie de tout et de tous, a bien verrouillé le dispositif. Il a nommé en effet en décembre 2018 l’ancien ministre de la Défense, Bathia Mamadou Diallo, totalement dévoué à sa cause, président du Conseil Constitutionnel. Le fait que ce dernier soit négro mauritanien, une ethnie totalement marginalisée et interdite des hautes fonctions, , permet au président mauritanien de soigner une image de rassembleur. « Le plan d’Aziz, confie un diplomate occidental, est d’imposer à Ghazouani de démissionner dans un ou deux ans. Et il espère qu’il ne lui restera plus qu’à reprendre ses fonctions actuelles, avec la garantie que le Conseil Constitutionnel défendra la légalité d’un pareil jeu de chaises musicales ».
La manoeuvre ne sera pas aisée. Le général Ghazouani en effet bénéficie de nombreux atouts que le président Aziz, contesté en interne et déconsidéré à l’international, ne peut plus guère revendiquer.
Première qualité, ce haut gradé a toujours entretenu d’excellentes relations avec la France, les Etats Unis et le Maroc- Ce qui équilibre les préférences algériennes et séoudiennes de l’actuel chef de l’Etat.
Ensuite, Ghazouani bénéficie d’un large consensus au sein de l’armée mauritanienne, la colonne vertébrale du pouvoir depuis l’indépendance. Ce qui n’était plus le cas d’Aziz condamné à nommer à la tète du Basep, la garde prétorienne du pouvoir, son propre garde du corps, en suscitant la réprobation de nombreux hauts cadres militaires;
Enfin les origines et le parcours du général Ghazouani en font une personnalité respectée bien au delà du cercle clanique et affairiste qui entoure aujourd’hui la présidence. En privé, des personnalités de l’opposition espèrent une telle promotion du général Ghazouani. Jusqu’au sein du parti islamiste Tawassol, arrivé en tête de l’opposition lors du dernier scrutin législatif de septembre et où on met en avant ses engagements spirituels. « Fils d’un chef spirituel de la tribu maraboutique Ideiboussat, des Berbères à qui l’on prête des pouvoirs mystiques, écrit le site du « Point Afrique », il est réputé pour sa discrétion mais aussi pour bénéficier de l’influence également discrète mais grande de sa tribu très active dans les questions religieuses, le soufisme notamment, mais aussi dans le commerce de véhicules, de thé, de tissus et de céréales ».
Aux yeux d’un président mauritanien qui se méfie de tout et de tous, le seul défaut de Ghazouani, ce sont ses qualités qui ne manqueront pas de ternir, s’il arrive au pouvoir, le bilan et l’image de son prédécesseur.
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