En escale à Paris mercredi 26 mars, le ministre des Affaires étrangères marocain, Salaheddine Mezouar, dont la venue n’avait pas été signalée, a fait l’objet d’une fouille à l’aéroport de Roissy, malgré son statut diplomatique. Or, depuis un mois, les relations entre la France et le Maroc sont loin d’être au beau fixe. L’orage, provoqué notamment par des mises en cause judiciaires à Paris des responsables sécuritaires marocains, n’est pas passé entre le Maroc et la France. Retour sur une crise qui secoue deux pays aux relations dites « séculaires ».
Malgré le coup de froid qui s’est abattu sur les relations entre le Maroc et la France, les deux camps semblent revenir à de meilleurs sentiments de part et d’autre. Ainsi Christiane Taubira, garde des Sceaux Française, est attendue début avril en vue d’étudier avec son homologue marocain Mustapha Ramid,les conditions nécessaires pour rétablir les accords de coopération judiciaire suspendus par le Maroc en février dernier. Le ministre marocain s’est montré ouvert à une réactivation des accords entre les deux pays, à condition que ces derniers soient basés sur « un rapport d’égalité et sur le respect mutuel ». Et justement, c’est ce respect auquel a failli la France, selon le pouvoir marocain.
Ligne jaune
À l’origine de cette crise, trois plaintes déposées à Paris contre le patron du contre-espionnage marocain, Abdellatif Hammouchi, pour «torture» et «complicité de torture». La première émane de Naâma Asfari, condamné pour participation aux événements violents de Gdim Izik en 2010 ayant conduit à la mort d’éléments de police. La seconde est celle du boxeur international Zakaria Moumni et la troisième d’Adil Mtalsi. Le 20 février dernier, une demi-douzaine de policiers se présente à la résidence de l’ambassadeur du Maroc à Paris pour notifier à Abdellatif Hammouchi, présent en France, une demande d’audition de la justice française.
Et le moins qu’on puisse dire, c’est que les Marocains ont très mal pris cette convocation faite de « manière précipitée et surdimensionnée, au mépris des canaux diplomatiques », selon un diplomate marocain ayant requis l’anonymat. «Au Maroc, le pouvoir n’arrive pas à assimiler l’indépendance de la justice en France ou dans d’autres pays démocratiques. On croit qu’il suffit de passer un coup de fil au juge pour qu’il obtempère », souligne Khadija Ryadi, militante de l’Association Marocaine des Droits de l’Homme (AMDH). «Ici à Rabat, on en a fait une affaire politique de souveraineté, alors que c’est une affaire judiciaire de droits de l’homme », poursuit-elle.
Réaction hystérique
Si à Paris on reconnaît « des maladresses et des dysfonctionnements », selon les termes de Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères Français, dans la façon dont a été signifiée sa demande d’audition à Abdellatif Hammouchi certains sont surpris d’une réaction « hystérique » de la part du royaume. Rappelons que le soir même, le président français, François Hollande, appelle le roi Mohammed VI au téléphone, en visite de travail en Côte d’Ivoire. Les deux hommes se parlent longuement. Mais à en croire la réaction du Maroc, Mohammed VI n’a vraisemblablement pas obtenu les « explications » nécessaires.
Mercredi 26 enfin, Rabat annonce la suspension des accords de coopération judiciaire entre les deux pays. Une mesure à double tranchant et aux conséquences lourdes surtout pour les Marocains. Avec 700.000 binationaux, 1,3 million de Marocains résidants en France, c’est sans conteste le royaume qui en pâtira le plus.
La phrase de trop
Pure coïncidence ou fait prémédité, des propos railleurs sur la relation entre les deux pays attribués à un diplomate français, ont mis de l’huile sur le feu. Dans les colonnes du Monde, l’acteur espagnol Javier Bardem, fervent défenseur de la cause sahraoui et ennemi juré du royaume a rapporté des propos qu’aurait tenu le représentant permanent de la France à l’ONU sur le Maroc le qualifiant d’une « maîtresse avec laquelle on dort toutes les nuits, dont on n’est pas particulièrement amoureux, mais qu’on doit défendre » en 2011.
Il n’en fallait pas plus pour déchaîner les passions du côté marocain que ce soit dans la presse « aux ordres » ou dans la rue. Des manifestations « spontanées » ont même été organisées à Rabat et Casablanca. « Faire croire aux Marocains qu’on les humilie et qu’on touche à leur souveraineté, c’est l’objectif du pouvoir pour se mettre la rue de son côté. C’est très populiste », souligne Maâti Monjib, politologue. Le pouvoir use encore une fois de la théorie du complot mettant en avant l’inquiétude de Paris face au succès de la tournée du roi en Afrique.
L’approche, en avril, du renouvellement annuel du mandat de la Minurso, la mission de l’Onu au Sahara occidental attise la tension du côté marocain. Rappelons que l’année dernière, les États-Unis avaient voulu inscrire un volet « droits de l’homme » dans le mandat de la Minurso provoquant l’ire de Rabat. «La France avait tièdement défendu le Maroc », rappelle Monjib.
La gauche en question
«A chaque fois que la gauche est au pouvoir, on s’attend à des crises entre les deux pays, c’est connu, la gauche ne nous porte pas dans son cœur », confie un diplomate, « je rappelle à ce titre l’épisode de la publication du livre de Gilles Perrault, «Notre ami le roi », en 1990 au temps de Hassan II et toute la campagne de dénigrement qui s’en est suivie contre le royaume et son monarque ».
Une hypothèse que réfute Maâti Monjib : «la supposée amitié franco-marocain est un leurre qu’on veut toujours nous faire croire, il n’y a pas ou plus d’amitié entre les deux pays ». Pour cet historien de la vie politique, la France a changé de stratégie concernant le Maroc depuis des décennies. «Elle régit ses relations avec plus de rationalité. Et depuis quelques années, l’Algérie, pétrole et gaz obligent a plus la cote auprès des instances gouvernementales françaises que le Maroc ». Actuellement, c’est d’une amitié à des fins commerciales qui sert plus les mastodontes du CAC 40 et une certaine élite marocaine. «Si au nom de l’amitié, on fourgue au peuple marocain un TGV qui va coûter la bagatelle de 2,3 milliard d’euros, une somme astronomique pour un pays qui manque cruellement d’infrastructures de base, on peut s’en passer », ironise Khadija Ryadi.
D’ailleurs ce n’est pas la première fois qu’un responsable sécuritaire marocain est inquiété en France. Quatre mandats d’arrêt ont été signés le 22 octobre 2007 par le juge d’instruction Patrick Ramaël en charge du dossier de la disparition de Ben Barka. L’opposant à Hassan II avait été enlevé quarante deux années auparavant (!), le 29 octobre 1965, devant la brasserie Lipp en plein centre de Paris. Le hic, c’est que les mandats ont été émis à la veille d’une visite officielle de Nicolas Sarkozy dernier au royaume. L’un des mandats visait le chef de la gendarmerie royale marocaine, le général Hosni Benslimane, qui officiait à l’époque au cabinet du général Oufkir. Les trois autres visaient Abdelkader Kadiri, ancien patron de la Direction générale des études et de la documentation (DGED, renseignements militaires), Miloud Tounsi, alias Larbi Chtouki, l’un des membres présumés du commando marocain qui aurait enlevé Ben Barka, et Abdlekak Achaachi, agent du Cab 1, une des unités secrète des services marocains. A rabat on n’avait pas réagi avec la même véhémence. Pourquoi ?
Selon ce connaisseur des arcanes du pouvoir, les deux cas ne sont pas similaires. «Quoiqu’on en dise, Benslimane fait partie de l’ancien règne, celui de Hassan II, alors que Hammouchi et un des hommes forts du régime actuel qui veut paraître respectueux des droits de l’homme surtout à l’international. Si on torture encore dans les geôles marocaines ça ne doit pas se savoir hors des frontières ».
Plus grave d’autres responsables politiques des organes sécuritaires marocains à l’instar de Fouad Ali El Himma, ex ministre délégué à l’Intérieur et actuel conseiller du roi, pourraient être inquiétés dans d’autres affaires. Ou encore Mohamed Mounir Majidi, secrétaire particulier du roi, cité dans la plainte de Zakaria Moumni. Et là c’est de l’entourage proche du roi qu’il s’agit.
PAR FEDOUA TOUNASSI