Omar El Béchir renverse en 1989 Sadek el Mahdi, l’héritier d’une dynastie et met fin au bipartisme de fait qui régnait sur le Soudan. Ce coup d’État est appuyé par le Front islamique national (NIF) du très rigoriste Hassan al-Tourabi, décédé en 2016, trois ans avant que l’armée ne chasse le tyran.
Olivier Vallée
Omar El Béchir, élu deux fois à la présidence dans des scrutins boycottés par l’opposition avec 68,2 % des voix en 2010 et 94 % en 2015 comptait briguer un troisième mandat en 2020. En 1989, cet homme qi était venu de nulle part amorce une carrière politique exceptionnelle, en jouant aussi un rôle sur la scène mondiale. Le militaire qui s’installe au pouvoir avec l’appui du « »National Islamic Front » de l’islamiste radical Hassan Tourabi impose aux élites civiles une personnalité puissante et une vision neuve pour le Soudan.
Ce dictateur redoutable reste bien sûr le produit du système d’exploitation et de ségrégation mis en place à la période coloniale et parachevé après l’Indépendance. Omar El Béchir poursuit la politique de confiscation des richesses et des pouvoirs au profit des élites arabes de la capitale. Les massacres se poursuivent contre les populations non-arabes du Soudan du Sud, du Nil bleu et des monts Nouba.
Oussama Ben Laden hébergé
C’est Omar el Bachir qui héberge Oussama Ben Laden entre 1991 à 1996. Cela vaut au Soudan d’être placé par les Etats-Unis sur la liste des « États soutenant le terrorisme ». Dans un premier temps, le président soudanais n’en tient pas compte car Ben Laden injecte des fonds dans l’économie soudanaise. Omar El Béchir veut du pouvoir et de l’argent et s’affranchit peu à peu de l’armée nationale dans laquelle il n’a pas confiance et facilite la formation de groupes politico-militaires à son service. Telles les milices arabes janjawid dans l’Ouest impliquées dans la guerre sanglante qui éclate au Darfour en 2003. Présenté à la fois comme une lutte entre « Arabes et Africains » et « gouvernement contre rebelles », ce conflit entraîne la mort de plus de 300 000 personnes et le déplacement de plus de 2 millions d’habitants.
En 2009, la Cour pénale internationale (CPI) lance contre Omar El Béchir un mandat d’arrêt pour «crimes de guerre et contre l’humanité » au Darfour, avant d’ajouter le crime de génocide en 2010. Cependant Omar el Béchir a de puissants amis dont la Chine et il s’impose comme un leader islamique remplaçant les confréries originales du Soudan par des Frères musulmans d’humeur nationaliste. Erdogan n’a pas encore l’aura qu’il possède aujourd’hui chez les Frères musulmans, les fonds islamiques affluent à Khartoum.
En 1973, le Soudan s’engage contre Israel aux cotés des Égyptiens. Un libéralisme économique affiché en faveur des élites autorise le pays à contourner les leçons du FMI. Son maitre en Islam et en économie sera le tyran malaysien et Premier ministre Mahathir Mohamad à la tête d’un quasi-émirat riche en hydrocarbures. Mahatir s’opposera aux différentes agressions occidentales contre l’Irak et inaugure ce qui deviendra le bloc émergent des États qui veulent une position neutre du Global South. La condamnation de la CPI lui vaut le soutien de l’Afrique et lui permet de présenter comme celui qui défie l’Occident et sa justice des vainqueurs
La surprise venue du Sud
Absorbé par la protection des frontières avec le Tchad en particulier et confiant dans la collaboration secrète avec la CIA, Béchir n’a pas vu venir la surprise du Sud. Après deux interminables guerres (1955-1972 et 1983-2005) qui auront provoqué des dizaines de milliers de victimes, le régime d’Omar El Béchir prend acte, le 9 juillet 2011, de la création du Soudan du Sud. Soit la perte d’un quart du territoire et des trois quarts des ressources pétrolières.
Le scénario n’était pas écrit d’avance. John Garang, le leader historique sud soudanais, imaginait un pays dans lequel la dictature des tribus arabes du Nil serait remplacée par une fédération démocratique. Mais sa mort dans un accident d’hélicoptère en 2005 précipitera la marche vers l’indépendance du Sud, sans qu’Omar El Béchir ne cherche à l’enrayer. La perte de cet immense réservoir de pétrole qu’était le Sud pèse sur le budget de Khartoum, mais a permis au dictateur d’éviter toute contestation politique au nom du front commun contre les sécessionistes du Sud.
Quant au poids du Soudan dans le monde, il n’a pas diminué, bien au contraire. Le Soudan Sud, lui, a été négligé par la France comme par l’Europe qui n’y ont envoyé que des représentants médiocres.
La carte ci-dessus, dessinée en 2023, montre un Darfour à l’Ouest qui est un enjeu pour la Libye et le Tchad, les premiers acteurs de l’internationalisation du conflit. « Plusieurs États ont joué un rôle essentiel dans le maillage des conflits au Tchad et au Darfour, écrivait Roland Marchal. Certains l’ont fait consciemment; pour d’autres, il s’agit plutôt d’effets non intentionnels de leurs politiques ; pour la France en particulier, il s’agit sans doute d’un aveuglement de plus».
Les services français pro Bachir
Les barbouzes françaises apprécient le régime d’Omar El Béchir. Le francophone et très islamiste Hassan El Tourabi, diplômé de la Sorbonne, sert de courroie de transmission. C’est avec ce dernier que le ministre de l’Intérieur d’Edouard Balladur, Charles Pasqua, négocie l’extradition du terroriste Carlos. Sous l’autorité du général Pierre Rondot, les Services français parviennent à ramener l’ennemi public numéro un, après l’avoir passablement drogué. Lorsqye le gradé dans l’avion du retour et en pleine nuit prend son téléphone crypté pour joindre Pasqua et lui annoncer la bonne nouvelle, le dialogue est surréaliste. Le minitre d’État met un temps avant de comprendre.
-Monsieur le ministre, je vous rapporte le colis
-Le colis?, demande Pasqua abasourdi, c’est quoi?
-Ce colis commence par un c et finit par un s,reprend le général Rondot
Mis enfin, je sais comment s’écrit colis, répond Pasqua mal réveillé
En 2018, le dictateur soudanais est encore fréquentable. C’est à l’École militaire française qu’est présentée la réforme des Forces Armées Soudanaises (SAF) qui prévoyait la création des fameuses « Rapid Support Forces » du général félon Mohamed Hamdan Daglo, dit “Hemetti qui sont, depuis, entrées en rébellion contre le pouvoir militaire en place..
Paris va commencer à se poser des questions quand les civils et les officiers chassent Omar El Béchir du pouvoir en 2019. Ce dernier a agi comme un maitre artificier jouant de la division du pays, d’une diplomatie des services secrets qui lui permettait de téléphoner au Mossad comme à la DGSE, de l’émergence d’armées non étatiques mais transnationales comme les Rapid Support Forces et de relations financières solides avec l’Islam militant.
Le tout a fini par exploser à la figure du tyran. Et le Soudan avec.
Notre série Soudan(1/4), une histoire chaotique
L’armée soudanaise ouvre un couloir humanitaire inopérant