« Le président Mahamadou Issoufou a été un dirigeant exceptionnel car il rassemblait en lui de grandes qualités : droiture, loyauté, générosité, rigueur et patriotisme ». Tels étaient les mots prononcés par Mohamed Bazoum le vendredi 2 avril 2021 à l’occasion de la cérémonie de son investiture comme président de la République. Connaissant l’homme, aucun des Nigériens qui l’ont écouté ce jour-là ne doutait de la sincérité de ses propos. Toutefois dans la classe politique, nombreux étaient ceux qui avaient un avis contraire. Si aujourd’hui le président Bazoum devrait parler de son prédécesseur il en dirait certainement tout autre chose, et pour cause.
Un article de Samir Moussa
A la veille de la fin de son mandat Mahamadou Issoufou s’est fait construire sur un domaine de plusieurs hectares, dans une banlieue du nord-ouest de Niamey, deux châteaux cossus d’une valeur de plusieurs milliards de francs, équipés avec goût et raffinement.
Le jour où il quitta la résidence présidentielle, au lieu d’investir ses châteaux des mille et une nuits, il fit le choix surprenant d’atterrir à moins de 400 mètres de là dans des villas aux pièces exiguës et à la finition sommaire construites à l’occasion du sommet de l’Union africaine de juillet 2019.
Ces maisons étant dans le périmètre de sécurité de la présidence de la République, il se vit affecter de nombreux éléments de la Garde présidentielle pour assurer sa sécurité.
C’était comme si l’homme éprouvait des difficultés à s’éloigner de ce qu’il avait fini par considérer comme sa zone de confort naturelle. Les Nigériens ne tarderont pas à appeler « l’autre présidence » sa nouvelle demeure. Pour sa part, il ne ménagera aucun effort pour montrer aux observateurs que, même s’il n’est plus président de la République, il en conserve bien des attributs extérieurs : une sécurité rapprochée impressionnante, des audiences de type présidentiel, utilisation du salon officiel du chef de l’État à l’aéroport, etc.
Malgré cela et en dépit de son agenda international surchargé sa nouvelle vie ne semblait pas l’enchanter. Ses visiteurs du soir quittent tous sa demeure avec un certain malaise, tant l’homme est incapable de dissimuler sa nostalgie du pouvoir.
Le maintien du général Tiani à la tête de la Garde Présidentielle (GP) par le président Bazoum va susciter une tentation qui débouchera sur un projet funeste.
Pour Mahamadou Issoufou, le général Tiani c’est ce frère qu’il avait placé à la tête de la GP en 2011 pour assurer sa sécurité et qui s’en était acquitté avec satisfaction. Ensemble, ils avaient organisé la GP de manière à en faire une garde prétorienne de type ethnique, loin des codes républicains. La faute du président Bazoum aura été de ne pas avoir perçu cette réalité pourtant évidente.
Ainsi donc Mahamadou Issoufou n’aura aucune difficulté à convaincre celui qu’il considérait comme son obligé de renverser le président Bazoum, de se proclamer chef de l’État pour une période transitoire en vue de faire adopter une nouvelle constitution, d’organiser une élection présidentielle, à laquelle, lui, se présenterait pour revenir au pouvoir.
C’est un véritable oukase qu’il dicta et qu’il vit s’exécuter le 26 juillet 2023 sans encombres. L’affaire était en effet réglée comme du papier à musique.
En ordonnant ce coup d’État, Mahamadou Issoufou était profondément convaincu que celui-ci passerait comme lettre à la poste. D’abord parce qu’il serait exécuté sans que son auteur ait besoin de tirer un seul coup de feu.
Ensuite il sait pouvoir miser sur « la fatigue des coups d’État au Sahel » de la communauté internationale. Après les doubles coups d’État du Mali et du Burkina Faso en deux ans, un putsch au Niger paraîtrait aux yeux de l’opinion comme quelque chose de naturel. Ce sentiment de fatalité supposé induirait d’après son analyse un effet d’aubaine de nature à mettre tout le monde d’accord sur le fait accompli. La suite va consister à convenir avec la CEDEAO de la durée de la transition et de sa feuille de route.
Le malheur des uns fait le bonheur des autres
Contrairement à ce que Mahamadou Issoufou avait imaginé, les choses vont dans la réalité prendre une tout autre tournure. Le sommet de la CEDEAO du 30 juillet 2023 au lieu de se limiter aux mesures de sanctions habituelles va prendre des mesures draconiennes allant jusqu’à décider de monter une opération militaire en vue de rétablir les institutions renversées.
En pensant bien faire, ce sommet de la CEDEAO a été mal inspiré d’envisager cette opération. Non pas qu’en son principe cette décision soit mauvaise, mais la CEDEAO n’ayant aucune capacité de la mettre en œuvre, elle a eu pour effet pervers de donner aux putschistes l’occasion de légitimer leur forfaiture en agitant le spectre d’une agression du pays à partir de l’extérieur. En outre, la communication inutilement bruyante du gouvernement français à propos du putsch a servi de carburant pour alimenter la mobilisation contre la menace « impérialiste ».
Le débat dès lors n’était plus de savoir si l’on était pour ou contre le coup d’État mais pour ou contre la souveraineté de la patrie menacée.
Le général Tiani ne remerciera jamais assez la CEDEAO de lui avoir donné la chance inespérée de légitimation de son entreprise. Quant à Mahamadou Issoufou, il ne maudira jamais assez la CEDEAO de lui avoir faussé tous ses calculs.
Les erreurs impardonnables de Mahamadou Issoufou
En demandant à Tiani de diriger le pays pendant une courte période de transition, Mahamadou Issoufou avait à l’esprit les expériences vécues par le pays en 1999 et en 2010 à l’occasion des coups d’État perpétrés respectivement par le commandant Wanké et le commandant Salou Djibo. On se souvient que le commandant Wanké avait pris le pouvoir en avril pour le remettre après des élections démocratiques aux civils en décembre de la même année 1999.
Le commandant Salou quant à lui a opéré son coup d’État en février 2010 et remis le pouvoir aux civils en avril 2011 après des élections démocratiques.
Ces coups d’État intervenaient dans des contextes de crises politiques très aiguës et répondaient pour cette raison à une attente très forte des acteurs politiques, de la société civile et des populations de façon générale. C’était aussi un contexte où les idées de démocratie et des libertés bénéficiaient d’un soutien très fort au sein de la société. Ce n’est par hasard que le conseil militaire présidé par Salou Djibo s’appelait Conseil National pour la Restauration de la Démocratie (CNRD).
Les jeunes officiers Wanké et Salou avaient pris des risques exorbitants pour mener leurs actions parce qu’ils considéraient que c’était de leur devoir de se sacrifier éventuellement pour leur pays. C’est pourquoi une fois au pouvoir, leur démarche a été caractérisée par sa netteté, son absence de toute ambiguïté, un respect scrupuleux des libertés démocratiques et un engagement clair en vue de l’organisation des élections.
Le général Tiani quant à lui n’a jamais songé par lui-même à faire un coup d’État. L’idée lui a été suggérée. Il l’a acceptée parce qu’elle n’implique aucun risque a priori et être Chef d’État, ça ne se refuse pas.
En commanditant son coup d’État, Mahamadou Issoufou a totalement ignoré le contexte spécifique du Niger et de la sous-région. Contrairement aux situations de crise politique du Niger en 1999 et en 2010, le Niger de 2023 jouissait d’une stabilité remarquable, venant de réussir sa première transition démocratique. Cette stabilité institutionnelle promettait des avancées significatives sur les plans économique et social.
S’agissant de la sous-région il suffisait à Mahamadou Issoufou d’être un tant soit peu lucide pour voir le comportement des régimes militaires au pouvoir au Mali, en Guinée et au Burkina Faso. Il aurait alors constaté que les coups d’État des années 2020 en Afrique sont génétiquement apparentés aux putschs des années 1970 et s’inscrivent dans une logique antidémocratique revendiquée. Il lui suffisait de se fier à ce qu’il aurait pu sentir de façon intuitive à travers le comportement des régimes kakis voisins pour qu’il comprenne le risque qu’il prend de compter sur la docilité absolue du général Tiani. Mais faire un tel reproche à Mahamadou Issoufou c’est lui reprocher ce qu’il est, un homme profondément narcissique. Son comportement a toujours été celui d’un bébé qui pense qu’il a droit à tout. Tiani ne peut jamais rien lui refuser, pensait-il. Les Nigériens ne peuvent rien lui refuser non plus parce qu’il leur a prouvé qu’il est le meilleur de tous leurs présidents, pense-t-il, alors même qu’il est le seul qui s’est enrichi dans cette fonction et qu’il traîne l’ignoble réputation d’un grand voleur.
Entre-temps, Tiani a réalisé que son mentor ne lui avait été d’aucun secours au moment de ses grandes épreuves lorsqu’il dut son salut aux populations de Niamey sympathisantes de Moden-FA-Lumana. Il a compris l’opportunité que représente la nouvelle situation et a progressivement pris ses distances par rapport à ses engagements originels. C’est pourquoi il a été le plus enthousiaste et le plus engagé pour quitter la CEDEAO au profit de l’Alliance des États du Sahel (AES).
C’est cela aussi qui explique sa posture va-t-en guerre vis-à-vis des partenaires du pays tels que la France, les États-unis d’Amérique, l’Union européenne et le Bénin. Il continue à entretenir délibérément un bras de fer ruineux pour l’économie du pays avec le Bénin à des fins de manipulation de l’opinion en vue de justifier la pérennisation de sa dictature.
Les dégâts de l’hubris
L’aventure de Mahamadou Issoufou avec ce coup d’État contre son propre parti rappelle inévitablement l’histoire de Bellérophon dans la mythologie grecque. Après avoir accompli de nombreux exploits, notamment la capture de Pégase, le cheval ailé, Bellérophon décida de s’envoler sur ce dernier pour rejoindre les Dieux au ciel. Zeus, furieux de cette arrogance, envoya un taon pour piquer le cheval, provoquant ainsi la chute de Bellérophon, qui termina sa vie aveugle et misérable.
Ce destin est illustratif de celui des individus frappés par l’hubris, cette maladie propre à ceux qui ignorent leurs limites. Mahamadou Issoufou s’est en effet lourdement trompé sur les siennes. Son arrogance l’a conduit sur une voie tragique, où il a déjà perdu son prestige et risque de se perdre complètement à l’avenir.
Le soir du 26 juillet 2023, alors qu’il savourait son récent succès, il était loin d’imaginer que son fils Abba, tout puissant ministre du pétrole la veille encore, se retrouverait quelques jours plus tard en prison à Filingué. Ironie du sort, il est incarcéré dans la même cellule où son père avait précédemment fait détenir à deux reprises son ennemi intime, Hama Amadou.
Mahamadou Issoufou n’aurait jamais non plus pensé qu’il puisse un jour se voir refuser une audience par Moussa Faki Mahamat, président de la commission de l’Union africaine. C’est pourtant ce qui lui était arrivé en février 2024 à Addis Abeba au sommet de l’UA au cours duquel il fut traité comme un pestiféré par plusieurs de ses anciens collègues.
« Quand les malheurs arrivent, ils ne viennent pas en éclaireurs solitaires mais en bataillons » disait Shakespeare. Depuis le 26 juillet 2023, Mahamadou Issoufou a pu vérifier cette maxime du célèbre dramaturge anglais.
Ce qu’on sait aussi c’est que là où se joue la tragédie, le comique n’est jamais très loin. Et le comique en l’occurrence c’était la scène de la rencontre des leaders des anciens partis de la majorité présidentielle que fit convoquer il n’y a pas longtemps Mahamadou Issoufou. Il leur a proposé à cette occasion une grande alliance de tous les partis politiques à l’exclusion de Lumana en vue d’imposer aux militaires le retour à l’ordre démocratique. Quelle ne fut la surprise des invités venus chercher le salut auprès de celui qu’ils considéraient comme le deus ex machina du moment, d’entendre son représentant leur demander de s’organiser pour se battre en vue de contraindre les militaires à remettre le pouvoir ! Ce jour-là, s’il avait voulu montrer qu’il a perdu les pédales, il ne s’y serait pas pris autrement.
Pathétique pour un homme qui rêvait de gloire ! Marcel Proust a vraiment raison de dire qu’on n’a rien inventé de mieux que la bêtise pour se croire intelligent.