Moussa Aksar, directeur de publication du journal nigérien L’Evénement, vient de déposer plainte hier contre Aboubacar Hima, alias Petit Boubé, marchand d’armes nigérien au centre du scandale de détournements de fonds au ministère de la Défense. Entretien
Après avoir repris un article de Mondafrique dévoilant l’un des Palais de l’homme d’affaires Aboubacar Hima dans la capitale du Niger, le journaliste a reçu des messages de menace.
Moussa Aksar préside la CENOZO, consortium de journalistes d’investigation ouest-africains. Il est membre de l’International Consortium of Investigative Journalists. Mondafrique s’est entretenu avec ce journaliste menacé dans l’exercice de son métier
« Un audit du ministère de la Défense demande à Aboubacar Hima de justifier 30 à 40 milliards de francs CFA »
Mondafrique. Vous avez déposé plainte après avoir reçu des menaces d’Aboubacar Hima Massi, alias Petit Boubé. Quel est l’intitulé de votre plainte ? Pensez-vous qu’elle va prospérer ?
M.A. J’ai déposé la plainte pour menace de mort auprès du procureur à la date du 16 mars 2020. Je sais que Boubé est très proche du régime : si cette plainte ne suit pas le cours normal, je serai obligé d’agir auprès d’instances internationales.
Mondafrique. Quelle forme ont pris ces menaces ?
M.A. Il m’a d’abord téléphoné sur un numéro que je ne connais pas. Je lui ai répondu que je n’ai pas peur ni de lui, ni de ceux qui l’ont envoyé. Puis il a envoyé ces sms. La nuit même, j’ai informé le procureur à 22h07. Vu son laxisme, j’ai déposé une plainte écrite.
Mondafrique. Connaissez-vous personnellement Aboubacar Hima ?
M.A. Je l’ai connu au tournant des années 2000, alors que je travaillais à Alternative Espace Citoyen, sous la 5e République. Il venait pour produire de petits logos et réaliser des cartes de visite pour certaines personnalités. Il a reçu des marchés sous la 5e République. A l’époque, il avait une grosse imprimerie. Et puis, subitement, sous la 7e République, il est devenu multimilliardaire.
Mondafrique. Que savez-vous de son rôle dans les marchés d’armement ?
M.A. En fait, il a reçu des autorisations d’importation d’armement délivrées par le ministre de la Défense. Et comme il s’agit de marchés de gré à gré, sous couvert de secret défense, beaucoup de choses se sont passées. Il joue les intermédiaires. C’est lui qui achète les armes dans les pays de l’ex Union soviétique et en Chine. Il n’est pas le seul. Il y en a beaucoup d’autres, des semi analphabètes à qui on donne des autorisations d’achat d’armement.
Au total, ils sont une cinquantaine de fournisseurs mais les plus gros marchés, c’est pour lui et des proches du Président. Dans le cadre de l’audit ordonné par le ministre de la Défense, on lui demande de justifier 30 à 40 milliards de francs CFA.
Mondafrique Quels sont les autres protagonistes de l’affaire?
M.A. Les proches du Président et de son entourage.
Mondafrique. Avez-vous une idée des montants concernés par la surfacturation ou la non livraison des marchés révélées par l’audit ?
M.A. Plus de 100 milliards de francs CFA (150 millions d’euros).
Mondafrique Que va devenir cet audit ?
M.A. Jusqu’à présent, il y a eu, au Niger, beaucoup d’audits et de rapports de l’ancienne HALCIA (Haute Autorité de Lutte Contre la Corruption et les Infractions Assimilées.) Tous ces rapports ont été rangés dans les tiroirs de la présidence. Cette fois, c’est l’actuel ministre de la Défense qui a voulu voir clair. C’est un homme intègre. Tout le monde le connaît. Il a ordonné l’audit et comme il a fait ses études en ex-Union soviétique, il a eu accès à tout là-bas. Le rapport est resté au ministère de la Défense. Un comité a été mis en place. On appelle les gens et on leur demande de rembourser. C’est l’astuce qu’a trouvée le régime pour extirper ses complices des mains de la justice. C’est une violation de la loi fondamentale nigérienne. Tout le Niger est indigné. Car le matériel acheté à coup de milliards n’est pas adapté sur le terrain. Les soldats sur le front reçoivent des 12-7 de mauvaise qualité, qui chauffent et qui calent. A mon avis, le scandale durera tant que ce rapport n’aura pas été transmis à des juges indépendants.
Mondafrique. Pourquoi avez-vous repris l’article de Mondafrique ?
M.A. Parce que Mondafrique a révélé que tout cela se passait sous la fenêtre du Président Mahamadou Issoufou, dans un pays pauvre, le dernier de la planète. S’il n’était pas au courant, c’est grave. Et s’il l’était, c’est grave aussi.
Mondafrique. Quelles pressions subissez-vous dans le cadre de la publication de votre journal ?
M.A. L’Evénement est menacé. Il y a trois à quatre ans, le directeur de cabinet du Président, Ouhoumoudou Mamadou, a réuni des directeurs des sociétés et certains ministres et leurs démembrements pour leur intimer l’ordre de ne plus publier d’annonces dans L’Evénement. Certains directeurs m’ont appelé pour me le dire. On nous a aussi étouffés avec les impôts. Donc j’ai migré vers le numérique, avec des journalistes du Bénin. Et désormais, on va produire des mensuels d’enquête.
Les amis et la famille subissent aussi des pressions de tous ordres pour que je vienne soutenir le régime. Les consortiums, Cenozo et ICIG, m’aident beaucoup, surtout en matière d’accès à certaines données. Et puis ces confrères m’ont soutenu et continuent à me soutenir. Je reste déterminé.