Arrivé au pouvoir en avril dernier, le président nigérien Mohamed Bazoum, a décidé de faire de la lutte contre la corruption un des marqueurs de son quinquennat. Un pari audacieux au regard des sommets atteints par le fléau.
« Je serai implacable contre les délinquants parce que j’ai conscience du tort que porte la corruption contre au développement du Niger ». En prenant ses fonctions de nouveau président nigérien, en avril dernier, Mohamed Bazoum s’est engagé à faire de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. La deuxième priorité de son quinquennat après l’école nigérienne.
Gangrène au cœur de l’Etat
Il faut dire qu’il y a urgence à agir, tant le fléau a pris racine au cœur de l’Etat. Déjà présente dans certains secteurs, la corruption s’est brusquement accélérée pendant les deux quinquennats de l’ancien président Mahamadou Issoufou 2011-2021). Elle a surtout pris différentes formes allant des commandes publiques non livrées ou partiellement livrées aux pots-de-vin, en passant par la surfacturation, les dépenses inopportunes. Derrière des projets de construction de grandes infrastructures, grâce aux partenariats publics-privés (PPP), s’est installée une véritable ingénierie de la corruption, des rétrocommissions et d’affairisme des agents de l’Etat. Environ 152 millions d’euros (près de 100 milliards de FCFA) ont été empruntés à la Turquie pour rénover l’aéroport international Diori Hamani dont le niveau de trafic aérien ne justifie pas, aux yeux des spécialistes, un tel investissement. Sur un autre emprunt turc de 37,5 millions (environ 25 milliards CFA), le régime de l’ancien président Issoufou a fait construire un nouveau siège du ministère des Finances à Niamey. Peu après son arrivée au pouvoir, l’ex-président s’était fait acheter en 2014, dans la plus parfaite opacité, un avion présidentiel (Boeing 737-700) pour près de 30 millions d’euros (plus de 20 milliards FCFA). Le contexte sécuritaire liée à la menace terroriste a également créé un terrain propice aux pratiques corruptives dans le secteur de la défense et de la sécurité. Selon un rapport de l’inspection d’Etat, pas moins de 78 milliards (environ 117 millions d’euros) ont été indûment perçus, grâce aux complicités internes, par des fournisseurs du ministère nigérien de la défense.
Paradoxe parfait
La gangrène de la corruption a pu prospérer alors que le Niger dispose des mécanismes administratifs et juridiques pour la prévenir et la guérir. Chaque grande administration dispose en effet d’un système de contrôle interne, secondé par l’Inspection des Finances, l’Inspection générale d’Etat ainsi que la Haute autorité de lutte contre la corruption et les infractions assimilées (HALCIA) et la Cour des comptes. Le problème n’est pas tant une question de texte qu’un manque de volonté politique auquel le président Bazoum s’est engagé à remédier. Ces dernières années, plusieurs dossiers de lutte contre la corruption n’ont pu être traités jusqu’au bout parce que les enquêtes bifurquaient vers les pontes du régime, des militants en vue ou des hommes d’affaires proches du parti au pouvoir.
« Quiconque a une responsabilité dans l’administration publique répondra désormais tout seul et entièrement de ses actes. Son parti politique, sa « base », sa famille, sa communauté ne lui seront d’aucun secours au cas où son comportement devrait commander une mesure coercitive à son encontre », s’est engagé solennellement le président Bazoum.
« Ce n’est pas un homme d’argent »
Le président dispose de quelques bonnes cartes entre les mains pour faire avancer son chantier de lutte contre la corruption. En dépit de très nombreuses fonctions officielles qu’il a occupées ces dix dernières années (ministre d’Etat aux affaires étrangères, ministre d’Etat à l’intérieur, président du parti au pouvoir), on ne lui connait pas d’enrichissement personnel. Le nouveau président n’a pas d’ailleurs été attaqué sur ce terrain par ses adversaires politiques pendant la campagne électorale.
« Ce n’est pas un homme d’argent et il a la sobriété caractéristique des hommes du désert », souligne un observateur étranger qui l’a beaucoup côtoyé.
Au Niger, pays classé dernier de la planète au titre de l’indice du développement humain (IDH) établi chaque année par les Nations unies, la corruption n’est pas seulement une question morale et éthique. C’est surtout un frein pour le développement. Le président Bazoum dispose des quatre prochaines années pour faire avancer son chantier de lutte contre la corruption, à défaut d’y mettre totalement fin. Dans cette œuvre titanesque, ses adversaires pourraient surgir de son propre camp.
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