Série Maroc (1), le multipartisme en coma dépassé

Les taux dérisoire de participation lors des récentes élections législatives partielles, cet automne, montrent que les marocains, comme les Français au printemps 2017 n’accordent plus aucun crédit aux vieux partis politiques.

Un an après les élections législatives qui avaient vu en octobre dernier le succès des islamistes, la vie politique marocaine semble totalement atone. Au point que les électeurs qui ont daigné se déplacer lors des dernières élections partielles ont été seulement 5%, puis 7% du corps électoral. Tout aussi grave, ces citoyens vertueux qui ont accompli leur devoir électoral n’ont pas accordé leur confiance au PJD, le mouvement qui était arrivé en tète lors du scrutin précédent. Ce troisième tour électoral révèle en tout cas le désarroi de l’opinion publique.

Un multipartisme précoce

Ce désaveu est d’autant plus cinglant que dès les années de l’indépendance un système de partis largement concurrents et autonomes par rapport au Palais existait au Maroc. La monarchie avait pris un temps d’avance sur un Boumedienne en Algérie et un Bourguiba en Tunisie qui avaient imposé dans leurs pays le système du parti unique. Il faut en effet avoir en tète l’histoire de l’USFP, le parti socialiste marocain, qui fut dirigé tour à tour par un Ben Barka sans concession et par des successeurs sans complaisance, avant de voir un des leurs nommé par Hassan II chef de gouvernement.

Dans un passé plus récent et alors que la tentation autoritaire n’avait pas épargné certains cercles du pouvoir confrontés au terrorisme des années 2003-2005 , le multipartisme marocain retrouva des couleurs lors du printemps arabe de 2011. La monarchie marocaine qui avait laissé se créer sous le rêgne d’Hassan II dès la fin des années 1990 un mouvement islamiste, prit le risque calculé de confier au chef de cette mouvance, Abdelilah Benkirane, la direction du gouvernement.

Pourquoi alors cette panne, ces derniers mois, du système politique marocain? Comment en est-on arrivé à ce parlementarisme sans électeurs, à ce gouvernement sans soutien populaire qui dut, non sans mal, affronter des révoltes dans la région du Rif, plus prohes de jacqueries spontanées que de mouvements structurés?

L’essai non transformé

Il faut revenir aux dernières élections législatives qui ont eu lieu sans fraude ni contestation. L’essai n’a pas été transformé. Deux sortes de raisons expliquent cet échec: les premières constitutionnelles et les secondes tenant au fonctionnement des partis politiques.

La constitution proposée par Mohamed VI et adoptée à une immense majorité présentait une lacune grave. Ce qui valut d’ailleurs au professeur de droit et auteur d’une partie du texte d’être renvoyé, depuis, à ses chères études.

Certes, le texte prévoyait que le chef du gouvernement serait issu du parti arrivé en tète et nommé par le Roi, mais sans autre précision. D’où le malentendu entre le Palais et Benkirane, le chef du PJD arrivé en tète. Mohamed VI estimait qu’il lui appartenait de choisir la personnalité à même de remplir au mieux les fonctions de chef de gouvernement, comme c’est le cas dans des pays comme la France ou les Etats-Unis. Ce qui n’était pas l’avis de Benkirane, chef de parti et Premier ministre sortant, qui a tenté de conserver de facto ses fonctions.

Tentations hégémoniques

Lorsque les palabres débutèrent, l’automne dernier, sur la formation d’un éventuel gouvernement Benkirane, les prérogatives respectives du Roi et de son Premier ministre n’avaient pas été, à ce stade non plus, parfaitement définies. Ainsi le chef du PJD avait alors la prétention de nommer une partie de ses ministres en dehors de son propre mouvement, avec l’envie d’élargir son assise au delà de son socle électoral. En cela, Abdelilah Benkirane est un bon disciple des Frères Musulmans qui songent autant à leur enracinement dans la société qu’à la conquête du pouvoir.

Encore fallait-il que cette stratégie fasse partie des règles du jeu admises entre le Palais et le gouvernement. Or Mohamed VI ne jugea pas les prétentions de Benkirane équitables dans la mesure où dans son esprit, c’était à lui, et à lui seul, de veiller à la tète de l’Etat à l’équilibre de la machine gouvernementale. Y compris pour le choix de ministres industriles ou figures de la société civile. Deux visions donc, un profond malaise, voici les tristes lendemains d’un scrutin incontestablement réussi.

Autant de malentendus qui ajoutés aux susceptibilités et ambitions des uns et de autres au sein des partis, expliquent les palabres interminables qui ont présidé à la constitution d’un gouvernement, finalement dirigé par un autre dirigeant du PJD. Nommé en avril 2017, Saâdeddine El Othmani est un psychiatre sans grand relief ni grand passé. A peine nommé, cet auteur d’ouvrages de droit islamique a veillé à changer l’ameublement de la résidence du Premier ministre. « Une façon, explique en souriant un bon observateur de la vie politique, de montrer au Palais les limites toutes alimentaires de ses ambitions ».

Du coup, le mouvement islamiste est divisé entre pro et anti Benkirane, du moins jusqu’au congrês de décembre 2017 que tout le monde à Rabat attend avec une certaine impatience mélangée d’inquiétude.

Dans le deuxième volet de notre série,  » l’Istiqlal, la perte des repères » 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)