Le 7 octobre 2016, les électeurs marocains se rendront aux urnes pour arbitrer l’un des matchs politiques les plus incertains des trois dernières décennies. En effet, après avoir croisé le fer en 2009 lors des élections communales, le PJD et le PAM se sont affrontés en marge du printemps arabe lors des législatives de novembre 2011 puis en 2015 lors des élections communales et régionales. Ces deux derniers scrutins ont vu le triomphe des islamistes qui dirigent aujourd’hui le gouvernement et gèrent une vingtaine de grandes villes. C’est dire que pour le PAM, le rendez-vous du 7 octobre prochain est crucial. Selon plusieurs observateurs, il y va même de la survie de ce parti créé pour faire barrage à l’islam politique.
Aux origines d’une hostilité
L’animosité entre le PAM et le PJD date de 2008. A l’époque, la création d’un mouvement baptisé Mouvement pour Tous les Démocrates (MTD) par l’actuel conseiller du roi, Fouad Ali El Himma, et un aréopage d’anciens détenus gauchistes, est perçue par le PJD comme une agression. Le MTD veut inciter les partis politiques à se renouveler et le personnel politique à se défaire de pratiques jugées archaïques afin de mieux faire face à un islam politique perçu comme importé d’Orient. Si le diagnostic du MTD est bon, les méthodes utilisées vont rapidement être décriées par l’ensemble de la classe politique, l’USFP, l’Istiqlal, le PPS et bien sûr le PJD. Un parti islamiste couvé lui-aussi au sein du palais par le truchement d’Abdelkrim El Khatib, un aristocrate rifain très proche de l’ex roi Hassan II.
D’un club de réflexion, le MTD s’est rapidement mu en un parti politique, le Parti de l’Authenticité et de la Modernité (PAM) regroupant des notables des autres formations politiques et de militants gauchistes. Un panachage qui, s’il permet d’emporter largement les communales de 2009, n’arrive pas à stopper l’avancée des islamistes dans les villes. De leur côté, les islamistes débarquent leur secrétaire général de l’époque, Saâdeddine El Othmani, trop mou et trop conciliant à leur goût. Ils le remplacent par un tribun haut en couleurs, Abdelilah Benkirane. En 2011, l’allumette qui a immolé Mohammed Bouazizi en Tunisie et qui a emporté plusieurs régimes arabes a failli complètement balayer le PAM.
Printemps islamiste
Après des manifestations sporadiques, Mohammed VI dote le royaume d’une constitution plus libérale que toutes celles que le pays a connues jusqu’alors. Le PAM se met en retrait. De son côté le PJD, officiellement opposé aux manifestations des jeunes réclamant plus de démocratie, surfe habilement sur la vague du printemps arabe. Abdelilah Benkirane matraque à longueurs de discours que le temps du changement est arrivé. Par changement, le chef de file des islamistes veut tout simplement dire « un changement d’élite ». Chose qui se concrétise après la victoire du PJD lors des législatives de 2011.
Le parti accède à la primature et rafle une dizaine de ministère. Il nomme également plusieurs dizaines de cadres dans l’administration. « Ce qui a été un printemps démocratique est en train de virer en un automne islamiste », s’écrient alors en chœur les leaders des autres partis politiques, le PAM, l’USFP et l’Istiqlal. Le gouvernement de Benkirane qui bénéficie de la majorité au parlement et du soutien du roi ne flanche pas. Mohammed VI tente, tant bien que mal, de conserver l’équilibre entre les forces politiques et les institutions.
Tribun roublard et bête politique, Benkirane troque quant à lui chaque fin de semaine sa casquette de chef du gouvernement pour celle de leader de l’opposition. L’exercice est périlleux mais lui garantit la sympathie d’une partie de l’opinion publique. Un mélange des genres qui brouille quelque peu les cartes du jeu politique marocain.
Benkirane agace le roi
Et Benkirane ne s’arrête pas là. Par voie de presse, il évoque sa relation avec le roi, dévoile la teneur de ses entretiens avec lui, révèle quelques intimités. Des libertés qui lui valent les foudres du souverain chérifien. Dans les cercles proches du pouvoir, on s’interroge sérieusement sur l’avenir politique de Benkirane. Un homme aussi clivant que lui peut-il continuer à la tête du gouvernement au moment où le royaume semble coupé en deux entre modernistes et islamistes ? Rien n’est moins sûr, surtout que le palais n’a manifestement plus confiance en l’actuel chef du gouvernement.
Reste que sa reconduction à la tête du gouvernement dépend de l’issue du scrutin du 7 octobre. Les islamistes dont le bilan des cinq dernières années n’est pas des plus brillants ont déçu, notamment la classe moyenne urbaine. Benkirane n’a pas pu atteindre le taux de croissance de 7 % promis haut et fort dans son programme gouvernemental et l’endettement public un fait un bond spectaculaire.
Une situation qui pourrait profiter au PAM, éternel rival des islamistes déterminé à se hisser à la première place lors des prochaines échéances.