Dans un entretien avec Mondafrique, Michel Moawad, chef du « Mouvement pour l’Indépendance », qui a démissionné du parlement libanais durant l’été 2020 après l’attentat du port de Beyrouth, estime que les mobilisations populaires doivent trouver « une consolidation politique » d’ici les prochaines élections législatives dans un an.
Issu d’une grande famille chrétienne maronite du Nord du Liban, Michel Moawad est le fils de René Moawad, président de la République libanaise pendant dix sept jours, du 5 au 22 novembre 1989, avant d’être assassiné lors d’un attentat à la voiture piégée. Après avoir été élu en 2018 sur la liste du Courant Patriotique Libre (CPL) du Président actuel, Michel Aoun, ce député en vue se démarque souvent du gouvernement pour démissionner finalement de son mandat quelques jours après l’explosion meurtrière qui se produisit, le 4 août dernier, dans le port de Beyrouth. En s’inscrivant ainsi dans l’opposition au président Aoun et en travaillant à la recomposition de la classe politique libanaise, Michel Moawad apparaît aujourd’hui comme un des candidats crédibles pour la succession de Michel Aoun qui devrait intervenir en octobre 2022.
Voici l’entretien que Michel Moawad a accordé à Nicolas Beau, fondateur du site Mondafrique
Mondafrique. Que pensez-vous des initiatives françaises pour favoriser une sortie de crise au Liban ?
Michel Moawad. On a assisté ces dernières semaines à un incontestable virage de la diplomatie française. Lors de sa dernière visite au Liban, plutôt que de continuer à parier sur la capacité des forces au pouvoir à entreprendre des réformes, Jean Yves Le Drian a cherché le contact avec des personnalités de la société civile et de l’opposition avec un message très clair dans la forme comme dans le fond. J’ai été invité à le rencontrer en présence de formations principales de l’opposition, et je l’ai fait bien volontiers.
L’approche d’Emmanuel Macron, l’été dernier, avait été de donner une chance aux partis au pouvoir pour former un gouvernement de mission et entreprendre des réformes. Malheureusement, les faits ont prouvé encore une fois que tout changement est contraire à l’idée que ces partis politiques, qui représentent une alliance, fatale pour le pays, entre une milice et des « mafias » corrompues, se font de leur survie. Nous vivons avec un État faible, une milice forte, des frontières poreuses, et un système clientéliste, corrompu et dysfonctionnel. Les forces au pouvoir, malgré leurs batailles intestines et divergences évidentes, feront tout pour empêcher quiconque de toucher à cet état de fait qui permet aux uns (notamment le Hezbollah) d’asseoir leur projet régional et aux autres de s’agripper au pouvoir, et ce, quel que soit le coût pour le pays et pour l’ensemble des Libanais. Comment voulez-vous par exemple, que n’importe quel Gouvernement issu de ces forces politiques réforme le système judiciaire, et ce quelles que soient les pressions pratiquées par le Président Macron, sachant qu’une justice indépendante sera amenée à les juger très vite.
Du coup, la seule solution passe par le changement de ces forces au pouvoir, et ce changement, si nous ne voulons pas aller vers une confrontation sanglante qui ne fera que plonger le pays encore plus dans le chaos, ne peut se faire institutionnellement et démocratiquement que par des élections législatives. Comme les partis au pouvoir se sont opposés à des élections législatives anticipées qui avaient été inscrites pourtant dans la première feuille de route libanaise d’Emmanuel Macron, nous sommes obligés d’attendre les prochaines élections législatives. Est ce qu’on tiendra encore un an dans la situation actuelle sans sombrer dans le chaos total ? C’est toute la question dans un pays qui vit à la fois une crise financière, économique, sociale, politique et systémique. C’est pour cela que je pense que la France et la communauté internationale, doivent nous aider à faire pression pour un gouvernement de transition constitué d’indépendants, qui aurait pour objectif de lancer les réformes nécessaires et d’organiser des élections libres, et non un simple gouvernement de mission formé de « technocrates » issus de ces forces politiques, qui, s’il se forme (et je doute fort), ne fera que protéger la structure milicienne et mafieuse actuelle.
Mondafrique. Pourquoi avez-vous démissionné de votre mandat de député très peu de jours après l’explosion du Port de Beyrouth, le 4 août 2020 ?
Michel Moawad. Il s’agissait de lancer un triple message : un message éthique et d’empathie pour le peuple Libanais atteint par la déflagration ; une remise en cause et un aveu d’échec de mon choix politique sur la base duquel j’ai été élu en 2018, et qui consistait à parier sur la possibilité d’être une force de réforme de l’intérieur ; enfin un message de mobilisation pour participer à structurer l’opposition et les forces de changement.
Paradoxalement, l’explosion du Port de Beyrouth est en train d’accélérer le processus d’agrégation de cette société civile en mouvement
Mondafrique. Quelles sont les réformes les plus urgentes à mettre en œuvre ?
Nous devons restaurer la souveraineté du pays, et imposer une politique de neutralité du pays. N’importe quelles réformes ont besoin d’un État capable de les implémenter, et le Liban ne peut pas se sortir de cette crise et espérer le soutien arabe et international dont il a besoin en restant une base avancée de la stratégie expansionniste de l’Iran.
Il faut aussi réformer notre système de gouvernance miné par une sorte de vétocratie qui permet à chacun des six chefs de clans avec leurs alliés d’avoir un droit de veto et donc de bloquer toute réforme sous prétexte de protéger les « droits » des confessions. Il s’agit enfin de mettre les bases d’une économie de marché plus productive et de favoriser une restructuration financière plus juste à laquelle doivent participer par priorité l’État, les banques et les gros déposants, et non pas faire payer au seul peuple et à ce qu’était la classe moyenne l’essentiel de la facture comme c’est le cas aujourd’hui. Il est aussi essentiel dans cette période transitoire de mettre en place un système de protection sociale qui permette d’une part de passer la période difficile en gardant un minimum de stabilité sociale, et de l’autre d’empêcher les partis au pouvoir de profiter de l’appauvrissement des gens pour renforcer les structures sociales clientélistes et empêcher le changement.
Je voudrais terminer en disant que de n’approcher que la question des réformes financières sans prendre en compte les autres aspects de la crise, ne fera que refinancer le système milicien et mafieux actuel au détriment de ce qui reste de l’argent des déposants et de l’ensemble des Libanais
Mondafrique. La déconfessionnalisation fait-elle partie de vos priorités?
Michel Moawad. Le système actuel ne fonctionne pas et nous devons en effet trouver un meilleur équilibre entre la citoyenneté et la diversité, en instaurant un État civil décentralisé, plutôt que la vétocratie actuelle. Les deux concepts (État civil et décentralisation) sont présents dans l’accord de Taëf. Il s’agit donc d’appliquer ces accords dans une logique institutionnelle et moderniste, plutôt que dans une logique clanique au détriment des institutions, de la citoyenneté, et d’un État fort, comme c’est le cas actuellement.
Mondafrique. Les mobilisations populaires que le Liban a connues depuis octobre 2019 peuvent-elles trouver une traduction politique ?
Michel Moawad. On a assisté à l’éclosion de centaines de « start-up » qui ont toutes plaidé pour leurs propres revendications catégorielles. Ce mouvement civique qui a existé avec ses rêves et aussi ses erreurs doit réussir, pour atteindre ses objectifs, à opérer une consolidation politique cohérente. Ce à quoi nous travaillons.
Mondafrique. Peut-on parler d’un consensus entre ces nouvelles forces sociales ?
Michel Moawad. Aujourd’hui, trois grandes sensibilités coexistent au sein des forces d’opposition. La première, très à gauche, privilégie la question de la corruption et de la justice, en plaidant pour plus d’État, tout en ayant surtout une relation ambiguë, parfois même douteuse, vis-à-vis de la question du Hezbollah. À l’opposé, une seconde sensibilité, juge prioritaire la question de la souveraineté nationale, face au Hezbollah notamment, sans vraiment approcher les problèmes de corruption, de gouvernance, de modèle économique, et de restructuration. La troisième sensibilité, dans laquelle le « Mouvement de l’Indépendance » que je préside se positionne, considère qu’il faut à la fois approcher les problèmes de souveraineté, de gouvernance, de modèle économique et de réformes structurelles pour sortir de la crise existentielle multidimensionnelle dans laquelle se trouve le pays.
Je pense qu’il est essentiel que ce centre souverainiste et réformiste dans sa diversité et ses différentes mouvances s’organise en front, pour pouvoir représenter une alternance crédible, et former le centre de gravité d’un consensus entre les nouvelles forces sociales comme vous les avez appelées. C’est exactement ce sur quoi nous travaillons.
Mondafrique. Les nouvelles orientations du président américain, Joe Biden, à l’égard de l’Iran vous paraissent-elles aller dans le bon sens ?
Michel Moawad. La logique qui est à l’œuvre aujourd’hui dans la recherche d’un accord entre l’Iran et les États Unis repose exclusivement sur la base d’un accord sur le nucléaire. Mais l’apaisement recherché de bonne foi n’est pas forcément synonyme de stabilité pour la région. Le risque que représente un tel accord est de voir l’Iran redevenu prospère financer les milices et continuer à affaiblir les États que ce soit en Irak, en Syrie, au Liban ou au Yémen et finalement déstabiliser la région. Il faut se souvenir de l’accord qui fut signé à Munich en 1938 entre Hitler et les occidentaux qui consacra l’annexion des Sudètes, une partie de la Tchécoslovaquie. On croyait œuvrer pour la paix. Ces accords ont fini pr précipiter la guerre en laissant penser à l’Allemagne que tout lui était permis.
Mondafrique. S’il fallait comparer Joe Biden et Donald Trump sur le plan diplomatique, où iraient vos préférences ?
Michel Moawad. Je dois avouer que, concernant le seul dossier iranien, l’approche de la « pression maximale » dans le but d’aboutir à un accord plus exhaustif me parait plus adéquate.