La Mauritanie, un pays au bord du gouffre

L'opposant mauritanien Marega Baba Assia dresse un tableau sombre de la Mauritanie d'aujourd'hui.

Malgré de graves menaces qui pèsent sur le pays, le régime poursuit sa politique de fuite en avant. Un aperçu sur la situation politique, économique, sociale et des relations extérieures du pays font craindre le pire dans les semaines ou les mois à venir.

Tous les voyants sont au rouge. Le pays fait face à une crise politique qui perdure depuis 2008, c’est-à-dire depuis l’avènement du régime putschiste. Tous les espoirs de dialogue ont été systématiquement  sabotés ou trahis par ce régime. C’est ainsi que depuis 2008 à ce jour,  tous les engagements pris ou les accords signés par Ould Abdel Aziz  et son gouvernement avec tous les partis politiques se sont avérés être des leurres. On peut citer entre autres, les accords de Dakar « parrainés » par la communauté internationale signés en Mauritanie, les accords signés avec la coalition AP jamais respectés… Toutes ces défaillances, cette incapacité à tenir les engagements pris ont fini par convaincre les plus optimistes que ce pouvoir manque de crédibilité, de sérieux, d’honnêteté et de volonté.

Si le pouvoir est sincère et veut réellement un dialogue positif  dans l’intérêt du pays il doit commencer à œuvrer pour  la décrispation du climat politique et social en libérant immédiatement les prisonniers d’opinion et les prisonniers politiques en instaurant de relations plus sereines avec l’opposition. Mais malheureusement c’est au contraire que nous assistons. Le dialogue est devenu pour ce pouvoir un slogan pour occuper l’opinion.

Tensions socio-économiques 

Après l’attribution « du trophée » peu enviable du pays le plus esclavagiste du monde malgré les lois criminalisant cette pratique, après s’être hissé au 124ème échelon des 177 pays les plus corrompus du monde, malgré les engagements en apparence pris contre la gabegie et la corruption, après s’être distingué comme l’une des plus grandes plaques tournantes du trafic de drogue mondial, la Mauritanie est aujourd’hui à nouveau au ban de la communauté internationale.

Depuis quelques jours, notre pays fait l’objet de condamnations qui fusent de partout à travers le monde sur les arrestations injustes et les condamnations injustifiées  des militants, dirigeant de l’organisation anti esclavagiste « IRA », de journalistes et d’autres membres des organisations, en particulier des droits de l’Homme. L’objectif de cette vaste répression vise à réprimer toute expression ou opinion contradictoire et toute dénonciation des injustices multiformes qui mettent en danger l’unité nationale : de l’esclavage à d’autres formes de discrimination vet au racisme qui s’éternis encore sous des formes pernicieuses.

En réalité, tout le tapage fait par le pouvoir au sein des instances internationales pour vendre les mesures prises pour éradiquer ces fléaux n’est rien d’autre que de la poudre aux yeux destinée à tromper la vigilance de la communauté internationale.

La Mauritanie est l’un des pays les plus pauvres du monde malgré ces immenses ressources. Elle reste par ailleurs un pays bloqué politiquement et dont l’unité nationale est mise en danger par la politique chauvine du pouvoir qui réveille tous les démons de la société: communautarisme, tribalisme, « ethnicisme », questions identitaires, racisme… Enfin, le pays se situe dans un environnement sous-régional fragile, en proie à la déstabilisation par de multiples menaces notamment terroriste.

Le pouvoir joue la carte de l’inconséquence, parfois de la provocation. Il suscite ou prête le flanc à des tensions inutiles avec les pays voisins. La chasse aux ressortissants de ces pays est quotidienne, menant à des contrôles au faciès à répétition, à des arrestations arbitraires accompagnées de traitements dégradants. Le régime mauritanien va même jusqu’à adopter une attitude de complicité tout au moins de complaisance avec certaines organisations terroristes qui tentent déstabiliser un pays frère comme le Mali.

Corruption à tous les étages

En 2009, alors candidat à la Présidence de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz, avait surfé sur un rhétorique de défense des pauvres et des laissés-pour-compte. Il avait ainsi réussi à capter toutes les frustrations, toutes les détresses, et s’était placé par son discours, en « réparateur des torts, d’injustice. Aujourd’hui, rien n’a été fait. La gabegie, dont Mohamed Ould Abdel Aziz a pourtant prétendu être le pourfendeur atteint des proportions jamais égalées ces trente dernières années : des scandales sont révélés chaque jour par la presse locale : marchés complaisants du ministère de la santé, devenu la chasse gardée d’un seul fournisseur, fortement lié à Ould Abdel Aziz lui-même, marchés BTP octroyés tout aussi complaisamment à un autre élu proche du chef du régime, sociétés d’Etat transformées en commissionnaires et sous-traitantes de personnes ou d’entreprises en relation avec des hommes du pouvoir (scandale Boforce/ENER), des financements dissipés sans laisser de trace. A l’heure actuelle, l’UE demande des justificatifs pour 19 millions d’Euros dont la destination demeure inconnue – et d’autres non budgétisés à ce jour (les 50 millions de Dollars un dont saoudiens), administrations asservies à des privés influents par népotisme, etc.

Un lobby puissant a fait main basse sur le secteur de l’Import-export, les BTP et les banques, sans compter le scandale de la SONIMEX qui défraie la chronique ces jours-ci. Notre pays est entré de manière avancée dans une économie quasiment de mafia organisée. La corruption a atteint un niveau grave et inquiétant. L’un des derniers scandales en date a été révélé par le quotidien Le Monde dans son édition du 4 octobre 2015 signé par Joan Tilouine et Xavier Monnier. L’article révélait l’existence d’une enquête pour corruption de la « Securities and Exchange Commission’’ des États-Unis (la «SEC » – organisme fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers) qui vise depuis une année l’entreprise canadienne Kinross Tasiast qui exploite une mine d’or en Mauritanie.

Coke en stock

Autre affaire inquiétante : le journal en ligne Taqadoumy s’est procuré des enregistrements audio qui relatent des conversations entre l’actuel président mauritanien (Chef d’Etat-major particulier, aux moments des faits), Mohamed Ould Abdel Aziz et un gang de trafiquants. Le gang, spécialisé dans l’arnaque visant les riches et les hommes d’affaires, est dirigé par un étranger dénommé Victor et compte parmi ses membres un Malien du nom de « Amadou Omar ».

D’autres faits font peser de lourds soupçons sur les relations entre le pouvoir et les barons de la drogue en Mauritanie. Les personnes arrêtées suite à la découvert d’un bus à Nouakchott contenant 600kg de cocaïne ont tous été libérés par la grâce présidentielle. En février 2010 l’armée avait également découvert un convoi de six tonnes de drogue et procédé à l’arrestation de 21 convoyeurs. Avant la fin de l’année ils ont été tous libérés et leurs véhicules restitués à l’insu de la justice. Pire, le neveu du Président, Hamadi Ould Hmeïda Ould Bouchraya incarcéré à la prison de Dar Naïm, à Nouakchott, après sa dénonciation par un officier espagnol d’Interpola été libéré sans procès.

Le 15 décembre 2010, Antonio Injai, lieutenant-général et Chef d’Etat-major de l’armée en Guinée-Bissau est reçu par le président mauritanien Aziz. Injai figure encore aujourd’hui, en tête de liste des personnalités militaires que l’Union européenne sanctionne d’interdiction de déplacements et de gels d’avoirs, pour de multiples violations des droits de l’Homme, atteinte à la démocratie et l’implication dans le trafic des stupéfiants, à l’échelle du continent.

Eric Walter Amegan, prénommé aussi « Mika » est un franco-congolais âgé de 27 ans, au moment de son extradition le 20 janvier 2009, par le Sénégal, vers la Mauritanie. Principal suspect dans les diverses affaires de transit de drogue qui secouent le pays, il se singularise des autres détenus, par la densité et la précision de ses aveux. Il y livre les noms des réseaux avec lesquels il coopère, outre-Atlantique et en Guinée Bissau. Il raconte par ailleurs avoir participé à la séquestration puis à la torture de son complice Mini Ould Soudani avec l’aide de Sid ‘Ahmed Ould Taya, officier de police mauritanien et correspondant d’Interpol dans le pays. Il reconnait avoir projeté de faire atterrir, en Mauritanie, un avion chargé de stupéfiants en provenance de l’Amérique Latine. Condamné à 15 ans comme sa victime, un décret présidentiel du 15 février 2011, leur accorde une réduction de peine de 5 ans. Le 13 juillet 2011, Eric Walter et 30 des 32 prévenus sont acquittés par la Cour d’appel de Nouakchott.

Dans son édition du 15 mai 2003, l’hebdomadaire arabophone « Akhbar.info » publie un article relatif à des audiences que le président Mohamed Ould Abdel Aziz aurait accordé à de notoires narco trafiquants, dont au moins un inscrit en tête d’affiche des personnes les plus recherchées par Interpol et un autre, recherché par la justice mauritanienne. Ces personnes auraient, selon l’hebdomadaire, plusieurs fois franchi la frontière pour participer aux réunions intensives que les ressortissants du Nord Mali ont tenu en territoire mauritanien. »  Le député français EELV, Noël Mamère, avait révélé dans un débat télévisé sur le Mali diffusé par la chaîne Arte, le lundi 21 juin 2013, que Mohamed Ould Abdel Aziz est un « parrain du trafic de drogue ». Le député avait du retirer ses accusations suite une plainte d’Ould Abel Aziz et probablement d’énormes pressions.

Complaisance terroriste

Plus récemment, le 3 août 2015, la libération du terroriste Sidi Mohamed Ould Mohamed Ould Bouamama dit Sanda Ould Bouamama, ex porte-parole du groupe Ansar Eddine dirigé par Iyad Ag Galy a généré une levée de bouclier de la part des ONG de défense des droits de l’homme. Ould Bouamama est visé par un mandat d’arrêt international émis par les autorités judiciaires maliennes et par des plaintes des victimes des crimes graves commis au Nord du Mali, notamment à Tombouctou. Il est également poursuivi par la justice malienne pour crime contre l’humanité, crime de guerre, crime de génocide, meurtres et assassinats, atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat, association de malfaiteur, extorsion de fonds, actes de terrorisme et trafic international de drogues dans le dossier « Ministère Public contre Iyad Ag Galy et 29 autres » instruit au tribunal de grande instance de la commune 3 du district de Bamako.

Enfin, le narcotrafiquant El Hadj Ahmed Brahim, accusé de trafic de drogue entre la Mauritanie et le Maroc, vient d’être libéré par la justice mauritanienne. Il a été relâché, sans comparution, par décision de la justice mauritanienne après son arrivé à la prison centrale de Nouakchott le lundi 21 septembre 2015.

 

Marega Baba