Le militant Moussa Biram écrit dans une lettre ouverte publiée par « le Monde » sa détermination à poursuivre son combat contre l’esclavage depuis une prison du désert mauritanien où il est en détention depuis cinq cents jours avec Abdallahi Mattalah.
Ce matin encore, comme depuis cinq cents jours, nous nous sommes réveillés en prison. Cela fait plus de seize mois que mon ami Abdallahi et moi sommes éloignés de nos familles et amis, détenus dans ce no man’s land, au milieu du désert de Bir Moghreïn, à la pointe nord de la Mauritanie. Ici, nos journées restent noires, chaudes, sans contact humain extérieur et sans possibilité d’échanger avec nos codétenus, en majorité des condamnés à mort.
Nous sommes donc en prison depuis cinq cents jours privés de voir les êtres chers qui comptent dans notre vie : nous ratons les sourires innocents de nos enfants et manquons des moments privilégiés avec nos épouses et amis. Nous sommes en train de payer le prix fort de notre lutte pacifique contre l’esclavage et la discrimination en Mauritanie.
Abdallahi et moi sommes certes nés libres, mais nous sommes tous deux des descendants d’esclaves. Dans notre pays, la Mauritanie, la pratique de l’esclavage — bien qu’interdite — se perpétue. Des familles entières appartiennent encore à la famille de leurs maîtres, et sont contraintes de servir toute leur vie leurs propriétaires
Pour ce combat, Abdallahi et moi avons été condamnés depuis le 23 novembre 2016 à… mille quatre-vingt-quinze jours de prison ferme (trois ans). Nous avons été torturés pendant les premiers jours dans une prison secrète à Nouakchott. Les autorités mauritaniennes nous reprochent d’avoir participé à la manifestation de la Gazra de Bouamatou, un bidonville de Nouakchott où, le 29 juin 2016, les habitants, à majorité des Haratines (communauté d’esclaves arabisés et leurs descendants, environ 40 % de la population) menacés d’expulsion, avaient organisé une manifestation spontanée. Pourtant, nous n’avions ni participé ni organisé cette manifestation.
La vérité est que notre seul crime est cette lutte pacifique que nous menons contre l’esclavage et la discrimination en Mauritanie.
Ce matin, j’avoue, je ne sais pas très bien ce que je ressens. Cette détention est certes la première pour mon codétenu Abdallahi et moi, mais je n’ai absolument pas l’impression qu’elle sera la dernière pour nous ou pour nos camarades de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA, dirigé par l’opposant Biram Dah Abeid). Comme aime le répéter Abdallahi, « les jours de prison ont triplé notre détermination. »
Depuis notre arrestation, nous avons été pris dans un cycle infernal : humiliation devant nos jeunes enfants et épouses, détention durant plusieurs jours dans une prison secrète, tortures, simulacre de procès, refus du procureur d’ouvrir une enquète sur nos allégations de torture alors que nous présentions des cicatrices apparentes. Et pour couronner le tout, depuis décembre 2016, nous avons été transférés il y a dix mois à la prison de Bir Moghreïn, à 1 100 kilomètres de la capitale Nouakchott et de nos familles. Nous refusons toutefois que nos amis et familles traversent cette zone dangereuse, sans route goudronnée ni piste, seulement pour nous rencontrer
Aujourd’hui, après cinq cents jours durant lesquels nous avons été baladés entre quatre prisons dont une secrète, nous ne savons pas à quoi nous en tenir. Nous avons fait appel de notre condamnation. Nous attendons depuis un an que la Cour suprême ouvre notre dossier.
En ce cinq-centième jour, nous souhaitons, Abdallahi et moi, remercier nos amis et familles pour leur solidarité et leur détermination. Le isouvenir de leurs visages déterminés aperçus la nuit avant notre inculpation par le parquet renforce chaque jour notre courage.
Nous devons continuer à avoir le courage de changer le monde et de défendre ceux qui se battent contre l’esclavage en Mauritanie. Car, comme le dit Martin Luther King, « toute injustice, où qu’elle se produise dans le monde, est une menace pour la justice partout ailleurs. »