Depuis les élections d’octobre dernier qui ont vu la victoire des islamistes du Parti de la Justice et du Développement (PJD), Abdelilah Benkirane, chef du PJD et Premier ministre sortant, aura été la principale source du blocage que le Royaume chérifien a connu dans ses malheureuses tentatives de trouver une nouvelle majorité gouvernementale. C’est du moins l’impression que donnent les confidences des principaux acteurs de ce long mélodrame, alors qu’un nouveau Premier ministre islamiste, Saâddeddine El Othmani, vient d’être intronisé par le souverain marocain Mohamed 6. Les langues se délient. Et plusieurs figures du mouvement islamiste ne sont pas les dernières à traduire leur
Docteur Jekyll et Mister Hide
Chef du gouvernement désigné début octobre 2016, au lendemain de la brillante victoire du PJD aux législatives, Abdelilah Benkirane était auréolé de ce succès sans précèdent dans l’histoire contemporaine du Maroc. Mais les palabres s’éternisant entre les principales formations politiques marocaines, le leader du PJD a multiplié les sorties hasardeuses égratignant ses adversaires, surprenant ses amis et importunant le Palais royal. Ses qualités de tribun parfois excessif qu’il fut pendant la campagne électorale furent autant de défauts pour construite avec doigté une coalition parleementaire.
Pendant cinq mois, le patron, jusque-là, incontesté des islamistes a exhibé ses muscles politiques ainsi que ses talents d’orateur, montrant qu’il n’acceptera pas les seconds rôles. Plus les pourparlers se sont éternisés, plus Benkirane s’est montré jaloux de ses prérogatives, redoutable négociateur aussi fier qu’intransigeant. Face à la coalition de quatre partis politiques qui lui tenaient tête, il sort ses griffes, distribue les mauvais points et recourt à sa tactique habituel : pilonner, taper et acculer.
Un western sauce marocaine
Dans les hautes sphères de l’Etat, Benkirane perd ses derniers défenseurs. La bête politique n’allait pas se calmer. « Cet hyper chef du gouvernement pendant la semaine qui se muait en hyper opposant le weekend n’allait pas changer ses habitudes pendant la prochaine législature », confie-t-on en haut lieu.
La parenthèse devait être fermée d’autant plus qu’aucun parti en dehors des anciens communistes du PPS, n’ont voulu reconduire l’expérience gouvernementale des cinq années passées. « Avec lui, la scène politique est devenu aujourd’hui le théâtre d’un western à la sauce marocaine », résume un ex ministre, pourtant proche du leader islamiste.
Des islamistes divisés
C’est donc le vainqueur des élections législatives qui finit par payer les pots cassés de ce blocage qui menaçait sérieusement l’économie du pays. Certes, le souverain donna le coup de grâce à Abdelilah Benkirane en le déchargeant de ses fonctions. Mais c’est bien au sein même du PJD que la fronde contre le patron avait commencé.
Certaines figures de proue du parti craignaient en efffet une rupture totale avec le Palais et ne voulaient pas revenir dans l’opposition. « La facture aurait été très chère à payer », nous explique un dirigeant islamiste, avant d’expliquer que le PJD a toujours été un parti « modéré politiquement ne cherchant ni à froisser les adversaires ni à marcher sur les platebandes de la monarchie ».
Le retour du refoulé
Adepte de la guerre totale, Benkirane était-il devenu un boulet pour son parti ? En tout cas Mostapha Ramid et Saâddeddine El Othmani, dirigeants incontournables du PJD, semblaient le croire.
D’après des informations confidentielles de Mondafrique, le ministre de la Justice Mostapha Ramid bien en vue au palais a joué un grand rôle dans le départ de Benkirane. Il a surtout convaincu le nouveau Premier ministre El Othmani ( voir photo ci contre) d’accepter la nomination royale. Il a surtout contribuer à tempérer les ardeurs des membres du secrétariat général du parti les poussant à lâcher Benkirane. Une manière, selon les proches de Ramid « d’éviter au pays des moments d’instabilité » et de « sauvegarder l’avantage que le PJD a acquis pendant les élections du 7 octobre ». Une mission qu’il a accomplie avec un vrai talent diplomatique.
Est-ce que El Othmani fera oublier Benkirane ? Le nouveau chef du gouvernement, psychiatre de son état, aura un peu plus de quatre ans pour dominer le retour du refoulé des militants islamistes de base..