Après le Rif, Jerada? La mort accidentelle de deux frères dans les puits de charbon a dépoussiéré des revendications vieilles de plus de 15 ans. Une chronique de Nouhad Fathi
Vendredi 22 décembre à 7 heures du matin dans les mines de Jerada. Abderrazak, 22 ans, et les frères Houcine et Jedouane, 23 et 30 ans, descendent à plusieurs dizaines de mètres sous terre pour creuser une galerie d’aération dans un puits d’extraction de charbon. L’un des frères perce accidentellement la nappe phréatique et cause une inondation torrentielle. N’ayant pas lâché la corde, Abderrazzak grimpe et réussit à remonter à la surface. Houcine et Jedouane n’ont pas cette chance; ils meurent noyés et leurs corps ne sont repêchés qu’à l’issue de 36 heures de mobilisation des habitants et de la protection civile.
Depuis la récupération des cadavres, les habitants de Jerada, une ville minière de 44000 habitants située au nord-ouest près de la frontière algérienne, marchent par milliers dans les rues pour faire entendre leur colère.
L’abandon par l’État
Ce qui révolte les habitants de Jerada, c’est que l’État a pratiquement oublié leur existence depuis la fermeture des Charbonnages du Maroc. Avant 2001, l’entreprise étatique était le deuxième plus grand recruteur du pays après l’Office chérifien du Phosphate (OCP).
Hélas face à la lourdeur des dettes accumulées et confronté à la concurrence internationale, l’État, en pleine campagne de privatisations, a été réduit a vendu une filiale des charbonnages, « Sococharbo », en licenciant 5000 ouvriers et n’en gardant que 2000. Le coup est dur pour les habitants de cette ville qui n’aurait pas été créée en 1927 si ce n’était pour ses gisements de charbon.
Le charbon comme gagne-pain
La population de Jerada, qui se réduit année après année, compte aujourd’hui 37% de chômeurs. Les vieux souffrent de silicose, une maladie pulmonaire provoquée par l’inhalation répétitive de particules de poussière. 1936 cas ont été récensés par la Direction régionale de la Santé. Les jeunes n’ont d’autres choix que de redescendre clandestinement dans les puits d’extraction qu’ils appellent « cendriers ».
Contre moins de 150 dirhams par jour (environ 15 euros), ils extraient l’anthracite à la main pour le revendre à des négociants.
Un nouveau Hirak ?
Samedi 13 janvier, les habitants de Jerada ont organisé leur manifestation la plus massive. Leurs revendications? Le traitement des habitants atteints de silicose, l’emploi des jeunes de la ville, la hausse de leurs pauvres revenus, la baisse des factures d’eau et d’électricité dans les foyers. Le pire pour ces déshérités sévèrement atteints aux poumons comptent sur des machines gourmandes en énergie pour l’aide à la respiration. Avant la fermeture des Charbonnages du Maroc, ils bénéficiaient de la gratuité de l’eau potable et de quelques dizaines de kilowatts d’électricité.
Même si les habitants de Jerada, en référence à la révolte du Rif, ont baptisé « Hirak » les balbutiements de leur mouvement contestataire, le gouvernement a rapidement pris les choses en main. L’objectif est d’éviter les erreurs qui furent les sienens lors des événements d’Al Hoceima.
Vendredi 19 janvier, Aziz Akhannouch, le ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des eaux et forêts et l’ami de Mohammed 6, a annoncé depuis Jerada l’élaboration d’un plan d’action pour le développement de la région. Le but? Éloigner les habitants de la province le plus possible des mines de la mort en les occupant avec l’agriculture. Le programme, doté d’un investissement de 28,2 millions de dirhams sera réalisé cette année même. Les mesures urgentes telles que la baisse des montants des factures d’électricité seront elles aussi prises en charge, à croire le wali de la région de l’Oriental. Pour l’instant, les plaintes des victimes des mines de la mort ont été entendues, reste à savoir si les promesses de l’État seront effectivement réalisées.