Marc Mapingou Mitumbi : « Le général Mokoko est en grand danger »

Porte-parole à Paris du général Mokoko, candidat malheureux aux présidentielles de 2016 au Congo Brazzaville, Marc Mapingou Mitumbi dresse un portrait alarmant du pays aux mains de l'inamovible président Denis Sassou Nguesso depuis 33 ans.

Mondafrique. Un procès pour diffamation s’est ouvert mercredi 15 mars devant le Tribunal de Paris contre le journal portail242.info, proche du pouvoir congolais, à votre demande. Dans cet article on vous accuse d’avoir voulu fomenter un coup d’Etat contre le régime avec le général Jean-Marie Michel Mokoko, principal opposant au chef de l’Etat Denis Sassou Nguesso lors des dernières élections. La décision sera rendue le 26 avril. Quel regard portez-vous sur ce début de procès ?

Marc Mapingou Mitumbi. Je pense que l’issue me sera favorable pour la bonne raison que tout ce qui est dit dans cet article est faux. On m’y accuse d’avoir voulu préparer un coup d’Etat avec l’aide d’Ali Bongo. Or je ne l’ai pas revu depuis la mort de son père Omar Bongo à qui j’étais lié. L’article raconte également que j’aurais rencontré l’un des conseillers de Manuel Valls, Ibrahima Diawadoh N’Jim. C’est faux, je ne le connais pas. Pas plus que le pasteur N’Toumi que je n’ai jamais vu ni eu au téléphone. Il y a plus de douze ans que je ne me suis pas rendu au Congo. Tout ce montage est fait pour me salir et porter de fausses accusations contre le général Mokoko.

M. Pourtant, Ibrahima Diawadoh N’Djim et Ali Bongo n’ont pas démenti.

M.M.M. Moi j’ai décidé de déposer une plainte afin de porter aux yeux du public les méthodes d’intimidation du régime. Eux, semblent plutôt négliger cette affaire. Pourtant depuis 30 ans l’histoire se répète. Des personnes sont mortes dans ce pays après des procès kafkaïens. On arrive chez vous, on réunit les conditions d’une accusation. Par exemple on met des armes dans votre jardin et on vous accuse de fomenter un coup d’Etat. Sassou utilise les mêmes mécanismes de répression antédiluviens.

M. A ce stade, quelle stratégie ont adopté les défenseurs du Congo ?

M.M.M. Avant l’ouverture du procès, l’avocat de la partie adverse a réclamé une exception de procédure afin de gagner du temps en retardant la décision. J’ai refusé car l’affaire doit être réglée au plus vite. Désormais, ils affirment que le procès doit être tenu au Congo puisque l’éditeur du site, Jean-Claude Nkou, vit à Brazzaville. Or ce site est logé en Europe et M. Nkou est propriétaire en France où réside sa famille. Par ailleurs, je n’ai aucune confiance dans la justice congolaise qui n’est pas indépendante. Or en l’occurrence il s’agit d’un procès politique. Il n’y a qu’à voir qui assure la défense du Congo dans cette affaire : l’avocat Thomas Pigasse, fils de Jean-Paul Pigasse, un ami intime de Sassou.

M. Vous êtes régulièrement en contact avec le général Mokoko actuellement incarcéré à la maison d’arrêt de Brazzaville. Dans quelles conditions se trouve t-il?

M.M.M. Dans de très mauvaises conditions. Selon son avocat, il ne voit pas la lumière du jour. Le régime est en train de le tuer à petit feu. Sassou n’a pas d’autres solutions que de le faire disparaître. Il est en grand danger. C’est une forme de harcèlement qui a commencé bien avant son incarcération lorsqu’on l’a mis en résidence surveillée juste après le scrutin. A l’époque, il ne pouvait recevoir de visites, ni se faire approvisionner suffisamment en nourriture et en médicaments. On a exercé des pressions sur lui. Ses propres parents ont été envoyés pour tenter de le convaincre de céder après l’élection. Abdoulaye Bathily, le représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU pour l’Afrique s’est également rendu à son domicile pour lui demander d’accepter la victoire de Sassou. Même chose pour l’homme d’affaire Jean-Yves Ollivier débarqué chez lui en compagnie de l’ambassadeur de France.

M. Malgré les dénonciations de l’ONU et du parlement européen, le général a reçu peu de soutiens extérieurs. L’opposition a même accusé la France de l’avoir lâché.

M.M.M. Après tant d’années passées au pouvoir Sassou bénéficie d’une influence énorme qu’il a acquise notamment en versant beaucoup d’argent. Les partisans du statu quo ont eu beaucoup de poids. Dans la phase préparatoire de l’élection, Mokoko attendait plus de soutiens. Le jour de son arrivée à Brazzaville le 9 janvier 2016, il est agressé à l’aéroport. On caillaisse sa voiture. Or, il a fallu attendre 24h pour entendre des voix se lever. Les gens ont eu peur.

M. Mokoko a longtemps fait partie du sérail. Peut-il être une véritable alternative au pouvoir de Sassou Nguesso ? 

M.M.M. C’est un militaire originaire de la région de Sassou au nord du pays. Pendant un moment ils ont travaillé ensemble c’est vrai. Sassou l’avait nommé chef d’Etat major et il a oeuvré pour le pays après un parcours brillant à Saint Cyr. Mais aujourd’hui le divorce est consommé et Sassou le considère comme un traitre. Dans la phase où se trouve le Congo actuellement c’est l’homme de la transition. Il n’est pas dans des scandales financiers ni de sang. Il pourrait cimenter l’unité nationale et mener une transition maitrisé. Il a par ailleurs pour lui l’écoute des troupes armées. Les militaires dans les casernes ont voté pour lui.

M. Plusieurs rapports récents publiés par des ONGs et le département d’Etat américain font état de violations des droits de l’homme au quotidien. La région du Pool au sud est du pays est notamment la cible de bombardements réguliers. Avez-vous des informations sur ce qui s’y passe ? 

M.M.M. C’est une région victime de meurtres à huis-clos. Les acteurs neutres comme le personnel de l’ONU ou les ONGs ne peuvent toujours pas y avoir accès. La situation déborde désormais sur les régions périphériques du Pool car il y a un solidarité des populations. Les seules informations qui nous parviennent sont bien souvent des témoignages téléphoniques.  Les arrestations arbitraires sont devenues systématiques. Le pouvoir prétend s’en prendre aux partisans du pasteur N’Toumi et de ses milices Ninjas accusées d’entretenir l’insécurité dans le département. Mais en réalité ces arrestations visent toute personne opposée au régime ou tentant de fournir des informations aux ONGs sur les massacres qui ont lieu.

M. Pourtant le pasteur N’Toumi a longtemps entretenu une relation ambiguë avec le pouvoir.

M.M.M. Oui, Sassou s’en est longtemps servi pour diviser le Pool. Il l’utilisait comme contre poids à l’opposant Bernard Kolelas, premier patron des milices dans la zone. Sassou avait besoin d’un concurrent pour le leadership régional afin d’étouffer la dynamique Kolelas. Jusqu’en 2009, N’Toumi a donc été ménagé. Mais à l’approche des dernières élections présidentielles, celui-ci a basculé du côté des opposants. Peut-etre y a t-il encore des passerelles entre lui et le pouvoir mais toujours est-il qu’il est devenu le bouc émissaire qu’on accuse de tous les maux pour justifier les crimes.

M. Comment jugez vous la position de la France vis-à-vis du Congo ?

M.M.M. Trop d’acteurs de la scène politique française sont redevables des chefs d’Etat africains. Personne n’a osé faire de rupture avec Sassou malgré les promesses. A la fin de son mandat, Sarkozy avait amorcé un début de rupture avec en envoyant Basile Boli à Brazzaville pour le convaincre de ne pas se représenter. Finalement ça ne s’est pas fait. Hollande quant à lui a déclaré que Sassou avait le droit de convoquer le référendum constitutionnel qui lui a permis de se représenter.

Par ailleurs les politiques sont souvent sous influence de réseaux opaques. Les exemples récents ne manquent pas entre Jean-Yves Ollivier qui déjeûne avec Manuel Valls ou son épouse et Robert Bourgi qui finance les costumes de Fillon… Tout cela ouvre une brèche au Front National qui se plait à dénoncer les compromissions de la gauche et de la droite avec les dictateurs africains. C’est ce qu’avait fait Louis Alliot, le Vice-président du Front National et mari de Marine Le Pen lors d’un discours prononcé devant le parlement dénonçant le régime congolais et le soutien de la France à Sassou.

M. Pourtant pour la première fois le 9 mars, la justice française a mis en examen un très proche de Sassou, son neveu Wilfrid, pour « blanchiment d’argent ». En plus de la procédure dite des « biens mal acquis » en France,
la justice américaine a ordonné en 2015 à l’Etat congolais de lui livrer la liste de ses biens et actifs à l’étranger en vue d’éventuelles saisies. Est-ce à dire que le vent tourne pour le régime ? 


M.M.M. 
Je l’ignore. En tout cas Wilfrid est l’arbre qui cache la forêt. Toute la pyramide des sociétés pétrolières congolaises est sous le contrôle du clan au pouvoir notamment à travers le fils cadet de Sassou, Denis Christel, le directeur général adjoint de la Société nationale des pétroles du Congo congolais (SNPC).

M. La chute des cours du pétrole affecte durement l’économie congolaise. Le taux de croissance s’est situé en dessous de la barre des 2% en 2016 contre 2,3% l’année précédente et le pays a réduit son budget de 10%. Mi mars, le FMI a rendu des conclusions inquiétantes sur l’état de l’économie et des finances du pays appelant à réduire le train de vie de l’Etat. 

M.M.M. Ce sont les conséquences d’une mauvaise gouvernance et de l’échec total de la diversification de l’économie. Des sommes extravagantes sont devenues la propriété du clan au pouvoir via du blanchiment et des surfacturations. Nous avons assisté ces quinze dernières années à une folie financière avec une flambée des investissements improductifs. Des projets farfelus ont été entamés  tels que la construction de l’aéroport d’Ollombo au nord de Brazzaville ou le stade de Kintele dans la capitale. L’immobilier flambe. Entre 2004 et 2014, on a accumulé près de 30 000 milliards de travaux dits de « municipalisation accélérée ». Lancé en 2004, cette initiative devait permettre de moderniser les villes du pays. Maus à travers ces projets, des masses d’argent colossales ont été englouties alimentant des comptes dans des paradis fiscaux.

Dans ses conclusions, le FMI pointe une évaporation des réserves de la banque centrale. La balance des paiements est largement déficitaire et le PIB est demeuré tributaire du pétrole. Plus de 70 % de l’économie congolaise provient de ce secteur qui apporte 80 % des recettes du gouvernement. Par ailleurs, si l’on regarde le tableau des opérations financières de l’Etat, on constate que les budgets de souveraineté comme celui de la Présidence par exemple n’ont cessé d’augmenter. Enfin, je tiens à signaler qu’avant la venue du FMI, le gouvernement a lancé une levée de fonds pour couvrir certains gap. 190 milliards auraient été obtenus mais la liste des donateurs n’est pas publique ! A Brazzaville on raconte que des membres du gouvernements auraient rapatrié de l’argent placé sur des comptes à l’extérieur du pays. Pendant ce temps la grogne sociale monte. Les étudiants dénoncent des retards dans le versement des bourses. Tout récemment des manifestations on dégénéré et la police a tiré sur des jeunes.

M. Selon le rapport du groupe de Haut niveau sur le flux financiers illicites en provenance d’Afrique établi en 2015 à la demande de la Conférence conjointe UA/CEA, le Congo présente la plus forte proportion de flux illicites par rapport au PIB (25%). Des mesures sont-elles prises empêcher cette fuite des capitaux ? 

Pas à ma connaissance. Ce rapport fait apparaitre nettement qu’il n’y a pas de refinancement de l’économie congolaise. Les masses d’argent dépensées par l’Etat ont vocation à aller à l’extérieur. C’est aussi ce que note le dernier rapport, du FMI qui se plaint notamment du manque de transparence sur les opérations financières du Congo avec la Chine. Les autorités congolaises ont systématiquement refusé de fournir à l’organisation des données sur le compte bancaire du Congo en Chine sur lequel l’argent de la vente du pétrole est versé. Depuis l’affaire dite des « biens mal acquis » en France, la Chine est devenu un havre bancaire pour les fortunes congolaises. Celles-ci viennent désormais en France avec des cartes de crédit chinoises, ce qui permet d’échapper au contrôle de Tracfin.

M. Le gouvernement a mis en place une série de mesures de restrictions budgétaires qui devraient être bientôt renforcées. Pensez-vous qu’elles soient efficaces ? 

M.M.M. Les demandes d’ajustement ne s’attaquent pas au nœud du problème : la fuite des capitaux. Par ailleurs, le FMI fait preuve d’une certaine duplicité en prévoyant un redémarrage de la croissance liée à l’exploitation du nouveau champs de pétrole de Moho Nord mis en exploitation par Total le 15 mars. En considérant ce projet comme une garantie pour les prêts qui seront attribués au pays, le FMI fait mine d’ignorer que c’est la destination de l’argent qui demeure le problème majeur.