Evincé brutalement par le président Ibrahim Boubacar Keita (IBK) de son poste de Procureur général près la Cour d’Appel de Bamako, Daniel Tessougué se confie à Mondafrique
C’est un paradoxe sur lequel le président malien IBK devra un jour s’expliquer : Daniel Tessougué, Procureur général près la Cour d’Appel de Bamako, a été brutalement débarqué le 21 décembre 2015 de son poste pour avoir fait son travail. Rien que son travail et tout son travail. Profitant de l’ouverture de la session de la Cour d’assises de Bamako, il avait estimé que les propos tenus le 29 novembre 2015 par le président du Haut Conseil islamique Mahmoud Dicko, dans lesquels il estimait que les attentats de Paris, Tunis et Bamako étaient le résultat de la colère divine, tombaient sous le coup de la loi.
« C’est un fait indéniable que les propos-là relevaient de l’apologie du terrorisme, en vertu des conventions internationales que le Mali a signées. Mon devoir est de rappeler la loi pénale. Et tant que j’étais à mon poste, je ne pouvais pas déroger à ce devoir de veille », a assuré à Mondafrique M. Tessougué, d’une voix calme et posée, qui a toujours fait sa marque de fabrique.
Le cas Amadou Koufa
En réalité, ce n’est pas la première fois que l’ancien Procureur général croise le fer avec le président IBK. Il s’était en effet publiquement opposé à la décision présidentielle de lever en novembre 2013 les mandats d’arrêts délivrés contre un chef rebelle du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et 3 autres dirigeants du Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad (HCUA).
Tessougué avait en outre eu maille à partir avec l’Exécutif dans l’instruction de la disparition des « bérets rouges », militaires rivaux au général Amadou Sanogo (ancien de la junte militaire) qui avait alors refusé de répondre à plusieurs convocations du juge d’instruction sans que le président IBK, son ministre de la Défense et celui de la justice aient eu à souffler mot.
« J’ai toujours agi conformément à la loi qui est ma seule boussole. Vous savez, l’application stricte de la loi pénale dérange toujours ceux qui veulent prendre des raccourcis. Moi, j’ai un devoir de loyauté non pas envers un homme mais envers la loi et la république » martèle ce Malien, né dans le pays Dogon avant de poursuivre une brillante carrière dans la magistrature.
Pour lui, l’enjeu dans ce débat dépasse largement le seul cas de l’Imam Dicko mais pose en toile de fond la stratégie malienne dans la gestion de l’islam radical et de la lutte contre le terrorisme.
« Le pouvoir a manqué de réagir fermement lorsque Amadou Koufa avait commencé à tenir ses prêches enflammées et son discours radical. Résultat, ce prêcheur a fini par lancer Mouvement de libération du Macina, un groupe terroriste. Nous devons donc faire attention et savoir mettre le holà », insiste M. Tessougué
Reconversion dans le jardinage
Ce n’est tant son éviction brutale que l’absence de forme et d’élégance qui gêne ce magistrat, réputé intransigeant sur les principes et considéré comme «le pape de la procédure pénale», discipline qu’il a enseignée pendant plus d’une décennie à l’Ecole nationale de la magistrature.
L’ancien Procureur général n’a été ni prévenu de son remplacement ni même reçu bien plus tard par la ministre de la Justice, Garde de sceaux Aminata Sanogo Mallé.
«A ma connaissance, c’est deuxième fois que cette situation se produit dans le pays. Un de mes prédécesseurs Ougadé Wafi Cissé avait subi le même sort sous le président Amadou Toumani Touré(ATT). Mais celui-ci s’était engagé par la suite à ce que cela ne se reproduise plus jamais au Mali. On en est bien loin», se désole Daniel Tessougué.
Aussitôt son éviction connue, il a vidé ses tiroirs, fait ses cartons pour attendre de passer le service à son remplaçant.
«Même si l’Etat est une continuité, je ne souhaite pas engager mon successeur à ce poste en prenant des décisions qui vont le lier. J’ai hâte qu’il vienne prendre le service. Moi, je considère que ma mission est terminée», dédramatise l’ancien étudiant en droit à l’Université de Strasbourg, dans l’est de la France.
Comme pour dire qu’il y a bien une vie après le poste de Procureur général, il ira à partir de jeudi 07 janvier 2016 assurer les enseignements de droit pénal et de droit minier en Master II à l’Université catholique d’Afrique de l’Ouest (UCAO).
« J’enseigne dans cet établissement depuis 2000. Faute de temps, j’avais renoncé à assurer les cours de droit minier en plus de celui de droit pénal. Mais cette année, je vais m’y mettre. Le reste de mon temps, je vais le consacrer à ma seconde passion : le jardinage. Je vais cultiver du piment et des courges », rappelle celui qui avait été nommé en 2012 par le chef de l’Etat intérimaire Diancounda Traoré.
La faute de IBK
Dans l’entourage du pouvoir malien, on dément tout lien entre le départ de Tessougué de son poste et ses propos du 30 novembre 2015 contre l’interférence de l’islam dans la politique et sa réplique aux déclarations tonitruantes de l’Imam Dicko sur les attentats de Paris, Bamako et Tunis. Les mêmes milieux avancent que le remplacement de l’ancien Procureur général était prévu de longue date. Sauf que plusieurs éléments affaiblissent cet argumentaire. Parmi eux, il y a d’abord le caractère extraordinaire de la réunion du Conseil supérieur de la magistrature tenue le 21 décembre 2015. Si rien n’est urgent pourquoi ne pas attendre la prochaine session ordinaire du CSM pour prendre cette décision.
Il est ensuite contraire aux usages qu’un magistrat à ce niveau de responsabilités soit relevé sans aucune proposition d’affection. Il semble donc plus que vraisemblance que Tessougué a été débarqué pour donner des gages à l’Imam Dicko qui fut un des plus fervents soutiens de IBK lors la présidentielle malienne de 2013.
En tout cas, le choix d’évincer l’ancien PG de la cour d’Appel de Bamako envoie un signal brouillé de la détermination des autorités de Bamako à lutter contre l’islam radical qui sert très souvent de terreau au terrorisme. Il porte plus préjudice à IBK qu’à Daniel Tessougué.