(Nairobi, le 8 septembre 2017) – Les opérations militaires menées par les forces armées du Mali et du Burkina Faso afin de contrer la présence croissante de groupes armés islamistes dans le centre du Mali ont occasionné de graves violations des droits humains, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Depuis la fin de 2016, les forces maliennes se sont livrées à des meurtres extrajudiciaires, à des disparitions forcées, à des actes de torture et à des arrestations arbitraires à l’encontre d’hommes accusés de soutenir les groupes armés islamistes, tandis qu’une opération effectuée en juin 2017 à travers la frontière par les forces burkinabées s’est soldée par la morts de deux suspects.
Human Rights Watch a documenté l’existence de trois fosses communes qui auraient contenu les cadavres d’au moins 14 hommes exécutés après avoir été détenus depuis décembre par des militaires maliens. À plusieurs reprises, les forces maliennes ont fait subir des brutalités, des brûlures et des menaces à des dizaines d’hommes accusés de soutenir les groupes armés islamistes. Human Rights Watch a également documenté 27 cas de disparition forcée, dans lesquels le gouvernement malien n’a fourni aucune information aux familles sur leurs proches qui avaient été arrêtés et dont elles étaient sans nouvelles.
« La logique perverse consistant à torturer, tuer ou ‘faire disparaître’ des personnes au nom de la sécurité alimente le cycle croissant de la violence et des abus au Mali », a déclaré Corinne Dufka, directrice de recherches sur le Sahel auprès de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les gouvernements malien et burkinabé devraient contrôler les unités qui commettent des abus et poursuivre en justice les responsables. »
Les abus, qui se sont produits entre la fin de 2016 et juillet 2017 lors d’opérations dans la région de Mopti et, dans une moindre mesure, dans la région de Ségou, ont été documentés lors d’une mission de recherche de 10 jours au Mali en juillet et lors d’entretiens téléphoniques en août. Human Rights Watch a interrogé 48 victimes d’abus et témoins, ainsi que des responsables des communautés ethniques Peul, Dogon et Bambara ; d’anciens détenus; des agents du gouvernement local, des membres des services de sécurité et du système judiciaire; et des diplomates étrangers.
Des membres des familles de victimes ont fourni à Human Rights Watch des listes des noms des hommes présumés enterrés dans trois fosses communes découvertes dans la région de Mopti. Ces trois fosses contiennent respectivement les cadavres de cinq hommes qui auraient été tués le 19 décembre 2016, de trois hommes arrêtés le 21 janvier 2017, et d’au moins six hommes arrêtés début mai 2017.
Deux négociants arrêtés en juin à Boni, dans la région de Mopti, ont décrit avoir été ligotés, durement passés à tabac et brûlés quand des militaires leur ont maintenu la tête près du pot d’échappement d’un camion de l’armée. Des témoins ont indiqué que 10 hommes avaient été battus et soumis à un simulacre d’exécution, dans lequel des militaires maliens menaçaient de les brûler vifs.
Des témoins et des membres des familles des personnes victimes de disparitions forcées aux mains des forces de sécurité maliennes ont affirmé avoir appris de sources non officielles que sur les 27 hommes disparus, plusieurs avaient probablement été tués lors de leur garde à vue, tandis que d’autres étaient considérés comme détenus illégalement par la Direction générale de la sécurité d’État (DGSE), l’agence nationale de renseignement malienne.
En juin 2017, des militaires burkinabés ont arrêté environ 70 hommes dans des hameaux situés au Mali à proximité de la frontière, les accusant de soutenir le groupe armé islamiste Ansaroul Islam. Les militaires sont réputés avoir incendié des biens, soumis ces hommes à des sévices physiques – qui ont causé la mort de deux des détenus – et conduit plus de 40 d’entre eux à travers la frontière au Burkina Faso pour de nouveaux interrogatoires.
Human Rights Watch a également documenté de graves abus commis par les groupes armés islamistes dans le centre du Mali lors de la même période, notamment des exécutions sommaires de civils et de militaires de l’armée malienne, des destructions d’écoles, et le recrutement et l’utilisation d’enfants comme soldats. Des violences intercommunautaires croissantes survenues près de Koro, dans la région de Mopti, font craindre des abus encore plus généralisés. Les constats de Human Rights Watch concernant ces abus seront publiés dans un futur rapport.
Un chef local de la commune de Mondoro a décrit comment les membres de sa communauté souffraient d’abus perpétrés par les deux camps: « En avril, les djihadistes sont venus, exhortant les jeunes sans emploi à les rejoindre, et quelques semaines plus tard, ils ont tué un chef local et décapité un homme qu’ils ont accusé d’être un informateur de l’armée. En mai et juin, des militaires maliens et burkinabés ont capturé des dizaines de personnes … 17 membres de ma communauté ont disparu mais les gens sont trop terrifiés pour en parler. Le comportement des deux armées a renforcé le mouvement djihadiste. Certains jeunes l’ont rejoint après avoir vu leurs pères torturés et leurs frères disparaître. »
Toutes les parties au conflit armé malien sont liées par l’Article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et par d’autres traités et articles du droit de la guerre, qui exigent un traitement humain des combattants capturés et des civils détenus. Les individus qui commettent délibérément de graves violations des lois de la guerre, notamment des exécutions sommaires et des actes de torture, peuvent faire l’objet de poursuites pour crimes de guerre. Le Mali est un État partie au Statut de Rome, qui régit la Cour pénale internationale.
Les organisations nationales et internationales de défense des droits humains, dont Human Rights Watch, ont à plusieurs reprises fait part de leurs inquiétudes au gouvernement malien par lettre, dans des rapports et lors de rencontres avec des responsables gouvernementaux de haut rang. Les médias ont aussi diffusé des informations sur certains de ces cas. Néanmoins, ni l’armée, ni le système judiciaire civil n’a fait d’effort sérieux pour enquêter sur ces abus présumés et pour faire rendre des comptes aux militaires et aux officiers responsables.
Les gouvernements malien et burkinabé devraient enquêter sans tarder et poursuivre en justice les membres des forces de sécurité qui sont impliqués dans de graves violations des droits humains. Le gouvernement malien devrait mettre fin à la pratique consistant à détenir des suspects dans des lieux de détention non autorisés, notamment à la DGSE ; s’assurer que les gendarmes s’acquittent de leur rôle de prévôts défini par leur mandat en accompagnant l’armée malienne dans toutes ses opérations; et s’assurer que les forces de sécurité se conforment au droit international humanitaire et au normes internationales en matière de droits humains.
« Le fait que le gouvernement malien se soit abstenu de faire rendre des comptes à ses forces de sécurité a encouragé les militaires aux tendances abusives à commettre de nouveaux crimes graves », a affirmé Corinne Dufka. « Pour enrayer l’érosion de la confiance du public envers les forces de sécurité et pour rendre justice aux victimes, le gouvernement doit enquêter sur les graves violations des droits humains et punir leurs auteurs. »
Pour prendre connaissance de constatations détaillées, veuillez lire ci-dessous.
Pour consulter d’autres communiqués ou rapports de Human Rights Watch sur le Mali, veuillez suivre le lien :
http://www.hrw.org/fr/africa/