Alors que François Hollande s’est félicité, le 14 janvier lors de sa conférence de presse, de l’intervention militaire française au Mali, un rapport du Secrétaire général de l’ONU, daté du 2 janvier, fait état d’une insécurité croissante dans le nord du pays.
Environ 3 minutes. C’est le temps que François Hollande a consacré hier, lors de sa grande conférence de presse de 2h30, aux deux théâtres de guerre où la France s’est engagée depuis le début de son mandat : le Mali et la Centrafrique. Devant un parterre de journalistes attentifs, le président français — converti en chef de guerre lors du lancement de l’opération Serval au Mali il y a un an — a fait simple : « les djihadistes ont été repoussés, le pays a retrouvé son intégrité territoriale. Oui, il y a des moments où il faut saluer des victoires, c’en est une. »Fort de ce succès auto attribué, le président a donc en toute logique annoncé l’agenda du retrait des troupes. Il n’y aura plus que 1 600 soldats sur le terrain en février et 1 000 à la fin du printemps.
Le constat de François Hollande est très enjolivé, si l’on en croit le rapport du Secrétaire général des Nations Unies au Conseil de Sécurité daté du 2 janvier dernier. Portant sur la période du 30 septembre au 21 décembre, le texte énumère dans le détail une série d’incidents qui assombrissent considérablement le lumineux bilan qui nous est présenté.Le Secrétaire général entame le bilan sécuritaire en ces termes : « Au cours de la période considérée, les conditions de sécurité se sont considérablement détériorées dans le nord. Des attentats à l’engin explosif improvisé ont été perpétrés, preuve que les groupes terroristes et autres se sont réorganisés et qu’ils sont de nouveau en mesure de mener des opérations. Kidal a connu une recrudescence des tensions et des affrontements intercommunautaires ont été signalés dans les régions de Gao et de Tombouctou. »
Violents affrontements
La chasse aux terroristes qui a permis de justifier l’intervention militaire auprès de l’opinion publique française n’aurait donc pas donné tous les résultats escomptés. Listées par ordre chronologique dans le rapport, les attaques perpétrées par les groupes armés n’ont en fait jamais cessé : « le Mouvement pour l’unité et le jihad en Afrique de l’Ouest a revendiqué plusieurs actes commis à Gao. Le 7 octobre, sept roquettes ont été tirées sur la ville de Gao, blessant grièvement un soldat malien. Le même jour, un pont situé à 45 kilomètres au sud-est d’Ansongo a été partiellement endommagé par un engin explosif improvisé. Le 30 octobre, deux autres roquettes ont été tirées sur Gao. Le 15 novembre, au moins une roquette a été tirée à Ménaka. Le 21 novembre, trois autres roquettes ont été tirées sur Gao. Ces roquettes n’ont pas fait de victimes. Le 8 novembre, deux éléments armés ont été arrêtés à Tin-Anzarargane (région de Gao) pendant une patrouille coordonnée par les forces armées maliennes, la MINUSMA et l’opération Serval. Un échange de tirs entre des membres du MNLA et un détachement de l’armée malienne a causé la mort de trois combattants du MNLA et en a blessé au moins un autre.
Le 23 octobre, quatre individus en voiture ont mis à feu un engin explosif improvisé embarqué dans un poste de contrôle de la MINUSMA à Tessalit. Sept personnes ont été tuées, dont quatre civils adultes, un garçon de 6 ans et des soldats de la MINUSMA. Al-Qaida au Maghreb islamique a revendiqué l’attaque. Le 4 novembre, quatre civils ont été tués et sept autres blessés par un engin explosif improvisé déclenché par fil sur la route reliant Ménaka à Ansongo. Le 13 novembre, un véhicule de l’armée malienne escortant deux journalistes étrangers a été pris pour cible par un engin explosif de pénétration près d’Almoustarat dans la région de Gao. Un soldat malien a été blessé. Le 20 novembre, un véhicule de l’opération Serval a apparemment été pris pour cible par un engin explosif improvisé commandé par radio à Kidal, blessant trois soldats français. Le 30 novembre, un individu a commis un attentat-suicide en activant un engin explosif improvisé qu’il portait près de Ménaka, mais sans faire d’autres victimes.
Le 14 décembre, un engin explosif improvisé placé dans un véhicule a explosé à Kidal, tuant deux soldats sénégalais de la MINUSMA et blessant sept autres casques bleus et quatre soldats maliens. Après cette attaque et face aux rumeurs selon lesquelles deux véhicules bourrés d’explosifs prêts à être activés étaient toujours dans la ville, le 16 décembre, les soldats de la MINUSMA qui assurent la garde du gouvernorat de Kidal ont tiré sur un véhicule approchant leur position à vive allure lorsque le conducteur n’a pas obtempéré à l’ordre de s’arrêter. Dans deux autres incidents, le même jour, les soldats de la MINUSMA ont tiré sur des motocyclistes qui se sont rapprochés de leur véhicule et en ont blessé un. Le lendemain, les commerçants ont manifesté contre ces incidents. Le 21 décembre, un engin explosif improvisé a touché un convoi logistique de la MINUSMA sur la route reliant Gao à Anefis, blessant un Casque bleu.
Les conditions de sécurité se sont particulièrement détériorées à Kidal. Outre les attaques asymétriques, deux journalistes français ont été enlevés et tués dans la ville le 2 novembre. Al-Qaida au Maghreb islamique en a revendiqué la responsabilité. Le 3 novembre, à Tassik, à 43 kilomètres au sud-est de Kidal, deux soldats de l’armée malienne ont agressé trois émissaires envoyés par un chef traditionnel de Kidal pour régler un litige interne. »
A la lumière de ces éléments, force est de constater que les trompettes de la victoire ont sonné trop tôt. La zone nord du Mali reste aujourd’hui en proie à de violents affrontements. Loin d’avoir cessé, les combats entre militaires et groupes armés se poursuivent tandis que les tensions intercommunautaires qui sont au cœur de la complexité des problèmes du Mali demeurent extrêmement vives. « Le 19 octobre, neuf personnes d’origine arabe ont été enlevées par des Touaregs à Tabankort (région de Gao). Dans un incident connexe, le 25 octobre, un Touareg a été enlevé par des Arabes entre Tarkint et Hersan dans le cercle de Bourem (région de Gao). Le 31 octobre, dans la région de Tombouctou, neuf Arabes ont été tués par des membres de la communauté touarègue à Tilemsi, à la frontière mauritanienne, dans une attaque qui s’apparente à une série de représailles entre les deux groupes.
Par ailleurs, les relations entre le gouvernement malien et les rebelles indépendantistes du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) qui avaient mis le feu aux poudres en janvier 2012 sont au plus mal. Lors du sommet de l’Elysée à Paris, en décembre dernier, le président malien IBK avait accusé ouvertement la communauté internationale de le forcer à négocier avec le MNLA, mettant ainsi directement la France, alliée des touareg, en porte à faux. Fin novembre 2013, l’état des relations s’est encore dégradé lorsque le Premier ministre malien Oumar Tatam Ly a été contraint d’annuler une visite à Kidal après l’intrusion de manifestants pro-MNLA sur le tarmac de l’aéroport. Aujourd’hui le désengagement français pourrait ouvrir la voie à une reconquête militaire de Kidal par l’armée malienne face à des rebelles qui refusent de désarmer… Avec toutes les sanglantes violences qu’un tel scénario suppose y compris contre les populations… Notons que l’armée malienne s’est par ailleurs distinguée à maintes reprises par sa tendance à assimiler tout civil blanc du nord à un soutien des rebelles.
Lire notre article : « Amnesty dénonce l’état catastrophique des droits de l’homme au Mali ».
Enfin, selon le rapport, l’insécurité qui règne encore au nord du pays empêche la mise en place d’infrastructures de base, notamment judiciaires, pourtant nécessaires pour stabiliser la zone, assurer la sécurité à long terme et canaliser frustrations. « La présence de la police, de la gendarmerie et de la garde nationale maliennes dans le nord du pays reste très limitée (…). L’absence (…) de tribunaux, prisons, bureaux et logements ainsi que les conditions de sécurité ont empêché le redéploiement des autorités judiciaires dans les régions du nord, notamment dans celle de Kidal. À ce jour, seuls deux procureurs et six agents de l’administration pénitentiaire ont été envoyés à Gao et Tombouctou. Les insuffisances de l’administration pénitentiaire à Kidal pourraient conduire à l’impunité des crimes. L’autorité des fonctionnaires judiciaires n’étant pas reconnue par la population locale, la plupart des infractions et des crimes sont traités par les chefs traditionnels et les auteurs présumés d’infractions de droit commun sont rarement punis. »
Confrontées à des conditions de vie misérables les populations expriment désormais violemment leur colère, y compris contre les autorités locales et les organismes internationaux. « Le 1er novembre, de violentes manifestations se sont déroulées à Gao et à Ménaka. À Gao, des centaines de manifestants protestaient contre une liste contestée de passagers que le Gouvernement a communiquée à la MINUSMA en vue du transport aérien des délégués aux assises nationales sur le nord devant se tenir à Bamako. Ils ont manifesté devant le gouvernorat, la résidence du maire et les logements des Nations Unies, jetant des pierres et brûlant des pneus. Des barricades ont été érigées pour bloquer toutes les principales artères. La situation est revenue à la normale le lendemain après que 46 autres délégués régionaux ont été transportés à Bamako avec l’appui de la Mission. À Ménaka, les manifestants s’en sont pris aux autorités locales en réaction de frustration face au manque de services de base, y compris l’approvisionnement en eau et en électricité, au mauvais fonctionnement du système judiciaire, à l’insécurité et à la détérioration de la situation économique. »
Le 14 janvier à l’Elysée, c’est donc une bien drôle de victoire que le président annonçait devant les caméras. Sans ciller.