Premier producteur de pétrole brut d’Afrique, la République fédérale du Nigeria peine à extraire sa population de l’extrême pauvreté. Ces dix dernières années, le pays a connu une forte croissance, largement due aux revenus de l’or noir. Pourtant, ce pays d’Afrique de l’Ouest n’en a guère profité. Au coeur du marché pétrolier, les négociants suisses occupent une place centrale, et n’hésitent pas à traiter avec des firmes nigérianes douteuses. Suite aux révélations de l’ONG suisse « Le déclaration de Berne » (DB), le Parlement nigérian a ordonné l’ouverture d’une enquête.
Avec 173 millions d’habitants, le Nigeria est le pays le plus peuplé du continent. Malgré les immenses ressources naturelles, le taux de scolarisation et l’espérance de vie s’y situent largement en-dessous de la moyenne d’Afrique sub-saharienne. Et le coefficient de Gini montre en outre que le Nigeria est l’un des pays les plus inégalitaires au monde. Le pétrole, qui compte pour 58 % des recettes de l’Etat, ne contribue donc pas au développement de ce pays autant qu’il le pourrait et le devrait.
Cette situation doit beaucoup à la corruption qui gangrène l’Etat, établi au 139e rang sur 179 pays au classement de Transparency International en 2012. La toute-puissante compagnie nationale, la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC), classée compagnie pétrolière nationale la plus opaque de la planète, favorise elle-même cette malédiction des ressources. Pour mesurer l’étendue du problème, il suffit de souligner que la NNPC n’a pas publié de rapports financiers détaillés depuis 2005! Or, cette société est incontournable pour qui veut produire, exporter ou importer du pétrole brut ou des produits pétroliers au Nigeria.
La place centrale des négociants suisses
Les négociants suisses en matières premières occupent une place de choix au Nigeria. Leur activité dans ce pays s’étend de l’exportation de pétrole brut – objet de la première partie de ce rapport – à la livraison aux importateurs locaux de produits pétroliers nécessaires à la consommation domestique du Nigeria – objet de la seconde partie. Ce pays se trouve en effet dans une situation paradoxale: bien que treizième producteur mondial, les défaillances structurelles de ses raffineries contraignent le pays à importer essence, kérosène et mazout.
A l’export, les principaux négociants helvétiques dominent: selon des chiffres compilés par la DB, ils ont raflé en 2011 pas moins de 36% des 223 millions de barils mis en vente par la NNPC. En valeur, cette proportion des exportations pétrolières nigérianes allouée aux firmes suisses atteint 35,05%. Cela correspond à 8,731 milliards de dollars sur un total de 24,9 milliards.
Vitol et Trafigura mis en cause
Si l’on ajoute aux traders suisses les sociétés nigérianes dotées d’une filiale helvétique, cette proportion s’élève même à 56,22% (14,004 milliards de dollars). Les négociants suisses actifs au Nigéria paraissent étroitement impliqués dans la gestion calamiteuse de la NNPC. Les sociétés genevoises Trafigura et Vitol surclassent leurs concurrents grâce à des partenariats opaques établis dans les Bermudes avec la NNPC. Des cas attestent de ventes réalisées à des prix inférieures aux prix du marché entre la NNPC et ses deux partenaires helvétiques. Ce type d’opérations paraît incongru: pourquoi la NNPC vendrait-elle son brut au rabais? Qui profite de ces transactions? L’opacité de ces arrangements et le recours à des filiales domiciliées dans des paradis fiscaux empêchent de répondre à ces questions.
Les négociants suisses jouent également un rôle important à l’import. Ils approvisionnent les importateurs nigérians en produits pétroliers, nécessaires à la consommation domestique. Dans ce cas, il est malaisé de connaître leur part de marché, car les autorités nigérianes n’attribuent pas leurs importations aux négociants suisses, mais à des opérateurs locaux qui jouent les intermédiaires, et dont les transactions sont souvent opérées en dehors du Nigeria.
Afin de garantir que les produits pétroliers soient vendus à un prix abordable sur le marché intérieur, les importations sont massivement subventionnées. Or, ce système d’importation a donné lieu à l’une des plus vastes fraudes qu’ait connu le continent africain, avec pas moins de 6,8 milliards de dollars de subsides indûment perçus entre 2009 et 2011, soit près de quatre fois le budget nigérian consacré à la Santé en 2013. Les enquêtes de police menées par l’Economic and Financial Crimes Commission (EFCC), la brigade nigériane en charge de la criminalité financière, montrent que les négociants suisses n’hésitent pas à traiter avec des firmes nigérianes douteuses, parfois sans capacités opérationnelles, ou appartenant à des personnes politiquement exposées (Politically exposed persons – PEP). Dans le cadre de cette affaire, cinq négociants suisses font l’objet d’une demande d’entraide judiciaire, adressée par les autorités d’Abuja à Berne. Par ailleurs, au moins sept des «importateurs» nigérians impliqués dans cette fraude sont dotés d’une filiale en Suisse.
Le Parlement nigérian demande une enquête
Suite à la publication du rapport de la DB, la Chambre des Représentants de la République fédérale du Nigeria a ordonné le 12 novembre l’ouverture immédiate d’une enquête. La NNPC a par ailleurs critiqué les accusations de la DB dans la presse. La DB a répondu point par point, tout en se montrant très concernée par le silence de la NNPC sur les questions centrales soulevées par ce rapport.
Cliquer ici pour accéder au rapport d’enquête de l’ONG « La déclaration de Berne »
Cliquer ici pour accéder au site de l’ONG « La déclaration de Berne »