Les douze hommes décapités le 14 aout par l’Etat islamique (EI) à Syrte n’ont pas fait la une de l’actualité. En raison de la présence de kadhafistes ?
Ce qui s’est passé à Syrte durant toute la semaine est proprement inédit et pourtant l’horreur, cette fois, n’a guère ému l’opinion internationale. Cette ville côtière, qui comptait 75 000 habitants en 2011 et où était né le défunt dictateur libyen Mouammar Khadafi, est aux mains de Daech depuis juin dernier. Le vendredi 14 août, après la prière, la décapitation de douze hommes par l’Etat Islamique (EI) aurait dû embraser les médias internationaux. D’autant plus que ce nouveau forfait de Daech s’est accompagné, pendant toute la semaine dernière, de violents combats qui ont provoqué la mort de près de deux-cent personnes dans la seule ville de Syrte.
Ces nouvelles secousses au coeur du chaos libyen n’ont provoqué qu’une modeste dépêche de l’AFP le vendredi, et encore plusieurs heures après ces événements dramatiques. Le lendemain des décapitations, le samedi 15 août, quelques brèves étaient diffusées, mais sans analyse, par plusieurs sites d’information. Pourquoi un tel malaise? Et cette fois, pourquoi l’absence de buzz après une nouvelle atrocité de l’Etat Islamique?
Kadhafi, le retour
Depuis la condamnation à mort cet été de Saïf al-islam, le fils ainé de feu Mouamar Kadhafi, les noyaux de la « résistance verte », qui regroupent les fidèles de celui qui fut le chef de la Jamahiriya, ont manifesté dans plusieurs villes libyennes, notamment à Syrte, Bani Walid, Sebha, Tarkuna et Benghazi. Peu d’écho de ces rassemblements sévèrement réprimés à Syrte par les djihadistes de l’Etat Islamique (EI) et dispersés par les forces de « Farj-el-Libya », ces milices « islamistes » qui tiennent notamment les régions de Tripoli et de Misrata.
Mais la semaine dernière, la situation s’est compliquée encore à Syrte. En effet, les heurts et les exécutions de manifestants se réclamant de la mémoire de Kadhafi se multiplient. Un des chefs religieux de la ville, le Cheikh Khaled Al-Farjane, qui appartient à la grande tribu Al-Farjane, qui n’était pas jadis totalement hostile à l’ancien pouvoir, prend position en faveur de la liberté d’expression. Mal lui en a pris, le Cheikh était exécuté le jeudi 14 août par quelques nervis de Daech. Le lendemain, c’est l’embrasement. L' »Etat Islamique » arrête une centaine de personnes et se livre, sans mise en scène préalable, à son sport favori : la décapitation d’innocents. Pour ajouter à l’horreur, les djihadiste achèvent quelques dizaines de blessés à l’hôpital.
Au coeur du chaos politique
Nous voici, avec les événements dramatiques de Syrte, au cœur de la complexité libyenne. Sur le terrain, les camps en présence se divisent selon des lignes de démarcation floues et fluctuantes. A Syrte, les forces de l’Etat Islamique bénéficient de la compaisance du gouvernement « islamiste » de Tripoli. Lequel se garde bien d’affronter frontalement les djihadistes, trop heureux de disposer de chiens de garde efficaces contre des rebelles incontrôlables. Autre surprise, on découvre, toujours à Syrte et face à Daech, des solidarités indoupçonnées entre des « salafistes » hostiles au djihad, des représentants des tribus et des nostalgiques de l’ordre ancien khadafiste.
Une certitude en tout cas, si les anciens baassistes pro Saddam Hussein ont pu faire alliance en Irak avec l' »Etat Islamique », les fidèles de Kadhafi sont en Libye ses principaux adversaires.
Entre gens respectables
Pas plus le gouvernement légitime de Tobrouk que celui, non reconnu, de Tripoli ne souhaitent vraiment faire état de la réalité du pays « réel ». A Tobrouk, personne ne veut s’afficher ouvertement avec des noyaux fidèles à l’ancien régime, même si beaucoup anciens kadhafistes combattent aux cotés du général Khalifa Hafter, allié du gouvernement légitime de Tobrouk. Mais pas question pour ce dernier de revendiquer une telle alliance avec le diable vert, alors qu’il négocie à Genève avec l’ONU et les Américains. Entre gens respectables. L’ambassadeur du gouvernement de Tobrouk à Paris a ainsi déploré les graves incidents de Syrte, pleuré les victimes, mais sans donner guère plus de détails, pressé de tourner la page.
Quant au gouvernement de Tripoli, non légitime, qui s’appuie sur une mouvance « islamiste » aux contours flous, il fait mine de soutenir les « salafistes » de Syrte dans leur combat contre l’Etat islamique. Ainsi mardi, les autorités de Tripoli ont annoncé le lancement d’une « opération pour libérer Syrte ». Le ministère de la Défense a précisé que « les jeunes et les habitants de Syrte » participaient à cette offensive, soutenus par des raids de l’aviation. Mais sur le terrain, rien n’indique que les milices de Tripoli aient vraiment prêté main forte aux anti-Daech, bien au contraire.