Les forces vives sunnites se mobilisent contre le Hezbollah et se rapprochent ouvertement du principal parti chrétien, les Forces Libanaises, hostile à la tutelle de Téhéran.
Michel TOUMA
En Irak comme au Liban … Les mêmes méthodes sont déployées dans ces deux pays (sans compter la Syrie et le Yémen) par les milices et factions gravitant dans l’orbite de Téhéran afin d’imposer un diktat iranien et saboter toute possibilité d’émergence d’un Etat central souverain et indépendant.
La tentative d’assassinat, dans la nuit de samedi 6 novembre, du Premier ministre irakien Moustapha Qazemi – qui s’oppose à une hégémonie iranienne en Irak – s’inscrit précisément dans ce cadre.
La mise en garde de Nagib Mikati
Dans l’un et l’autre cas, de plus en plus de voix s’élèvent pour stigmatiser et rejeter la politique expansionniste menée manu militari par le régime des mollahs en Iran. Les dernières élections organisées en Irak ont ainsi été marquées par la cuisante défaite des factions pro-iraniennes face aux courants souverainistes. Au Liban, le comportement du Hezbollah – véritable fer de lance des Pasdarans au Moyen Orient – suscite un vif ressentiment qui va crescendo dans les milieux chrétiens et druzes, mais aussi et surtout au niveau des responsables politiques et de la rue sunnites.
Reflétant sans détours et sans ambiguïté la colère qui monte sur ce plan dans l’opinion sunnite, le Premier ministre libanais Nagib Mikati a dénoncé la semaine dernière, dans une allusion à peine voilée à la ligne de conduite du Hezbollah, ceux qui adoptent une « attitude hautaine, arrogante et de défi » et qui cherchent à entraîner le Liban dans « des aventures en l’isolant de son environnement arabe ». « Ceux qui pensent qu’ils peuvent imposer leur point de vue en se livrant à l’escalade verbale, se trompent, a souligné le chef du gouvernement libanais. Ils se trompent également s’ils croient pouvoir entrainer les Libanais dans des choix en contradiction avec leur histoire, leur espace vital arabe et leurs relations étroites avec les pays arabes, les Etats du Golfe, et plus particulièrement l’Arabie Saoudite ».
Une double dynamique
Cette position ferme du Premier ministre (sunnite) a été reprise le week-end dernier par le rassemblement des uléma sunnites du pays) qui a vivement stigmatisé ce qu’il a qualifié de tentatives d’isoler le Liban de son environnement arabe et de porter atteinte à ses relations avec les pays du Golfe, dont notamment l’Arabie saoudite.
Le 15 octobre déjà, l’un des principaux leaders sunnites du Liban-Nord, le général Achraf Rifi – ancien ministre de la Justice et ex-chef de la Police libanaise – avait tiré à boulets rouges sur le Hezbollah, s’élevant vivement contre la volonté de Téhéran d’imposer son diktat sur le Liban. Il avait rendu visite sur ce plan au chef du parti chrétien des Forces libanaises, Samir Geagea, annonçant une alliance avec celui-ci et appelant toutes les personnalités et forces souverainistes (hostiles à la tutelle iranienne) à s’unir dans le cadre d’un front élargi afin de faire face à l’emprise de l’Iran.
Ces différentes prises de position mettent en relief une forte polarisation qui s’accentue de jour en jour sur la scène libanaise et qui se traduit par une double dynamique axée sur le rejet de l’expansionnisme des Pasdarans iraniens (les Gardiens de la Révolution islamique).
Au plan sunnite, d’abord, les forces vives de la communauté supportent de moins en moins l’arrogance et le comportement hégémonique du Hezbollah qui cherche, à la moindre occasion, à imposer ses quatre volontés au niveau de la gestion des affaires publiques et qui, de surcroît, adopte de façon continue une attitude belliqueuse à l’égard de l’Arabie saoudite.
La ferme réaction sunnite face à cette ligne de conduite du parti pro-iranien s’explique par deux facteurs : d’une part, le conflit endémique sunnito-chiite qui remonte à plusieurs siècles et qui ne cesse de s’exacerber dans l’ensemble du Moyen-Orient, jusqu’en Afghanistan, sous l’effet de l’expansionnisme d’un nouvel empire perse que les Pasdarans tentent de mettre en place avec comme principaux points d’appui le Yémen, l’Irak, la Syrie et le Liban ; et d’autre part, les relations très étroites que la communauté sunnite libanaise a toujours entretenue avec l’Arabie saoudite, ce qui explique la vive réaction face à la campagne soutenue menée par le Hezbollah contre le royaume wahabite.
À Tripoli, un rapprochement avec les Forces Libanaises
La seconde dynamique apparue dans ce contexte sur la scène libanaise est l’empathie qui se manifeste ouvertement dans la rue sunnite à l’égard des Forces libanaises, du fait que ce parti représente la principale formation souverainiste qui s’oppose à l’emprise iranienne et à l’attitude hégémonique du Hezbollah. L’alliance proclamée du général Achraf Rifi avec les F.L. reflète d’ailleurs le sentiment de la rue sunnite sur ce plan. Au cours des derniers jours, de grands portraits de Samir Geagea ont même fait leur apparition dans certains secteurs du Liban-Nord, notamment dans les quartiers populaires de Tripoli (principale localité sunnite du Nord).
Cette empathie sunnite s’explique aussi dans une large mesure par les relations étroites que les F.L. entretiennent avec l’Arabie saoudite. D’aucuns vont même jusqu’à affirmer que les dirigeants saoudiens considèrent aujourd’hui les F.L. comme leur principal allié et interlocuteur au Liban, et non plus le leadership sunnite. Cela est dû vraisemblablement à l’attitude jugée trop conciliante que le chef du Courant du futur Saad Hariri (principal leader sunnite) a adoptée, jusqu’à présent, à l’égard du Hezbollah. À cette double dynamique s’ajoute en outre un fort ressentiment de la rue druze à l’égard du Hezbollah, même s’il ne s’exprime pas souvent au grand jour.
On assiste à l’émergence d’un fort courant transcommunautaire qui ne craint plus d’exprimer un ras-le-bol généralisé contre le comportement hégémonique du Hezbollah. Sir fond d’un bras de fer qui oppose au Moyen Orient le nouvel empire perse à la plupart des pays arabes.