Les témoignages se multiplient sur l’histoire récente de l’Algérie dans plusieurs médias algériens qui profitent de la bienveillance des actuelles autorités militaires,
La persistance des manifestations algériennes commencées le 22 février 2019 a eu pour pour premier effet une recomposition du paysage médiatique. Ce dernier était marqué par l’activisme d’un groupe de spin doctors chargés de « vendre » le 5° mandat de Boutéflika auxquels résistaient quelques médias qui ne voulaient pas revivre, selon d’autres modalités, les années du colonel Fawzi, le gradé qui, au sein de l’ex DRS (services algériens), a controlé longtemps la vie médiatique.
Aujourd’hui, les langues se délient. Et les témoignages se multiplient sur l’histoire récente de l’Algérie.
Les révélations d’El Hiwar
Le Forum du journal arabophone Hiwar est à l’avant-garde des révélations les plus inattendues, qui étaient impensables il y a seulement deux mois. Ce Forum est devenu le point de ralliement des personnalités qui étaient réduites au silence par les intimidations de l’Etat-DRS et les chantages du clan Bouteflika.
El Hiwar a ainsi donné la parole à Abdelaziz Boubakir, un personnage très original, polyglotte, érudit mais très discret. Il a pour particularité d’avoir enregistré les témoignages de l’ancien président Chadli Bendjeddid, évincé en 1992 par l’armée, avant de les décrypter et les mettre en forme et les faire traduire. On sait maintenant que pour remédier aux imprécisions de dates et de personnes, ce biographe s’est fait aidé par Ahmed Taleb Ibrahimi, ancien ministre des Affaires Etrangères, à la demande de Chadli lui-même. « Va voir Si Ahmed, il a gardé ses agendas », lui conseilla l’ex-président.
Trois fois en quatre ans d’entretiens, l’ancien président a fondu en larmes. Chadli ne pouvait rester zen avec le souvenir des humiliations que lui ont fait subir les pustchistes de janvier 1992 qui n’hésitaient pas à faire surveiller par des frégates de la marine militaire sa résidence de Bou-Sfeir, sur la côte ouest-oranaise. Chadli dit avoir été chassé de sa résidence en plein Ramadan, l’obligeant à se réfugier chez son beau-frère.
La brouille entre Chadli et Bouteflika
Abdelaziz Boubakir révèle qu’en quatre ans d’entretiens, Chadli n’a jamais désigné le général Nezzar, ni par son nom, ni par son prénom, contrairement à ce que répète celui qui, ministre de la Défense, a été l’homme fort du coup d’état de 1992. Jamais Chadli ne l’invitait à s’asseoir quand il le recevait à la Présidence. Le gradé restait debout et au garde-à-vous jusqu’à ce que le Président lui intime l’ordre de rompre et de quitter les lieux.
Si l’on croit ces révélations, la démission forcée de Chadli était inspirée surtout par le désir de vengeance de Nezzar. Lorsque ce dernier avait interrogé le général Mostéfa Beloucif sur les tractations de décembre 1978 qui avaient préparé secrètement la succession de Boumédiène, il s’était vu répondre: « Qui es-tu pour qu’on te mette au courant? ». Le général Nezzar ne s’est jamais remis de cette umiliation
Boubakir révèle aussi les conditions de la rupture du président Chadli avec son ministre-conseiller, un certain Abdelaziz Boutéflika. Ce dernier, qui croyait beaucoup à ses chances de succéder à Boumédiène, était déprimé d’avoir été évincé. En 1979, il a été dépêche au Yemen où il avait quelques admirateurs depuis qu’il avait présidé, cinq ans auparavant, la session de l’ONU. Lorsque ses interlocuteurs yéménites lui demandèrent de leur parler du nouveau (« djadid » en arabe) président, Boutéflika ironisa: « justement, il s’appelle Bendjeddid, et il est nouveau pour nous aussi… ».
Ces propos revenus aux oreilles de Chadli expliquent que Boutéflika aie du ensuite quitter l’Algérie pour une bonne décennie.
Des révélations sur le Mali
Le Forum du Hiwar avait également organisé, en début de semaine, un débat réunissant un ancien ministre du Commerce, un ex-colonel de la DCSA limogé par Toufik, un professeur d’histoire à l’université de Bouzaréa et un fils de chahid, né après l’exécution de son père et devenu analyste politique. Les révélations les plus accablantes furent celles du colonel Larbi Chérif qui accusa le général Toufik d’avoir co-organisé l’attaque menée par Mokhtar Belmokhtar contre le consulat algérien de Gao au Mali. Selon lui, ce consulat était une véritable base stratégique qui permettait à l’Algérie de bien connaître ce qui se passait dans les pays du Sahel. On savait l’implication des services marocains dans l’organisation de cette opération. L’ex-colonel révèle l’aide d’un service français. Le tout était financé par une pétromonarchie.
Larbi Chérif ajoute que c’est le général Youssef, envoyé à l’insu de Toufik, qui a pu obtenir la libération de tous les agents consulaires pris en otage, sauf un qui a été tué. Youssef sera promu à la tête de la Direction des Opérations Extérieures des services du général Tartag.
Larbi Chérif révèle aussi qu’au début du deuxième mandat présidentiel en 2004, le général Toufik et le président Boutéflika voulaient autoriser la France à ouvrir une base militaire à Tamanrasset. Mais le projet a du être abandonné en raison de l’opposition de l’armée dont Gaïd Salah était devenu le patron cette année là.
L’ex-colonel confirme également le refus du chef d’état major d’acheter des avions Rafale et autres matériels militaires français que Jean Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, voulait fourguer à l’ANP, avec l’espoir, à peine secret, de la voir intervenir en Libye…
Quant à l’ancien ministre du Commerce Djaaboub, il révèle que l’accord de partenariat économique avec la France n’avait fait l’objet d’aucune négociation. Ahmed Ouyahia, alors Premier ministre, s’est contenté de ramener les propositions françaises pour les faire signer sans discussion. Selon lui, une clause de cet accord obligeait l’Algérie à soumettre à la France tout projet d’accord commercial avec quelque autre pays que ce soit, depuis le géant chinois jusqu’à la petite Tunisie!
Les autres révélations portent sur l’hostilité à la langue arabe classique de Benghabrit, ministre francophile de l’Education, qui a exhumé des projets coloniaux favorables à l’enseignement des parlers locaux à l’école publique. Quand une délégation de la rue de Grenelle, siège du ministère français de l’éducation nationale, arrivait à Alger, Benghabrit interdisait aux membre de son cabinet d’assister aux réunions qui débutaient.
De quoi confirmer l’existence de clauses linguistiques dans les « accords des Invalides » que le président Boutéflika aurait conclu avec le président Hollande alors qu’il était en convalescence aux Invalides en 2013 après sa longue hospitalisation au Val-de-Grâce.