Alors que la Banque Islamique de Développement (BID) a décidé de suspendre son prêt en faveur de l’extension du projet de la Centrale Electrique en Mauritanie, William Bourdon, le président de Sherpa, l’ONG française qui a travaillé sur ce dossier, se félicite de cette décision.
- Le 16 octobre 2012, la Commission des marchés d’investissements de la SOMELEC avait attribué définitivement le projet de Centrale Électrique de Nouakchott à la société Wärtsilä, suite à l’éviction trouble de nombre de concurrents et alors que des soupçons de versements de commissions à des proches du Président mauritanien pèsent sur l’affaire.
- En octobre 2013, la SOMELEC signait de gré à gré avec Wärtsilä un contrat portant sur l’extension du projet, pour un montant de 50 millions €.
- Le mercredi 15 janvier 2014, Mondafrique est informé que l’ONG française SHERPA, précédemment consultée dans cette affaire par les équipes de la Banque Islamique de Développement, annonce que le bailleur saoudien retire son soutien financier à ce projet entaché d’irrégularités.
Mondafrique : Les établissements bancaires ont-ils conscience de courir un risque pour leur réputation en fermant les yeux sur des faits de corruption?
W.B. : Les banques en multipliant les engagements éthiques savent que leur réputation est en jeu. Mais ce risque a toujours été réduit, voire minimisé, s’agissant des opérations effectuées dans des pays pauvres, où l’état de droit est faible. L’établissement de ces faits de corruption est toujours entravé par la difficulté d’accès aux preuves et par les persécutions contre les militants locaux. Néanmoins la direction de la banque anticipe mieux le risque d’être mêlé à des faits de corruption d’agents publics qui parfois interviennent à l’occasion des appels d’offre à des milliers de kilomètres de là. Du coup, les banques doivent se doter d’outils de contrôle en interne rigoureux.
Mondafrique : Comment renforcer la dynamique de moralisation des appels d’offre à travers le monde?
W.B. : Cette dynamique suppose un renforcement des sociétés civiles locales et une coordination accrue avec des grandes ONG internationales telle que l’association SHERPA et d’autres. Cela suppose également des moyens, car il faut effectuer des enquêtes compliquées, dangereuses parfois. C’est dire si en début de XXIème siècle, les militants anticorruption sont parmi les plus exposés. Ils doiven bénéficier d’un bouclier international. Les acteurs de la société civile doivent aussi être sollicités en amont par les acteurs bancaires, car ce sont eux qui peuvent dans leur intérêt jouer ce rôle de vigie et ainsi de détecteur de risques.
Mondafrique : Le fait que ce soit une banque d’Arabie Saoudite, la BID, qui se comporte de façon exemplaire vous a-t-il surpris?
W.B. : Pas du tout, de plus en plus d’acteurs dans le monde arabe – et ceci est sous-estimé – ont intégré dans leur stratégie de façon sincère des engagements en faveur du développement durable et contre la corruption. Une nouvelle génération de managers en Arabie Saoudite et ailleurs a pris la mesure du risque réputationnel et de la réactivité de plus en plus grande des consommateurs et de l’opinion publique. Cette exigence éthique est aussi la signature d’une lucidité à long terme, soit la compréhension du fait que plus ces engagements sont respectés, plus la banque sera perçue comme légitime, plus elle sera crédible dans l’ensemble de ces opérations.
La décision de la BID est aussi un message positif car elle démontre que la modernité, la vigilance s’agissant des engagements contre la corruption ne sont pas le monopole des grandes banques de Paris ou de Francfort. Derrière cette plus grande sensibilité aux risques, il y a aussi les effets collatéraux à long terme du Printemps Arabe. Les peuples ne veulent plus être appauvris, persécutés du fait de la confusion entre les intérêts privés et les intérêts publics.