Les extrèmistes de Daech font la loi à Syrte

Fief de feu Kadhafi, Syrte est passée sous le joug de Daech, sans que les milices islamistes de Misrata et de Tripoli, interlocuteurs des occidentaux, ne s’en inquiètent.

syrteLes appels au secours de la population civile de Syrte, privée de tout, se multiplient. Le gaz est coupé dans toute la ville et les magasins d’alimentation ne sont plus approvisionnés. Les universités et les écoles sont fermées et les hôpitaux privés de médicaments et de matériel. Plus grave encore, les djihadistes de Daech ont pris possession de la ville, multiplient les contrôles à tous les croisements et terrorisent la population. C’est à Syrte déjà que les terroristes de l’État Islamique avaient décapité, en février, une vingtaine de coptes originaires d’Égypte. Le maréchal Sissi, chef d’État égyptien, avait alors réagi vigoureusement et fait bombarder les bases de Daech en Libye, avec l’appui tacite de l’ensemble de la communauté internationale.

Ces derniers jours en revanche et alors que Daech a accentué son emprise sur les populations de Syrte, l’omerta est générale. C’est que Syrte souffre d’une réputation sulfureuse. Ville natale de feu Mouammar Kadhafi, la ville opposa une farouche résistance aux troupes franco-anglaises en 2011 et le paya cher: 20 000 morts et des pilonnages meurtriers des occidentaux. Lesquels étaient dans la guerre contre Kadhafi les alliés des milices islamistes de Misrata et des hommes d’Abdelhajim Belladj, gouverneur militaire de Tripoli, financés et armés par le Qatar. Or ces milices regroupées au sein de la coalition « Aube de la Libye » (« Fajr Libya ») jouent un jeu pervers avec les extrémistes de Daech, qu’ils envoient au charbon quand nécessaire

Des interlocuteurs valables, vraiment?

Pourtant les Américains et les Français veulent croire que leurs amis d’hier, les miliciens de Tripoli et de Misrata, constituent des interlocuteurs valables. Adeptes du double jeu, les Frères musulmans participent en effet, côté jardin, aux négociations lancées par l’ONU et par les occidentaux, on les voit ainsi à Alger, à Rabat… et à Doha. Mais côté cour, les mêmes arment les extrémistes. Ils ont compris tout l’intérêt d’utiliser dans les zones sensibles et qui leur sont hostiles (comme Syrte) les allumés de tous poils.

Depuis 2011, Abdelhakim Belhadj et ses amis ont protégé les combattants d’« Ansar Charia » (dont beaucoup de Tunisiens)  et d’autres groupes violents, armés par le Qatar et la Turquie et qui envoient leurs militants combattre en Syrie et en Irak. Beaucoup de ces soldats perdus, passés sous le commandement de Daech, sont revenus combattre en Libye. Mais ils jouent toujours le rôle de supplétifs, de chair à canon  pour les chefs de Misrata et de Tripoli.

Pour définir le camp de Misrata et du gouvernement, illégal, de Tripoli,  les médias occidentaux évoquent les  « milices islamistes » de la « coalition » « Aube de la Libye ». Autant de termes vagues, qui dissimulent mal les variantes les plus radicales de l’islamisme qui prospèrent dans le sillage d’Abdelhakim Belhadj et de ses amis.

 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)