L’ancien président tchadien Hissène Habré a été sorti de sa prison sénégalaise où il est condamné à la prison à perpétuité, pour être assigné à résidence. Une mesure humanitaire pour cause de coronavirus? Une grâce anticipée? Reed Brody, l’avocat et militant des droits de l’Homme américain très actif sur ce dossier s’interroge. Entretien
Dans un entretien avec Nathalie Prevost de Mondafrique, l’avocat et militant des droits de l’Homme américain, Reed Brody, prend au mot les autorités sénégalaises qui viennent d’assigner en résidence surveillée pour soixante jours l’ancien président tchadien Hissène Habré, âgé de 78 ans, en raison de sa vulnérabilité au Covid-19. « On ne peut que croire le gouvernement sénégalais en une telle période. Mais les victimes espèrent que cette mesure n’est pas le prélude à une grâce ou une libération qui ne dit pas son nom. »
L’avocat ne souhaite pas polémiquer avec l’administration pénitentiaire sénégalaise mais estime que l’ancien président était « bien protégé dans la cellule isolée où il était », où il bénéficiait d’une assistance médicale. Et il rappelle que « bien que Hissène Habré ait laissé périr de nombreuses personnes dans ses prisons, nous sommes engagés pour les droits de l’Homme, y compris les droits de Hissène Habré. »
40000 victimes à son passif!
« Nous savons que les soutiens de Hissène Habré, ceux même qui ont fait obstacle pendant douze ans à ce qu’il soit jugé, explique Reed Brody, s’activent pour sa libération anticipée. Une fois la crise passée, nous allons demander qu’il retourne en prison. » Et l’avocat de poursuivre; « Il faut aussi rappeler qu’il a commis les pires crimes qu’on peut commettre en ce monde : assassinats, tortures, crimes de guerre, esclavage sexuel. »
La commission d’enquête tchadienne a estimé que 40 000 personnes avaient péri suite à ces crimes. Reconnu coupable de crimes contre l’humanité, l’ancien président a été condamné à la prison à perpétuité en 27 avril 2017 à Dakar par les chambres africaines extraordinaires, un tribunal spécial créé en vertu d’un accord entre l’Union africaine et le Sénégal.
Par ailleurs, Hissène Habré a dissimulé toute sa fortune en quittant le Tchad, en emportant l’argent qui restait au Trésor, et il n’a toujours pas indemnisé ses victimes, malgré deux jugements définitifs.
Hissène Habré, mauvais payeur
«Si Hissène Habré veut qu’on soit clément et indulgent avec lui, il faut aussi qu’il soit respectueux envers les victimes, qui sont ses créanciers. Beaucoup vivent dans la précarité et attendent toujours la réparation accordée par les chambres africaines», insiste l’activiste, selon qui une centaine sont déjà décédées depuis les deux jugements. .
Un premier procès, au Tchad, a condamné 21 complices de Hissène Habré et l’Etat tchadien à verser solidairement 75 milliards de francs CFA aux 4300 victimes. Le deuxième procès, devant les chambres africaines extraordinaires, leur a alloué 82 milliards de f CFA, qui devaient être versés dans un fonds de l’Union africaine devant être abondé par les biens de l’ancien président et des contributions volontaires.
« Trois ans après, ce fonds de l’Union Africaine n’est toujours pas opérationnel. Quant au Tchad, je ne comprends pas pourquoi le gouvernement tchadien n’a pas fait le moindre geste envers les victimes en cinq ans. Pourtant le président tchadien Idriss Deby a répété à deux reprises en public que les victimes seraient indemnisées. Pourquoi les oublie-t-il maintenant ? », s’interroge Reed Brody, qui a participé à une marche en février dernier à N’Djamena avec les victimes. (Photo)