Un an après le meurtre de l’animateur radio Martinez Zogo, dont le corps mutilé avait été retrouvé près de Yaoundé, la justice camerounaise semble avoir atteint son plafond de verre. Reporters sans frontières (RSF) a publié mercredi sa propre enquête sur l’assassinat, un dossier hyper sensible qui vient d’être confié à un troisième juge d’instruction.
“Si le récit ignoble des actes de torture subis par ce journaliste est désormais connu, l’information judiciaire piétine depuis plusieurs mois. De nombreuses questions restent sans réponse et toute la lumière n’a pas été faite. Le nouveau juge va devoir redoubler d’efforts pour rassembler les pièces manquantes en résistant aux pressions multiples qui s’exercent sur ce dossier ultra-sensible compte tenu du statut des suspects”, écrit RSF dans un communiqué publié mercredi, précisant avoir pu consulter tout récemment les auditions des membres du commando responsable de l’enlèvement.
La reconstitution du meurtre
RSF a reconstitué le déroulement minutieux du meurtre à partir de ces interrogatoires, recueillis par la justice camerounaise fin janvier 2023. Lorsqu’il a été enlevé le 17 janvier 2023, Martinez Zogo était déjà suivi depuis plusieurs jours par l’équipe de liaison clandestine (LICLAN), un service de la DGRE opérant les filatures secrètes, avant d’être pourchassé puis enlevé dans la soirée par cinq militaires répartis dans deux voitures, écrit RSF. Les membres du commando déclarent avoir emmené le journaliste dans le bosquet dans lequel il sera retrouvé mort cinq jours plus tard. Plusieurs d’entre eux ont admis avoir enlevé et torturé le journaliste dans le but de le faire taire. Ces hommes ont dit avoir agi sous les ordres du lieutenant-colonel Justin Danwe, chef des opérations de la Direction générale du renseignement extérieur du Cameroun (DGRE).
Trente lésions sous la torture
Egalement consulté par RSF, le rapport de la commission mixte police-gendarmerie créée sur instruction du président Paul Biya et transmise au tribunal militaire de Yaoundé, fait état de l’usage d’un cutter, d’un taser et d’un bâton introduit dans l’anus de la victime. Les médecins légistes ont constaté près de 30 lésions et conclue que le décès était “consécutif aux multiples violences subies”.
Dans leurs déclarations, les membres du commando sont unanimes pour décrire une opération qui visait à “corriger” et à “effrayer le journaliste” mais ils disent l’avoir laissé vivant. La justice camerounaise a requalifié le crime en «complicité de torture», les auteurs affirmant avoir laissé le journaliste encore vivant.
Le travail des enquêteurs, et notamment les auditions de confrontation, permet d’établir la nature des liens entre Justin Danwe et l’homme d’affaires Jean-Pierre Amougou Belinga, dit “AB”, le commanditaire présumé du meurtre. Les deux hommes se connaissent depuis plusieurs années. Le premier a l’habitude de donner des informations sensibles au second qui déclare dans ses auditions en faire usage pour en tirer des avantages auprès d’un chef d’État étranger. Justin Danwe assure qu’AB lui a demandé de “faire taire” le journaliste. Les deux hommes se sont rencontrés à nouveau avant et après le meurtre, Danwe ayant transmis à son ami trois courtes vidéos des sévices infligés à Martinez Zogo. Si les rendez-vous précis ont pu être confirmés par des images de vidéosurveillance, Jean-Pierre Amougou Belinga conteste le contenu de ces échanges.
Les enquêteurs ont saisi plus d’une quinzaine de téléphones portables appartenant à l’homme d’affaires et aux membres de sa famille. Après l’arrestation de son ami Justin Danwe le 3 février 2023, alors que l’étau se resserre sur AB, ce dernier supprime ses comptes Telegram, WhatsApp et ICloud de l’un de ses principaux téléphones. Il sera arrêté trois jours plus tard. Que contenaient ces messageries ? Ni les enquêteurs, ni les juges qui se sont succédé ne semblent avoir été en mesure de répondre à cette question.
« Un an après les faits, le lieu du crime n’a pas été formellement identifié, les résultats complets des réquisitions téléphoniques se font toujours attendre et la question de l’étendue des responsabilités reste entière », conclut RSF. « Deux juges ont déjà été dessaisis de l’affaire dont le dernier après avoir tenté de remettre en liberté deux des principaux suspects Jean-Pierre Amougou Belinga et Léopold Maxime Eko Eko, l’ex patron de la DGRE. Une volte-face qui témoigne des pressions énormes exercées sur cette affaire et des obstacles à la manifestation de la vérité pour ce journaliste assassiné. »