Dans l’air embrumé du petit matin à Casablanca, les candidats en course pour les législatives du 7 octobre se sont levés tôt. « C’est la dernière ligne droite, il faut tenir jusqu’au bout » assène, enthousiaste, Hakima Fasli, candidate sur la liste du parti islamiste du PJD pour la circonscription de Hay Mohammadi. A quelques heures seulement de la fin de la campagne qui se termine officiellement à minuit, elle donne, les dernières recommandations aux observateurs de son parti qui seront chargés de surveiller le bon déroulement du scrutin dans les bureaux de vote.
A l’est de la ville, dans le quartier de Aïn Sebaa au bord de l’Atlantique, d’autres militants du PJD tentent un dernier porte-à-porte et distribuent les journaux du parti dans des cafés. « Il faut d’abord inciter les gens à voter. Et bien sûr à voter pour nous ! » sourit un militant.
Montée islamiste
H. Fasli est confiante. « Les gens sont avec nous. La popularité du parti se mesure à chacune de nos sorties en ville, à chacun de nos meetings. Même si certaines réformes n’ont pas encore été menées totalement à terme, nous nous sommes engagés jusqu’au bout et les gens nous font confiance. » Acquise au PJD depuis les dernières élections communales de décembre 2015 où le parti triomphé dans les grandes villes, « Casa », ancien bastion de la gauche est devenu un terrain de conquête privilégié pour le parti islamiste.
Quand il sort de chez lui, le maire PJD de la ville, Abdelaziz El Omari, candidat tête de liste à Hay Mohammadi se fait prendre d’assaut par un bouquet de mains voulant serrer la sienne. Un exercice que l’homme politique répète, amusé, devant les télévisions étrangères venues couvrir la campagne. Certaines n’ont même pas pris la peine de contacter leurs principaux adversaires réunis sous la bannière du PAM, proche du palais royal. « Pas la peine, ce sont les islamistes qui sont sous les feux des projecteurs » ironise un journaliste européen convaincu de la victoire du PJD.
De fait, malgré des réformes économiques impopulaires, plusieurs scandales de moeurs et un bilan en deçà des promesses de campagne lancées lors des législatives de 2011 qui ont conduit le leader du PJD, Abdelilah Benkirane au poste de premier ministre, le parti a le vent en poupe. Après avoir raflé les plus grands villes du pays en 2015, les islamistes peuvent toujours compter sur le principal moteur de leur succès de l’époque : la perte de confiance des citoyens envers les partis traditionnels. « Je vote pour eux oui ! » assure Mounir qui sert dans un café du boulevard Anfa, un plateau chargé fermement maintenu sur le plat de la main. « Au moins eux, ce ne sont pas des voleurs ! ».
Les faux pas du PAM
D’autres, plus cyniques, ont renoncé à se rendre aux urnes. Dans un café de l’avenue Mohammed V, la télévision reste branchée sur la chaîne du National Geographic. Pas d’actualité politique, ici, on en a marre des élections, des partis. Ahmed est désabusé. « Cette année je m’étais dit que j’irai voter. J’avais ma carte d’électeur et tout. Je n’aime pas le PJD. Et puis quand j’ai vu ce que faisait le PAM… Surtout la fausse manifestation anti-islamiste organisée à Casa dimanche dernier… J’ai renoncé. On se fiche trop de nous, ça n’en vaut pas la peine. »
Depuis que Benkirane et le PJD ont vu leur popularité grimper en flèche, la monarchie, habituée depuis l’indépendance à un pluralisme faisant obstacle à l’émergence d’un parti dominant, a entrepris de serrer la vis. En créant le PAM en 2008, le conseiller du roi Fouad Ali Al Himma souhaitait faire barrage au PJD. Mais depuis que la campagne pour les législatives a commencé, le jeu s’est durci. « On voit des moqqadems et des cheikhs ordonner aux gens de leurs quartiers d’aller voter pour le PAM » confie un militant associatif de Casablanca. Des accusations claironnées tant et plus par les candidats du PJD dans d’autres circonscriptions à l’image d’Aziz Rabbah, ministre de l’Équipement et du Transport, candidat à Kénitra qui a dénoncé la généralisation de ces pratiques dans sa circonscription lors d’une conférence de presse. Un exemple du fameux « tahakoum » – la domination de l’État profond ou l’autoritarisme – que dénonce, à répétition, le PJD.
Dernier raté en date, la marche anti islamiste montée de toute pièces dimanche 18 septembre à Casablanca par le PAM a marqué les esprit. « On voyait des femmes en niqab brandissant des pancartes demandant la laïcité au Maroc » s’amuse un habitant présent lors de la manifestation.
« L’important c’est le programme » tempère Saïd Naceri, candidat du PAM pour la circonscription de Casa-Anfa et président du club de football Wydad de Casablanca. « Si vous comparez bien, les différences sont flagrantes. Le PAM a fait le choix de la modernité ».
Une faible participation
Face à ce bras de fer entre le PJD et le PAM, certains ont choisi de ne pas participer au scrutin à l’image de l’extreme gauche et du mouvement islamiste Al Adl Wal Insane. « C’est un jeu de dupes. On nous présente un faux duel qui, au fond, n’apportera aucun changement réel. Tant que les institutions seront les mêmes tout restera comme avant » assène un boycotteur proche de l’extrême gauche qui tracte jusqu’à la dernière minute.
Reste une grande inconnue : le taux de participation. Sur environ 33 millions de Marocains seuls près de 16 millions sont inscrits sur les listes électorales. Lors des dernières législatives, 45% des votants s’étaient rendus aux urnes donnant à la chambre basse du parlement et au nouveau gouvernement une faible légitimité. A Casablanca, les scores sont encore plus bas et oscillent entre 30 et 35% de participation. « La vie politique est très faible au Maroc » explique un candidat du PJD qui requiert l’anonymat. « Une fois les élections passées il n’y a plus de débat d’idées, plus de réflexion sur l’avenir de la société. Les partis devraient davantage jouer leur role d’encadrement de la vie politique au risque d’apparaitre seulement comme des machines électorales. »