L’habileté du régime tunisien confronté à une crise politique sans précédent est de mettre en avant, face aux partenaires occidentaux, ses velléités réformatrices en matière d’égalité homme-femme et d’anti racisme.
Lors du dernier rassemblement de la francophonie à Erevan la semaine dernière, le président français, Emmanuel Macron, a salué avec chaleur l’ardeur réformatrice et l’attachement aux libertés de son homologue tunisien, Beji Caïd Essebsi, dit BCE. Pourtant la crise institutionnelle et la faillite économique que connait une Tunisie désemparée auraient du inciter le président français à plus de retenue.
On n’a jamais été aussi proche en effet à Tunis d’une totale paralysie. La transition démocratique qui provoqua, voici sept ans, l’admiration du monde entier après la fuite de l’ex président Ben Ali, est mal en point et la tentation autoritaire présente aussi bien au sein de la classe dirigeante que chez les plus modestes des Tunisiens.
Il faut pourtant saluer la formidable capacité du vieux et roué président tunisien, 92 ans, pour masquer la montée des périls et à s’attirer la bonne grâce de ses interlocuteurs occidentaux, sans doute pour favoriser l’accès au trône, demain, de son propre fils, un affairiste qui se contente de piller le pays..
Un écran de fumée
Après avoir annoncé, voici un an, sa volonté de rétablir l’égalité homme-femme en matière d’héritage, une première dans le monde musulman, BCE vient de faire voter un projet de loi, le 9 octobre dernier, pénalisant le racisme, monnaie courante contre la minorité des Noirs, près de 10% de la population totalement marginalisée à ce jour.
Peu importe que le premier texte sur l’héritage soit toujours étudié par une commission parlementaire ad hoc et sans grand espoir d’être adopté compte tenu du poids des députés islamistes de Rached Ghannouchi qui lui sont radicalement hostiles! Et tant pis si la représentation nationale ne compte qu’un seul élu issu de la communauté afro-tunisienne, Jamila Ksiksi, la députée qui a activement défendu le projet de loi. Depuis Taïeb Sahbani, secrétaire d’Etat aux affaires étrangères en 1986-1987, aucun Noir n’a jamais été ministre à Tunis. Les Noirs sont aussi absents de la scène médiatique tunisienne.
On veut croire à Paris à la mythologie d’une Tunisie restée pionnière en maatière d’ouverture aux valeurs occidentales. On ne veut pas voir la montée des périls qui guette le paradis du jasmin. Or les libertés démocratiques sont devenues, avec la crise économique et sécuritaire, une peau de chagrin. Une corruption endémique; des journalistes écoutés par un système de surveillance qui a survécu à la dictature; des mauvais traitements monnaie courante dans les commissariats; enfin les lanceurs d’alerte et autres bloggeurs régulièrement trainés devant les tribunaux.
La Tunisie attend autre chose de la France que des bonnes paroles octroyées lors d’un sommet de la francophonie.