Pendant dix ans, Ali Bendaoud fut le représentant de l’ex DRS (services algériens) en France. Ce colonel navigua dans les eaux troubles des relations franco-algériennes. Voici le récit de ce séjour mouvementé à Paris (1999-2009) que Mondafrique a pu reconstituer en puisant aux meilleures sources.
Dès la première visite du président Chadli Bendjedid à Paris en 1982 à l’invitation de François Mitterrand, le général Larbi Belkheir, bras droit du chef de l’état algérien, avait négocié une étroite coopération policière franco-algérienne. Celui qui était alors l’homme fort du pouvoir ordonna au commandant Smaïn Lamari, numéro deux des services secrets, de se concerter régulièrement avec Yves Bonnet, à l’époque directeur de la DST (contre espionnage français) et inconditionnel de l’Algérie.
Sept ans plus tard, le recteur de la Mosquée de Paris, Tédjini Haddam, transmettait au Quai d’Orsay, à la demande toujours de Larbi Belkheir, une proposition de collaboration contre la menace « intégriste » en France.
Dans ce contexte exceptionnel, un capitaine d’infanterie du bureau militaire de l’ambassade d’Algérie à Paris fut autorisé en 1989, à titre exceptionnel, à participer à une session sur l’Islam organisé au CHEAM (Centre des Hautes Etudes de l’Afrique et l’Asie Modernes). Ces stages étaient généralement destinés aux inspecteurs de la DST. Le jeune capitaine algérien s’inscrivit au CHEAM sous le nom d’Abdelhamid Bendaoud.
Deux ans plus tard, Abdelhamid Bendaoud devenait Ali Bendaoud. Le changement de prénom fut un préalable à son entrée au sein du DRS, le service secret algérien héritier de la tristement célèbre Sécurité Militaire (SM). Lequel DRS fut dirigé jusqu’en 2015 par le redoutable et redouté général Mohamed Mediène, surnommé Toufik, aujourd’hui emprisonné et accusé par le pouvoir militaire conquis désormais par ses ennemis de complot contre l’Etat.
Les éradicateurs comme protecteurs
Dès sa nomination à la tête des services en septembre 1990, le général Mediène, dit Toufik, s’employa à favoriser le recrutement d’officiers chargés de suivre le dossier de l’Islam par l’infiltration ou par l’intoxication. Après le succès du Front Islamique du Salut (FIS) aux élections locales de juin 1990, le noyau dur du clan des généraux éradicateurs partisans d’une lutte sans merci contre les islamistes, envisageait de réagir à une victoire probable du FIS aux élections législatives de la fin de 1991. Ces conspirateurs se tenaient prêts pour engager une violente répression contre le courant islamiste, un plan exécuté durant la décennie noire de 1992 à 1998.
Pour trouver sa place dans cette nouvelle configuration, Ali Bendaoud avait mis en avant son expérience au CHEAM et ses liens avec la DST qui surveillait de près les musulmans pratiquants. Pourtant certains au sein du DRS trouvaient bien insuffisante la formation que le jeune Bendaoud avait reçu au lycée technique d’El Anasser où sont orientés les élèves dissipés. Il fut néanmoins repêché par le colonel Si Salah, alias Meraou, auprès de qui il apprit le « b-a-ba » de son nouveau métier. Seul souci, cet ancien responsable de la wilaya 5 à Oujda pendant la guerre d’indépendance n’était pas un chaud partisan d’une coopération avec la DST, contrairement à la Présidence algérienne. On le soupçonnait même de faire partie des officiers qui souhaitaient écarter du pouvoir le puissant clan des éradicateurs. Cela lui valut d’être assassiné sur les hauteurs d’Hussein Dey.
A l’époque, la veuve de Si Salah avait accusé de vive voix Smaïn Lamari, le numéro deux du DRS. Ce qui n’empêcha pas le capitaine Bendaoud de poursuivre sa carrière sous l’autorité de ce même Lamari. Du moins jusqu’à ce que dernier ne disparaisse, victime officiellement d’une crise cardiaque ou d’après certaines sources bien informées, d’un empoisonnement à poison lent versé dans un café bu en Espagne.
Un séjour suisse tumultueux
Le premier poste du capitaine Ali Bendaoud fut la Suisse où cet agent mènera un combat acharné pour obtenir des autorités helvétiques l’expulsion des réfugiés islamistes. Hélas, ses tentatives échouèrent lamentablement et le gouvernement helvèta accordea un titre de séjour spécial à ces supposés terroristes.
Coté cour, l’officier du DRS multiplia les rencontres entre les médias suisses et les intellectuels algériens, comme Malek Chebel ou Anouar Benmalek pour dénigrer les islamistes qu’il agressait volontiers en les croisant dansles rues de Genève. Coté cour, le colonel entretient de bonnes relations avec le responsable des relations extérieures du DRS, le général Fodil Saïdi dont il dépendait directement.
A Genève, Ali Bendaoud fut très actif. Il fiit venir de Marseille le très respecté Soheib Bencheikh pour qu’il témoigne devant la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU qui était sur le point de condamner le régime algérien pour crimes contre l’humanité. Il organisa les voyages des généraux qui, pour s’épancher, préféraient les auberges suisse aux brasseries parisiennes. Il veilla enfin sur les séjours genevois d’un Boutéflika qui était à l’époque très marginalisé mais dont la famille, notamment sa mère aimée, séjournait souvent en Suisse.
Hélas, l’impulsivité d »Ali Bendaoud fut à l’origine d’un grave incident diplomatique lorsqu’il brandit son arme face à un commissaire suisse. Le gouvernement helvétique lui retira son accréditation et il faudra qu’Abdelaziz Boutéflika, tout juste « élu » et reconnaissant des services passés, demande au patron du DRS, le général Toufik, de nommer Bendaoud en France. Ce qui sera fait.
Premières embrouilles
Ali Bendaoud débarqua à Paris en septembre 1999 avec comme viatique les précieux contacts avec la DST française, un solide point d’appui, et une étude du commandant Rahal (du service d’Analyse et de Prospective du DRS), classant les interlocuteurs français en fonction de leur soutien à la politique d’élimination contre les islamistes. Charles Pasqua, deux fois ministre de l’Intérieur et qui à ce titre facilita la fuite de l’assassin de l’opposant kabyle Ali Mecili, arrivait en tête des « amis » de l’Algérie. Pas très éloigné dans le classement, se trouvait le porte flingue de « Monsieur Charles », l’ineffable Jean Charles Marchiani que l’on voyait souvent à Alger.
En attendant d’améliorer sa connaissance des milieux politiques français, Ali Bendaoud commença par jouer avant les nerfs de l’ambassadeur, M. Ghoualmi, en annonçant régulièrement son rappel à Alger. Avec un zèle de néophyte, il sabota la candidature de Layachi Yaker qui était présenté comme favori pour le poste de Paris.
Grâce à ses nombreux contacts, le colonel eut vent des visites à Paris de Zerhouni, futur ministre de l’Intérieur et intime du clan Bouteflika, pour préparer l’ouverture d’une banque algérienne pouvant drainer l’épargne de l’immigration. Le projet, tout à fait pertinent, ne verra jamais le jour. L’agent du DRS s’était empressé d’alerter son patron, le général Toufik, qui ne voulait à aucun prix voir le clan présidentiel disposer d’un instrument bancaire à l’étranger.
Le soutien au groupe Khalifa
Ali Bendaoud a toujours pratiqué un double jeu entre les deux pôles du pouvoir algérien durant ces années là. Il profita de ses bonnes relations avec le premier camp, la Présidence et ses obligés,, pour renseigner le second, le DRS du général Toufik.
Le responsable de la sécurité à la présidence était un certain colonel Aït Mesbah, alias Sadek, l’un des principaux protecteurs de Moumen Khalifa, ce golden boy algérien qui en un temps record et grâce à ses appuis en haut lieu monta un empire industriel, aussi éphémère que spectaculaire.
Pour faire d’Aït Mesbah un solide allié qui pourrait plaider pour son maintien en France où il disposait d’une sinécure enviée, Ali Bendaoud facilita la montée fulgurante du groupe Khalifa. C’est peu dire qu’il se montra particulièrement serviable lorsque achat Moumen Khalifa acheta un appartement au coeur de Paris, rue du Faubourg Saint-Honoré, pour la Présidence
Autre retombée positive de ce soutien au groupe Khalifa, Djaouida Kebbach, la tante de Moumen, promettait à Bendaoud de le mettre au courant des arcanes de l’Islam en France, elle qui avait sévi à la Mosquée de Paris sous le règne successif de cheikh Abbas, puis de Tédjini Haddam.
Le double jeu permanent
La tactique consistant à obtenir l’appui de la Présidence, via le colonel Sadek, fut contrariée quand éclata le scandale Khalifa qui fut à l’origine d’une violente dispute entre Saïd Boutéflika et le colonel Sadek. Pour avoir giflé « Monsieur Frère », Aït Mesbah fut renvoyé de la présidence où l’on s’attendait à le voir sanctionner par sa hiérarchie. Pas du tout, Tewfik l’éleva au grade de général ! Bendaoud avait su rester solidaire du colonel Sadek, tout en maintenant ses liens avec le clan Bouteflika;
Un autre objectif du capitaine Bendaoud, devenu colonel, aura été d’infiltrer le mouvement associatif en France et d’utiliser les élites beurs, de Malika Benlarbi, membre du cabinet de Brice Hortefeux au ministère des collectivités locales, à Slimane Naddour, en charge des relations publiques de la Mosquée de Paris
Au cours de ces tentatives d’infiltration, Bendaoud ne fit pas preuve d’une grande discrétion. Au cours d’une virée nocturne dans l’Hérault, sa voiture avait été mise en fourrière et pour la récupérer, il appela en pleine nuit Karim Jeribi, un conseiller de Jean Pierre Chevènement, alors un ministre de l’Intérieur très complaisant pour les militaires éradicateurs.
Au début du deuxième mandat de Boutéflika, Bendaoud participe à la politique des « contacts » avec les « faiseurs d’opinion » pour les dissuader de relancer les débats sur « qui tue qui ? » et les amener à améliorer l’image du pouvoir algérien. L’officier du DRS avait misé alors sur Sifaoui, au service du DRS depuis les bancs de l’université.
L’instrumentalisation de la Mosquée
Un autre gros dossier du colonel fut celui de « l’Islam de France » que le DRS s’est toujours employé à contrôler via la mosquée de Paris, Longtemps, le poit d’appui des services algériens fut un certain Mohamed Ounoughi, nommé « inspecteur des imams » avant de devenir le garde-corps de Dalil Boubakeur, le recteur de la Mosquée
Arrivé en pleine campagne pour la « concorde civile », le colonel croyait pouvoir devenir rapidement général en faisant arrêter, à partir de Paris, Hassan Hattab, chef du Groupe Ssalafiste de Prédication et de Combat (GSPC), l’embryon de cette mouvance terroriste qui s’installera dans le sud algérien puis au Sahel. Le gardien de la mosquée, Mohamed Ounoughi, n’était-il pas un cousin du dirigeant islamiste? Bendaoud le chargea d’aller en Kabylie pour y rencontrer son parent, avec un téléphone portable en poche. Cet appareil devait servir à localiser le chef islamiste pour l’arrêter.
Pour préparer les élections du Conseil Français du Culte Musulman en 2008, le colonel Bendaoud devait ordonner la mise en place d’une « Fédération de la mosquée de Paris », discrètement dotée d’un million d’euros. Laquelle servit surtout au DRS à augmenter le nombre de ses informateurs en province.
Dans son pot d’adieu en 2009, le colonel Bendaoud se disait « fier d’avoir dirigé l’Islam de France ». Quel aveu! Et quelle morgue quand on sait à quel point la mosquée de Paris a perdu toute influence réelle au sein de la communauté musulmane française livrée aux prophètes de malheur des monarchies pétrolières.
De bons et déloyaux services
Pour essayer de remédier à la perte de crédibilité qui le guettait, le colonel Bendaoud s’était avisé, sur le tard, de se rabattre sur une « légitimité historique » virtuelle. En usant de ces vieilles recettes et en jouant sur la corde du nationalisme, l’officier du DRS s’était inventé un lien de parenté avec Omar Boudaoud, l’ancien chef de la Fédération de France du FLN dirigée héroïquement d’Allemagne.
C’est avec un bilan bien médiocre bilan qu’Ali Bendaoud, promu général, sera rappelé finalement à Alger en 2009 où il s’occupera de sécurité à la Présidence, un poste subalterne. Il avait pris soin d’installer à Londres sa fille, après l’avoir mariée au fils d’Abdelmalek Sellal, Premier ministre et loyal serviteur du clan Bouteflika- ce qui lui vaut aujourd’hui d’être trainé devant les tribunaux.
Avant de quitter Paris, le bon colonel Bendaoud avait fait recruter son fils, sans diplôme, à l’Ecole algérienne de la rue Boileau à Paris, une réserve d’emplois fictifs à l’algérienne.
A Alger où il servit tour à tour les intérêts du DRS et de la Présidence, à moins que ce soit l’inverse, avant de lancer, ces dernières semaines, quelques ballons d’essai à l’adresse de Gaïd Sellah, Ali Bendaoud coule une retraite paisible. Non sans avoir été rappelé en mars par le clan Bouteflika, mais pour une durée de neuf jours seulement, à la tète de la Direction générale du renseignement extérieur, l’équivalent algérien de la DGSE française
Ali Bendaoud dont on ne possède aucune photo est représentatif de ces officiers du DRS qui bénéficièrent d’un recrutement au rabais pour les besoins de la lutte anti-islamiste, la seule planche de salut pour un régime en sursis. Une victoire à la Pyrrhus a fait de ces demi soldes des parvenus auto satisfaits qui surestimaient leur valeur réelle à force de répéter et sans doute de croire eux mêmes qu’ils avaient été les « sauveurs » d’un pays naufragé.
On est très loin des prévisions optimistes faites un jour par Laddi Haouari qui dans un article du « Monde Diplomatique » voyait dans cette génération de colonels républicains le levier pour débarrasser l’Algérie de la vieille garde des généraux-majors corrompus …