A 44 ans, Bassirou Diomaye Faye, qui a dominé avec 54,28% des voix, au premier tour, le 1er ministre de Macky Sall, Amadou Ba, pour être élu le plus jeune président du Sénégal, a pris ses quartiers, le 2 avril dernier, au palais présidentiel. Ce départ très ordonné consacre surtout l’intangibilité du mandat présidentiel au Sénégal, un pays qui continue de faire office de phare démocratique unique dans une sous-région habituée aux coups de force militaire et constitutionnel.
Correspondance à Abidjan, Bati Abouè
Macky Sall est donc parti, laissant son palais à son improbable successeur Bassirou Diomaye Faye, l’ancien inspecteur des impôts de 44 ans qui n’était encore qu’un prisonnier (politique) avant le 14 mars 2024 et le retentissant coup de poker menteur d’avant d’Ousmane Sonko à quelques semaines du scrutin. Et même si l’histoire connaît parfois ce type de retournements spectaculaires, ceux du Sénégal ont quand même dérouté plus d’un en Afrique de l’ouest en particulier où la marge entre le leader politique incarnant une cause et la cause elle-même est si mince que l’une et l’autre finissent par signifier la même chose.
Il aura donc fallu la sagesse du jeune président des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), Ousmane Sonko, 49 ans, ancien cadre des impôts, lui aussi, pour construire une nouvelle théorie du leadership en Afrique et voir ce jeune président sans aucune expérience de la vie publique accéder au plus prestigieux poste dans son pays. « Mon choix de Diomaye Faye n’est pas un choix de cœur, mais de raison. Je l’ai choisi parce qu’il répond aux critères que j’ai définis. Il est compétent et a fréquenté l’école la plus prestigieuse du Sénégal. Personne ne peut dire qu’il n’est pas honnête. Je dirais même qu’il est plus honnête que moi. Je lui confie le projet », s’était amplement justifié Ousmane Sonko dans un message vidéo enregistrée dans sa cellule de la prison à Dakar.
Phare démocratique
Cas unique dans une sous-région en proie à des violences récurrentes qui éclatent chaque fois dans les sillons des changements constitutionnels illégaux, le Sénégal vient ainsi ajouter une nouvelle ligne à la fiabilité de son système institutionnel et à la qualité des hommes qui l’incarnent. En effet, malgré la tempête, le conseil constitutionnel est resté figé sur les textes et a éconduit une à une les ruses du président sortant qui était néanmoins parvenu à obtenir le soutien du PDS du fils d’Abdoulaye Wade et des anciens présidents du pays.
Car le Sénégal est ainsi passé très près de l’apocalypse puisqu’à la veille de la campagne électorale, Macky Sall avait choisi de rapporter son décret fixant le début de ladite campagne et d’installer en retour un terrible vent d’incertitude au sommet de l’Etat. Au vu des trois dernières années de contestation politique durement réprimées par le pouvoir, -Amnesty international parle d’une soixante de morts et de plusieurs centaines d’emprisonnements-, cet énorme pataquès sénégalais avait tout l’air du mode opératoire des élites africaines pour garder le pouvoir dans le chaos. Heureusement, ni le conseil constitutionnel, ni les forces politiques et encore moins la société civile ne s’est laissée avoir. Y compris lorsque les anciens chefs d’Etat ont appelé, de façon madrée, les forces politiques à s’engager dans le dialogue national.
Rupture systémique
Le nouveau président se présente comme un homme de la rupture, du rétablissement d’une souveraineté bradée à l’étranger et d’un panafricanisme de gauche. Il déclare surtout vouloir combattre la corruption et l’injustice, une lutte dans laquelle il était déjà engagé à la direction nationale des impôts où a mûri son engagement politique. Ce combat pour la justice sociale a vite eu des échos favorables auprès des jeunes qui sont les plus concernés par le chômage. Selon les statistiques, 4 sénégalais sur 10 de la tranche d’âge allant de 18 ans à 35 ans déclarent être au chômage et à la recherche d’un travail contre 6%-23% des personnes les plus âgées.
Le premier défi qui va donc se poser à Bassirou Diomaye Faye est sur le front de l’emploi. Pour ce faire, le nouveau président compte sur un meilleur recouvrement des recettes de l’Etat et leur bonne utilisation. Tout le monde va devoir mettre la main à la poche, y compris les entreprises françaises qui bénéficiaient jusque-là de l’accord de non double fiscalité conclue entre la métropole et le pré-carré des anciennes colonies françaises. Mais Bassirou Diomaye Faye table aussi sur la bonne gouvernance et la transparence. La publication de son patrimoine constitue d’ores et déjà un bon révélateur de l’exigence qu’il va devoir s’imposer pour rassurer ses compatriotes qui attendent certainement beaucoup de l’exploitation du gisement de pétrole découvert, il y a quelques années, au large de Dakar.
Fort tempérament
Peu connu des sénégalais avant d’être choisi comme le candidat par défaut du Pastef, Bassirou Diomaye Faye que beaucoup ne perçoivent encore que comme un président qui restera dans l’ombre de son mentor Ousmane Sonko, a déjà prévenu sur ses capacités à incarner entièrement son rôle. « Pourquoi voulons-nous nous concentrer sur une seule personne dans un gouvernement alors que j’ai une coalition de 120 personnes ? Dans une élection présidentielle, une seule personne est élue à la fin, et c’est elle le président de la République », avait-il déclaré, balayant les inquiétudes de certains électeurs qui craignaient que s’il gagnait, le pays se retrouverait avec deux hommes qui se croiraient présidents.
Le nouveau président nourrit également des certitudes fortes sur un changement systémique et entend clairement faire entendre la voix d’une nouvelle élite décomplexée qui dit haut et fort notre aspiration à plus de souveraineté, au développement et au bien-être ».
En attendant le pire
Pays de 18 millions d’habitants, le Sénégal est la deuxième force économique de l’UEMOA mais tous les indicateurs économiques le mettent encore loin derrière la Côte d’Ivoire qui a un rôle de locomotive de la sous-région. En revanche, le Sénégal contrairement à la Côte d’Ivoire se consolide à chaque élection comme un havre de stabilité politique, gage de l’attractivité de son économie. D’Abdou Diouf à Abdoulaye Wade en passant par Macky Sall, ce pays réussit en effet d’année en année son renouvellement générationnel ; ce qui n’est pas le cas de la Côte d’Ivoire où avec ses 84 ans en 2025 et 80 ans la même année, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo devraient, selon toute vraisemblance, croiser à nouveau le fer, dans ce qui restera comme un duel de revanchards. De sorte que pendant que Dakar se rafraîchit au contact de sa nouvelle élite gouvernante, Abidjan se prépare au pire.