Le président du parlement ivoirien, Adama Bictogo, est devenu l’ennemi public

Contrôle fiscal, retrait de concessions, investigations menées sur les impôts effectivement payés… En Côte d’Ivoire, la pression mise par le régime Ouattara contre le président de l’Assemblée nationale, Adama Bictogo, l’une de ses figures de proue, bat tous les records de règlement de compte politique.

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè

 

Comment fait-il pour ne pas craquer ? Depuis plusieurs mois, l’administration ivoirienne a fait monter la pression sur les entreprises fondées par le président de l’Assemblée nationale Adama Bictogo qui est, en principe, la deuxième personnalité de l’Etat et qui aurait dû, comme c’est généralement le cas, bénéficier des mêmes passe-droits que les autres. Malheureusement depuis ces derniers mois, toutes ses entreprises font l’objet d’un contrôle serré des services des impôts qui investiguent également sur l’irrégularité de ceux payés au cours de ces dernières années.

A cela, il faut ajouter que certains marchés qui lui avaient été accordés à titre de concessions ont d’ores et déjà été retirés. C’est le cas de la Société Nationale d’Edition de Documents Administratifs et d’Identification, Snedai, son groupe, qui s’est vu retirer le marché de la confection des cartes de la couverture maladie universelle (CMU), le système d’assurance maladie du gouvernement, dont il était, depuis son lancement, l’opérateur principal, ainsi que le marché de la fabrication des passeports et de la délivrance de visa qui, lui, n’a pas été prorogé. Cette concession, qui arrivait à son terme cette année, devait faire l’objet de négociations pour une prorogation. Mais non seulement cela n’a plus été le cas mais, pire, le gouvernement a déjà lancé un appel d’offres public.

Une guerre pour la succession

Si Adama Bictogo est devenu peu à peu le paria dont le régime Ouattara met en scène la mise à mort politique, c’est parce qu’il s’est montré gourmand aux yeux du clan présidentiel qui n’a pas toléré la façon dont il s’est imposé comme le président de l’Assemblée nationale contre la volonté d’Alassane Ouattara. Car initialement, le président de la République avait voulu nommer sa ministre de la fonction publique, Anne Oulotto, qui est une native de la région de l’ouest comme Laurent Gbagbo, à la tête de l’institution. L’objectif étant de lui donner les moyens politiques de contester la popularité de l’ancien président dans cette zone qui lui est restée majoritairement fidèle. Malheureusement, l’ambition du président Ouattara a croisé celle d’Adama Bictogo qui a su tirer parti de sa période d’intérim due à la grave maladie d’Amadou Soumahoro, qui est finalement décédé le 7 mai 2022, pour gérer l’institution comme s’il en était le seul vrai patron.

Bictogo réussit ainsi à marquer son territoire en fédérant les parlementaires du pouvoir et de l’opposition autour de lui. Dès lors, lorsque le président de la République eut l’intention d’y débarquer une nouvelle personnalité, l’Assemblée nationale se montra peu concernée. D’autant plus clairement que le patron de Snedai qui est devenu l’une des premières fortunes du pays grâce à ses affaires tentaculaires, avait d’autres arguments à faire valoir et savait par ailleurs persuader ses partenaires et ses adversaires. Signe des temps, le président de la République n’a plus eu besoin de gouverner par ordonnance comme c’était le cas au début de son mandat depuis que M. Bictogo a pris les rênes du parlement.

Marginalisé par le clan présidentiel

Mais au sein du pouvoir, cette proximité du président de l’Assemblée nationale avec les leaders de partis d’opposition agace certains cadres du RHDP, dont Ibrahim Cissé Bacongo, le secrétaire exécutif du parti, qui entretient des relations difficiles avec Adama Bictogo. Nommé ministre-gouverneur du District d’Abidjan, Cissé Bacongo a rapidement dirigé son matériel de déguerpissement vers Yopougon où Adama Bictogo venait de triompher aux élections municipales en profitant de la mésentente entre le PDCI et le PPA-CI.

La prise d’un tel bastion de Laurent Gbagbo n’est pas sans susciter des ambitions présidentielles en cas de renoncement du chef de l’État ivoirien, Alassane Ouattara, à briguer un quatrième mandat en 2025.

Plus grave, les relations du président de l’Assemblée nationale sont  devenues notoirement mauvaises avec le coeur de l’entourage présidentiel: Fidèle Sarassoro, le directeur de cabinet présidentiel; Kandia Kamissoko Camara, la présidente du Sénat; ou encore avec le frère cadet du président, Téné Birahima Ouattara. Autant dire les principaux décideurs de la marche du pays.