Le pouvoir ivoirien reconnait l’ampleur des inégalités sociales

Alors qu’il avait pris l’habitude de tout nier en bloc, le porte-parole du gouvernement ivoirien, Amadou Coulibaly est plutôt resté sobre cette fois-ci en prenant la parole sur la faiblesse de l’indice de développement de la Côte d’Ivoire, concédant ainsi les criantes inégalités sociales qui frappent la majorité des Ivoiriens.

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè

Du bout des lèvres, le gouvernement ivoirien a fini par concéder que la Côte d’Ivoire est bel et bien classée parmi les 30 pays ayant le plus faible indice de développement humain. « En 2011, on avait 0,46 point. En 2022, nous sommes passés à 0,53 point. Ça veut dire que notre IDH a progressé. C’est comme votre fils ou votre fille qui va à l’école. Au premier trimestre, il a 11 de moyenne, il est classé 10è. Mais à la fin de l’année, il a tellement bien travaillé qu’il a 13 de moyenne, mention bien, sauf qu’il est 15è et vous le blâmez parce que toute la classe a travaillé. C’est une bonne chose que l’humanité toute entière cherche à progresser », a imagé le ministre Amadou Coulibaly pour bien faire comprendre au plus grand nombre de quoi il s’agit. Mais, surtout, pour répondre précisément au président du PDCI, Tidjane Thiam qui avait comparé ce chiffre à celui des 30 pays les mal classés par la Banque Mondiale.

Mais même en concédant la charge de M. Thiam par des tournures quelque peu inattendues, le porte-parole du gouvernement a omis de noter qu’en 2021, l’indice de développement de la Côte d’Ivoire était plutôt de 0,55 point et qu’il a bel a chuté à 0,53 comme l’a dit le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire à Soubré, devant ses militants sortis massivement pour l’écouter. Cela dit, c’est la première fois que le gouvernement ne niait pas publiquement toutes les critiques en bloc en surexposant les infrastructures routières réalisées sous le mandat du président Ouattara ou en ne surinterprétant pas des statistiques dont il est le seul à connaître l’origine.

 

Un monde parallèle

Un peu comme le mardi 18 juin dernier, lors du discours d’Alassane Ouattara devant les deux chambres du parlement ivoirien réunis en congrès. Ce jour-là, le président ivoirien avait distribué à tour de bras les bons points à ses ministres. Et même à celle de l’éducation nationale qui n’avait pas fait mieux que 40,18% de taux de réussite national à l’examen du Brevet d’études du second cycle (Bepc). Ou encore à celui de la construction et de l’urbanisme qui continue de rester en poste malgré le phénomène récurrent des immeubles qui s’effondrent à Abidjan. Bref, au fil des années, c’est comme si deux mondes parallèles s’étaient formés en Côte d’Ivoire avec d’un côté, la majorité des populations qui sont frappées par la crise du logement, le renchérissement du prix de l’électricité et du carburant, l’inflation ou encore par le manque de travail et qui sont, pour cette raison, obligées de se réfugier dans des quartiers précaires où les maisons sont construites avec des matériaux de récupération. Et la minorité dont le train de vie s’affiche dans les belles pages des magazines locaux ou à travers les vitres teintées des véhicules rutilants qu’ils arborent.

Car en Côte d’Ivoire, les pauvres ne bénéficient d’aucune mesure d’accompagnement de l’Etat qui s’est résolu, d’année en année, à les chasser de leurs maisons, lors des opérations de déguerpissement qui ont pris une ampleur inédite cette année avec l’arrivée de Cissé Bacongo à la tête du district d’Abidjan. Selon une étude du Bureau national d’études techniques (Bnetd), la ville d’Abidjan seule comptait en 1992, 72 quartiers précaires pour 300.000 personnes. En 2014, ce chiffre est passé à 135 selon le PNUD avec plus d’un million d’habitants vivant dans des conditions sanitaires désastreuses. Alors, dès 2023, le gouvernement a entrepris de les réhabiliter grâce au programme PAQRA d’une valeur de 32 milliards. Ce programme est financé par l’AFD conformément au contrat de désendettement qui lie la Côte d’Ivoire dans le cadre de l’exécution du programme PPTE. Mais au lieu de joindre l’acte à la parole, le gouvernement a plutôt choisi de démolir tous les quartiers précaires sous le prétexte de vouloir épargner des vies humaines lors des grandes crues qui allaient déferler sur le pays. A l’arrivée, malgré ces déguerpissements, plus de 22 personnes ont déjà perdu la vie, soit plus que d’habitude.

 

38% du capital humain, selon la Banque Mondiale

La Côte d’Ivoire est aussi confrontée à l’insuffisance des infrastructures sanitaires, notamment celle criante des plateaux techniques des hôpitaux d’élite. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les riches du pays se font soigner en Europe. Mais malgré cette réalité quotidienne, le gouvernement assure avoir construit des centres de santé à moins de 5 km, selon les normes du FMI. D’ailleurs, sur le terrain, l’on a parfois recours aux services des matrones pour faire accoucher des parturientes, faute de sage-femme, d’infirmier ou d’ambulance pour le transfert des cas compliqués.

Pourtant, au chiffre de l’indice de développement, s’ajoute également celui du plus faible capital humain. Le capital humain est le niveau potentiel de performance qu’un système de formation est capable d’offrir aux citoyens d’un pays. En Côte d’Ivoire, ce chiffre est de 38% selon la Banque Mondiale. Dans le détail, ce chiffre décrit l’affaissement du système éducatif ivoirien, explique l’universitaire Mamadou Koulibaly pour qui « le système de formation, de santé, d’institutions qu’on a aujourd’hui, donnera des citoyens qui vont fonctionner à 38% de leur potentiel dans 18 ou 20 ans alors que la moyenne est de 40% en Afrique contre la moyenne des pays développés qui est de 71 à 75% du potentiel des citoyens ».

Cela dit, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne puisque la classe dirigeante forme généralement ses enfants dans les meilleures universités occidentales. Ce qui, à terme, devrait consolider l’ensemble des inégalités qu’on observe aujourd’hui dans le pays.