Secoué par une affaire de trafics de bébés qui touche les plus hautes sphères politiques, le Niger ressemble de plus en plus à un navire sans gouvernail. La surrenchère à laquelle se livrent le président Mahamadou Issoufou et son grand adversaire Hama Amadou réfugié à Paris plonge le pays dans un état de paranoïa servant de prétexte à la multiplication des dérives autoritaires. Le tout sur fond de corruption généralisée
Il ne manquait plus qu’un drame social de grande échelle pour compléter le sombre et triste portrait du Niger d’aujourd’hui. L’affaire de trafic de bébés dans laquelle seraient impliquées des familles de la haute société nigérienne marque un pas de plus dans la dégringolade d’une classe politique tombée bien bas.
Tragédie humaine
Accusé de complicité dans l’achat de jumeaux âgés aujourd’hui de deux ans au Nigéria, le président de l’Assemblée nationale Hama Amadou, véritable bête noire du régime, a pris la fuite le 27 août à travers le Burkina Faso et la Belgique jusqu’en France. L’affaire qui met aussi en cause un membre du régime, le ministre de l’agriculture Abdou Labo, met un coup de projecteur lugubre tant sur l’état de la société que sur les luttes intestines qui agitent le pouvoir nigérien. « Ces éléments aurait pu ne pas être rendus publics. Les auditions auraient du se tenir à huis clos » commente un fin connaisseur du pays. Mais l’occasion est trop belle pour le pouvoir qui cherche à tout prix à se débarrasser de Hama Amadou. De son côté, ce dernier accuse les autorités d’avoir projeté de l’assassiner. Un feuilleton accablant qui donne à voir un paysage politique sinistré, de la majorité à l’opposition.
Mais derrière son utilisation politique, le drame est humain. Mises en détention au début de l’affaire, les femmes des deux accusés auraient été victimes d’une escroquerie. Ne parvenant pas à tomber enceintes, un médecin nigérian leur aurait prescrit des médicaments provoquant les symptomes de la grossesse, avant de leur faire croire à un accouchement sous anesthésie générale. Cette tragédie humaine touche donc bien sûr les enfant et les femmes écrouées à qui on fait payer une double peine.
Etat mafieux
A cet épisode sinistre s’ajoutent bien d’autres maux. Pays le plus pauvre du Sahel, le Niger cumule les freins au développement. Les marchés informels et la dérive autoritaire du pouvoir plombent littéralement une économie déjà noyée sous les difficultés. Cet été, l’arrivée tardive des pluies dans les zones du nord et de l’est ont eu de graves répercussions sur le cheptel du pays estimé à environ 36 millions de têtes toutes espèces confondues, soit le plus élevé des pays de la sous-région. Dans l’urgence, les autorités nigériennes ont déployé des mesures comprenant notamment la distribution gratuite de vivres, le suivi sanitaire des animaux et la baisse des prix d’achat des céréales. Sur place, les éleveurs ont pourtant fait état d’importantes dérives de surfacturation. Plusieurs dénoncent notamment la vente de sacs de céréales trois à cinq fois plus cher que le prix subventionné. « La corruption gangrène l’ensemble du paysage économique et politique du Niger » note un fin connaisseur du pays. Il pointe surtout la complicité des élites politiques nigériennes et la présence de narcotrafiquants dans plusieurs domaines d’influence. Pour rappel et à titre d’exemple, Dounia TV, l’une des principales chaînes de télévision privée nigérienne dont la direction a été confiée l’an dernier au conseiller en communication du président est détenue à plus de 40% de son capital par Rissa Ali Mohamed, dit « Rimbo ». Le nom de cet influent homme d’affaires qui possède l’une des plus grandes sociétés de transport du pays, Rimbo Transport Voyageurs (RTV), est intimement lié aux réseaux de trafics de stupéfiants. Les bus qui sillonnent le territoire servent à transporter de la drogue parfois jusque dans les pays voisins desservis par la société. Le tout sans être inquiété.
Notre ami Issoufou
Côté français, on ferme les yeux sur les accrocs du régime de Mahamadou Issoufou, socialiste comme François Hollande. Le Niger reste un allié stratégique de la France au Sahel dans la lutte contre le terrorisme. Depuis décembre 2012, le pays accueille un pôle dédié au renseignement et sert de point de passage pour l’aviation militaire française. L’armée concentre particulièrement ses efforts de surveillance sur les mouvements entre le sud libyen, bastion djihadiste, et le nord Niger. 300 soldats français sont par ailleurs basés à Niamey. Le pays voit même son rôle stratégique renforcé avec le lancement cet été de l’opération Barkhane destinée à lutter contre le terrorisme dans la région. Pas question dès lors d’égratigner l’alliance sacrée. Face aux dérapages du pouvoir, Paris opte pour la politique de l’autruche. Lors de sa dernière visite à Niamey en juillet, ordre a été donné par la cellule Afrique de l’Elysée de ne rendre compte que des bons aspects de la rencontre et de dresser un tableau positif du pays. En coulisse pourtant, les choses étaient un peu plus tendues. Dans la matinée, un petit nombre de manifestants issus de la société civile ont tenté, sans succès, de se montrer sur le trajet du cortège pour protester contre « une recolonisation rampante de nos pays à travers le maintien et l’implantation de nouvelles bases militaires sous le fallacieux prétexte sécuritaire tant galvaudé et la lutte contre le terrorisme. » Plusieurs d’entre eux ont fait l’objet d’interpellations par les forces de police. L’activiste nigérien Ali Idrissa, connu pour son engagement en faveur d’accords équilibrés entre Areva et l’Etat du Niger a notamment été interrogé pendant plusieurs heures à deux reprises avant la visite de Hollande.
Une tentation autoritaire à laquelle le régime nigérien cède depuis un an, gagné par une véritable paranoïa du coup d’Etat. L’entrée dans l’opposition en août 2013 de Hama Amadou, le président de l’Assemblée nationale aujourd’hui en fuite à Paris soupçonné de comploter contre le régime a déclenché une véritable chasse aux sorcières. Après l’arrestation de syndicalistes et de journalistes soupçonnés d’être manipulés par l’opposition au début de l’année 2014, une quarantaine de membres du parti de Hama Amadou ont été arrêtés en mai dernier. Motif, « tentative préméditée de créer une campagne de terreur devant aboutir (…) à un putsch militaire » avait annoncé le ministre de l‘intérieur Hassoumi Messaoudou, cheville ouvrière de cette traque. De dangereux excès qui pourraient, à terme, avoir l’effet d’une prophétie autoréalisatrice. « Au niveau de l’armée, la mise à l’écart de nombreux officiers d’ethnie djerma que Hama Amadou, lui-même u peul de culture djerma, a choyé pendant des années ne fait qu’alimenter les tensions. La colère de ces militaires qui se sentent discriminés augmente dangereusement » explique un diplomate. Sur le plan économique, le durcissement de la conduite politique est également palpable. Contactée par Hama Amadou afin de renforcer sa sécurité personnelle dans le cadre d’un contrat passé avec l’Assemblée nationale, la société « Gadnet », spécialisée dans le gardiennage et les services de sécurité, a du renoncer à ses projets à la demande expresse du ministre de l’intérieur.
Face à ces débordements auxquels se surimposent les problèmes de corruption, François Hollande n’a émis qu’un très timide rappel à l’ordre au cours de la conférence de presse de sa dernière visite. Après avoir rappelé l’attachement de la France aux valeurs démocratiques, il a déclaré que « ces principes doivent être mise en oeuvre. La sécurité ne doit pas être un prétexte pour y déroger ». Un filet d’eau tiède.