Contrairement aux autres pays qui ont connu le souffle des révoltes populaires à l’automne-hiver 2010/2011, le Maroc se distingue par sa relative stabilité. On peut même émettre l’hypothèse que le chaos régnant actuellement en Syrie, au Yémen ou en Libye, avec son cortège d’horreurs, a objectivement fait le jeu du Palais royal. L’hiver arabe a sans doute dissuadé les forces protestataires marocaines de persister à manifester en nombre dans la rue, comme ce fut le cas en 2011 avec l’émergence du mouvement du 20 Février. Le succès des islamistes du PJD et la capacité de résistance des partis liés à la Monarchie lors des élections locales et régionales qui viennent d’avoir lieu le 4 septembre laissent espérer qu’un multipartisme, solidement encadré par le Palais, pourrait avoir néammoins une certaine réalité au Maroc.
En effet, la confusion sanglante dans laquelle se débattent ces différents pays de la région arabe amène les islamistes du Parti de la Justice et du Développement (PJD), à une plus grande responsabilité et retenue dans leur discours. Dans le passé, le PJD était autrement plus véhément contre le Makhzen et de ses hommes. Pour autant, le PJD n’a pas renoncé à son populisme. Comment pourrrait-il le faire dans un pays où le taux de chômage reste à plus de 9% pour une population active de 12 026 239 d’individus d’après les chiffres de la Banque mondiale.
Reste à expliquer, en pareilles circonstances, que le PJD, dont le secrétaire général Benkirane est chef de gouvernement depuis 2011, ait pu tirer son épingle du jeu à l’occasion des élections régionales et municipales de 2015? Et ce, en dépit d’un bilan législatif plus que mitigé ? Quels enseignements en tirer ?
Participation en légère baisse
À notre sens, il y a au moins trois enseignements généraux à retenir des résultats qui sont tombés samedi 5 septembre 2015 : premièrement, le taux de participation de 52, 36% aux communales a certes légèrement reflué par rapport à 2009 où il était alors à un peu plus de 54%, mais reste néanmoins suffisamment haut pour ne pas discréditer le scrutin, les formations politiques et le régime. Deuxièmement, le PJD, malgré un passage par le gouvernement qui aurait pu/dû entamer sa popularité compte tenu des difficultés socio-écononomiques et politiques auxquelles il a été confronté tout au long de son mandat, a au contraire fait la démonstration de son inscription solide dans le paysage politique national par un remarquable maillage urbain, puisqu’il a progressé dans les grandes villes telles que Rabat, Casablanca, Marrakech, Tanger, Tétouan, Agadir, Fès ou Kénitra ; il termine toutefois 3ème avec 15,94% des voix juste derrière le Parti Authenticité et Modernité (PAM), qui remporte 21, 12% des voix, et l’Istiqlal, qui engrange pour sa part 16, 22% des voix. Notons tout de même que c’est le seul parti islamiste du monde arabe, ne serait-ce qu’en comparaison avec Ennahda en Tunisie ou les Frères musulmans en Égypte, à avoir passé l’épreuve du pouvoir sans trop de heurts.
Des islamistes pris en sandwich
Troisièmement, tant le scrutin communal que le scrutin régional, où le PJD est cette fois arrivé en tête avec 25, 66% des voix devant le PAM (19, 47%) et l’Istiqlal (17, 55%), démontre la grande capacité de résilience du parti conservateur Istiqlal, apparemment inoxydable. Lequel réussit encore après des décennies d’existence de très bons scores. Le résultat du PAM, fondé en 2008 par l’actuel conseiller du roi Fouad Ali al-Himma, est lui aussi plus qu’honorable.
Sans aucune base sociale, le PAM, qui demeure essentiellement un parti d’élites, de par ses relais au sein des centres décisionnaires de l’État, est parvenu à renaître de ses cendres après avoir été mis en sommeil post 2011 où il était fortement décrié par la rue marocaine pour son clientélisme et son approche par trop sécuritaire. C’est pourquoi, il faut relativiser la percée du PJD qui demeure « encerclé » ou pris en sandwich par deux formations libérales-conservatrices très loyalistes à l’égard de la monarchie et, surtout violemment anti-islamistes.