L’élection présidentielle du 29 juillet prochain a créé une hantise pour beaucoup de Malien(ne)s. En témoignent les prises de position au niveau des sociétés civiles.
La marche programmée le 2 juin passé à Bamako par une partie de l’opposition, organisée au sein de la « coalition pour le changement et l’alternance », a été interdite par le pouvoir. Elle fut néanmoins maintenue et donna lieu à des affrontements avec les forces de police qui la dispersèrent à coups de matraques et de gaz lacrymogène. Plus d’une vingtaine de blessés, légers pour la plupart, furent traités dans les centres de santé, sans nécessiter aucune hospitalisation. Quatre candidats à la présidentielle, dont celui de la coalition, participèrent à la marche.
Une trentaine de candidats à la présidentielle
Une trentaine de candidatures sont annoncées pour l’instant, en attendant leur validation par la cour constitutionnelle. La suite de la répression de la marche donna lieu à une véritable guerre de communication et à de la surenchère, aggravant le stress des populations qui s’attendent désormais au pire. Le scénario ivoirien est dans tous les esprits, dans un pays traversé par des lignes de fractures multiples.
Les images de la marche diffusées par l’opposition ont prêté à confusion. Des douilles de cartouches d’armes de guerre ont été présentées pour corroborer des tirs à balles réelles par la sécurité du Premier Ministre. Ce dernier a aussitôt démenti l’information. Cependant aucun blessé par balle n’a fait l’objet de soins dans les centres de santé de la ville. Pourtant des images de blessés par balles ont été diffusées sur les réseaux sociaux. En fin de compte, cela semble être le résultat d’un montage d’images tirées d’une manifestation des populations contre les autorités locales à Yélimané, dans l’ouest du Mali, le 15 décembre 2017. La manifestation s’était soldée par un mort et six blessés par balles, suite à l’intervention de la gendarmerie.
Faux messages de l’Union Européenne et de la Minusma
Par ailleurs, de faux messages de sympathie voire de dénonciation de la répression policière avec en-tête de la MINUSMA et de l’Union Européenne ont été diffusés sur les réseaux, obligeant ces dernières à les démentir.
La demande de certification des résultats par l’ONU faite et reprise avec insistance par le candidat de la coalition pour le changement et l’alternance fut poliment rejetée par le Secrétaire Général de l’ONU, lors de sa dernière visite au Mali. Le souvenir du fiasco onusien et la guerre civile qui s’en est suivie, a laissé des traces profondes dans les esprits.
Dans la foulée, une autre marche fut annoncée pour le 8 juin. La stratégie de l’affrontement était désormais en marche. Devant les risques de dérapage, personnalités, chefferies traditionnelles, leaders religieux et organisations de la société civile se mobilisèrent pour prévenir les affrontements qui se dessinaient à l’horizon. Des partisans du pouvoir envisageaient de marcher aussi le même jour.
Le Haut Représentant de l’Union Africaine et le Chef de la MINUSMA s’employèrent également à calmer les esprits. De nombreuses rencontres eurent lieu. Finalement, un compromis fut trouvé. La marche fut autorisée et les manifestants s’engagèrent à éviter toute violence. Cependant lors des conférences de presse, suite à la marche, la guerre verbale reprit son cours. La fièvre ne semble pas être tombée.
Les candidats à la présidentielle issus des autres courants de l’opposition ont décliné pour la plupart, l’invitation à participer à la marche. Parmi eux, les propos les plus remarqués furent ceux de Moussa Mara, candidat du parti Yéléma, membre de la « convention des bâtisseurs », coalition formée par sept autres candidats à la présidentielle. Il a précisé son point de vue dans une interview. Selon lui, la marche n’avait pas lieu d’être, car n’avait été rapporté aucun fait de nature à compromettre la bonne organisation de l’élection. Et si c’était le cas, il invitait les marcheurs à le porter publiquement à la connaissance des autorités. Cela ferait l’objet d’une démarche collective de la part de toute l’opposition. Il a souligné aussi la volonté de certains opposants de vouloir instaurer le chaos dans le pays.
L’opposition veut en découdre
Pour d’autres, il apparait que la stratégie de la frange la plus radicale de l’opposition, consiste à en découdre coûte que coûte avec le pouvoir et à le pousser à la faute. Certains en son sein semblent déterminés à tout faire pour que les élections ne puissent pas se tenir à la date indiquée, ce qui obligerait à recourir à une transition pour rester dans le cadre de la constitution.
En cas de désordre prononcé, le recours à l’armée serait aussi une option envisagée. Certains opposants pensent y trouver leur compte, n’étant pas certains d’emporter la mise dans les conditions de déroulement normal des élections. En face, le pouvoir semble à court de stratégie. Visiblement, il parait avoir perdu l’initiative même s’il n’a pas dit son dernier mot. Il sait par expérience, que l’opposition est souvent vive dans la capitale, comme dans la plupart des pays africains, alors qu’elle est pratiquement inexistante dans les campagnes. C’est là que les pouvoirs africains font leur plein.
Par ailleurs, les réseaux sociaux entretiennent un bouillonnement loin des préoccupations de la grande majorité des électeurs sur le terrain. Pour la plupart d’entre eux, la connexion internet est un luxe qu’ils ne peuvent s’offrir.
Malgré tout, la rage de vaincre semble avoir gagné les esprits. Il parait de plus en plus certain que les résultats seront contestés, quel que soit le vainqueur.
Face à la montée des périls, des initiatives sont en cours. L’entrée en scène de certains secteurs de la société civile sera-t-elle de nature à enrayer la dynamique infernale de la course vers le chaos ?
Les semaines à venir seront décisives à cet effet.