Le Liban retient son souffle alors que le Hezbollah, au coeur du pouvoir libanais sous la présidence de Michel Aoun, devrait voir son candidat à la Présidentielle, Sleiman Frangié, distancé le mercredi 14 juin, par un adversaire, Jihad Azour, soutenu par l’ensemble du camp chrétien. Le mouvement pro iranien devrait décider alors, comme il l’a fait lors des onze derniers scrutins, de déserter le Parlement afin que l’absence du quorum interrompe le processus démocratique. On assiste en tout cas à une sévère confrontation entre le camp chrétien et le camp chiite qui laissera des fractures dans un Liban sous tension..
Dans un pays miné par l’immobilisme politique, les compromis communautaires, la corruption généralisée et la faillite de l’État, on devrait assister, ce mercredi 14 juin, à un sursaut démocratique inespéré. La principale leçon du scrutin présidentiel de mercredi, le douzième (!) depuis octobre dernier en raison du boycott des partis chiites, est que le cadavre de la démocratie libanaise bouge encore. Le Hezbollah connait un sérieux revers face aux élus du peuple libanais.
L’égo de Gebran Bassil.
Tout est parti d’un terrible crise d’égo de Gebran Bassil, patron du Courant Patriotique Libre (CPL) et candidat à la succession de son beau père, l’ex président Michel Aoun. En découvrant que le Hezbollah lui préférait Sleiman Frangié, chef d’un modeste clan chrétien du Nord Liban mais proche du régime syrien, le sang du patron du CLP ne fit qu’un tour. Non sans un talent indéniable de politicien, l’élu le plus arriviste de la classe politique libanaise qui en compte tant, sonna le rassemblement des forces chrétiennes, qu’il combattait pourtant ces dernières années.
La coalition hétéroclite née de cette ambition contrariée devait se regrouper autour d’un ancien ministre des Finances et haut cadre du FMI, Jihad Azour. Un hasard? Le propre frère de ce technocrate rassembleur, est le patron d’une entreprise de ramassage des ordures qui est au mieux avec Gebran Bassil. Comme le monde politique libanais est petit!
Tous unis derrière l’ancien ministre des finances, les forces chrétiennes contestent ouvertement le rôle central que le Hezbollah joue au coeur du pouvoir libanais, en jouant tour à tour de la peur qu’il inspire, des trafics qu’il organise, des alliances qu’il a noué lors des législatives ou encore de sa posture anti sioniste. « Les masques vont tomber ce mercredi », note le quotidien francophone « l’Orient le Jour ». Terminées, veut croire l’éditorialiste, « les tergiversations ». Place à » l’heure de vérité ». À voir !
Courage, fuyons !
La surprise, la voici: le candidat des deux grands mouvement chiites, Sleiman Frangié, devrait être distancé, peu ou prou, par son principal adversaire. Ce qui va immanquablement pousser le Hezbollah et ses alliés à déserter le Parlement après le premier tour de scrutin, du moins s’il a lieu, en privant l’assemblée du quorum des deux tiers des élus pour se rassembler. Ce qu’ils ont fait, sans le moindre états d’âme, lors des onze scrutins présidentiels précédents. Cette fois, le Hezbollah qui devrait voir son candidat battu, est remis à une place plus modeste sur l’échiquier politique.
Autrement dit, la volonté de diviser le camp chrétien qui a si bien réussi au mouvement chiite durant les années Aoun n’est plus d’actualité. Sous réserve que la classe politique libanaise ne brouille pas à nouveau les cartes et que le Courant Patriotique Libre (CPL) de l’ex Président Aoun ne retourne pas sa veste une fois de plus!
Détail savoureux, Gibran Bassil, qui est à l’origine de la recomposition politique actuelle, rencontrait pourtant , ces jours ci, l’ancien patron de « la Sureté » libanaise, le service du contre espionnage inféodé au Hezbollah. Quant à son beau père, l’ex Président Aoun, il se précipitait à Damas pour rassurer le Président Assad de toute son amitié, malgré la campagne de son gendre contre le candidat de la Syrie.
Chaque vote compte !
En cette veille d’un scrutin décisif, la seul vraie question est celle du score que va obtenir Jihad Azour au premier tour de l’élection (1). L’ancien ministre des Finances frôlera-t-il la majorité des suffrages, soit soixante cinq voix, en laissant le candidat du Hezbollah loin derrière? Ou bien les deux hommes, compte tenu des bulletins blancs et des votes pour des candidats improbables, seront-ils au coude à coude, avec un écart de dix voix ou moins? Autant d’interrogations essentielles pour fixer les grands choix politiques du Liban de demain
Dans le premier des scénarios favorable à Jihad Azour, le Hezbollah devra battre en retraite, boycotter le processus démocratique et porter la responsabilité peu glorieuse d’un nouveau report de l’élection. Dans le second des scénarios, le mouvement chiite peut encore prétendre rebondir dans les semaines qui viennent et partir à la recherche d’un candidat plus consensuel. Ne serait-ce que le patron de l’armée, le général Joseph Aoun, soutenu par les Qataris et les Américains, qui était donné pour favori voici quelques semaines encore. « Si le chef des armées, devenant Président de la République, est remplacé par un militaire proche du Hezbollah, commente un député libanais, les mouvements chiites pourraient rallier un compromis de ce genre ».
Les Sunnites sans leadership
Les voix qui vont le plus cruellement manquer au candidat anti Hezbollah sont celles des élus sunnites. Soit une petite trentaine sur les 128 que compte le Parlement libanais. Sans leadership depuis le retrait de Saad Hariri, fils du grand Rafik, leur leader naturel, les Sunnites libanais ne savent plus à quel Imam se vouer.
Rien qu’à Tripoli, la capitale du sunnisme au Liban, seul un député sur onze, le général Achraf Rifi, un ancien haut cadre des services qui a l’espoir de devenir Premier ministre, a affiché son soutien pour Jihad Azour. En revanche, ils sont cinq élus sunnites, tous plus ou moins fondamentalistes, à soutenir le candidat du Hezbollah derrière l’homme d’affaires Fayçal Karamé, héritier d’une grande famille sunnite de la ville, ministre de la jeunesse et des sports en 2011 et fédérateur des islamistes de tous poils.
Par ailleurs, les bouleversements régionaux qui ont vu la Syrie réintégrer la Ligue Arabe et le président Assad être reçu avec les honneurs en Arabie Séoudite ont contribué à déboussoler les Sunnites du Liban. Le prince héritier séoudien, qui aurait en d’autres temps combattu le candidat du Hezbollah, s’est tenu à l’écart de l’actuelle Présidentielle. Un président libanais, l’aumône faite à Damas, compte si peu face aux rêves de grandeur au Proche Orient. À tels point que son ambassadeur à Beyrouth, dit-on de bonne source, compte recevoir bientôt les élus du Hezbollah et n’a pas distribué, cette fois, quelques prébendes à ses obligés au Liban. « Quand les Séoudiens prennent un dossier au sérieux, ils paient, affirme un habitué de l’Ambassade de l’ArabieSaoudite. Ce qu’ils n’ont pas fait cette année pour la Présidentielle ». .
La menace de la violence
Si le Hezbollah ne parvenait pas à revenir au coeur du jeu politique libanais, il ne faudrait pas se réjouir trop tôt. Le mouvement chiite dont le logiciel n’a rien de démocratique pourrait être tenté de jouer la politique du pire, comme il l’a toujours fait ces dernières années. Qu’il s’agisse d’assassinats ciblés, d’embrasement de la rue ou de confrontation avec Israël.
Sauf que les parrains iranien et syrien du Hezbollah, à la recherche d’un compromis avec les Séoudiens, n’auront sans doute pas l’indulgence qu’ils ont montré dans le passé pour les fauteurs de trouble au Liban.
(1) Lors du premier tour de scrutin, tout candidat à la Présidence, qui peut se déclarer à tout moment du processus, doit obtenir deux tiers des voix pour être élu. Les scrutins suivants, il suffit de rallier la moitié des suffrages soit 65 voix. dans tous les cas, un quorum égal à deux tiers des parlementaires est nécessaire pour que les séances puissent se tenir
Les liaisons dangereuses du Hezbollah et de la Russie