Les prérogatives du président de la République, du chef du législatif et du Premier ministre sont au centre de vives polémiques. Sur fond d’un bras de fer communautaire
Michel TOUMA
Les Libanais ont appris à s’accoutumer au traditionnel régime de la douche écossaise. Les tractations, le plus souvent fiévreuses, qui se poursuivent depuis près de huit mois et qui portent sur la formation d’un nouveau gouvernement, lequel n’en finit plus d’être en gestation, donnent lieu depuis une dizaine de jours à des informations optimistes qui sont démenties le lendemain, pour être relancées quelques heures plus tard pour être démenties à nouveau le lendemain matin …
Ce bras de fer oppose le président de la République Michel Aoun et sa formation politique, le Courant patriotique libre (CPL) – conduit pas son gendre Gebrane Bassil –, d’une part, au Premier ministre désigné, Saad Hariri, soutenu par les principaux pôles de sa communauté sunnite, d’autre part.
En apparence, le différend entre les deux parties porte sur la répartition des portefeuilles et sur la nomination de certains ministres chrétiens. Les milieux de l’opposition affirment toutefois qu’il ne s’agit là que de la partie visible de l’iceberg. En réalité, selon ces sources, c’est le Hezbollah inféodé à l’Iran qui fait obstruction à la formation du nouveau gouvernement. L’agenda de cette formation politique est dicté par les pourparlers en cours à Vienne avec la communauté internationale. Le dossier nucléaire est au coeur de la négociation. Mais c’est surtout l’arsenal de l’Iran en missiles balistiques et la politique expansionniste des Gardiens de la Révolution iranienne (les Pasdarans) qui posent de sérieux probl§mes/.
Médiation du chef du législatif
Au cours des derniers jours, le président de la Chambre, Nabih Berry, a entrepris une médiation entre les deux camps. En début de semaine, un climat positif sur le résultat de cette médiation a filtré à la presse. Mais cet optimisme très relatif a été dissipé dans la journée de mardi, 15 juin, sur fond d’une véritable guerre de communiqués entre les trois pôles du pouvoir constitutionnel, le président Aoun, Nabih Berry et Saad Hariri.
Le chef de l’Etat accuse notamment le président de la Chambre de court-circuiter ses prérogatives prévues dans la formation du gouvernement tandis que M. Hariri accuse le président Aoun de vouloir rogner les prérogatives du Premier ministre désigné et de chercher à imposer de nouvelles pratiques institutionnelles dans la formation du gouvernement, en contradiction avec les termes de la Constitution. Les milieux de M. Hariri accusent, d’autre part, le président Aoun et son camp de vouloir l’évincer.
Guerre de communiqués
Au cours des dernières vingt-quatre heures, la tension est montée d’un cran entre le chef de l’Etat et le président de la Chambre, lequel a publié un communiqué soulignant que sur le plan strictement constitutionnel, le président de la République n’a pas son mot à dire dans le choix des ministres chrétiens. Le bureau de presse de Nabih Berry a d’autre part accusé le chef de l’Etat de vouloir pousser M. Hariri à la sortie, soulignant que le président de la République « n’a pas le droit » de manœuvrer pour obtenir la récusation du Premier ministre désigné du fait que ce dernier a été nommé par les députés.
En réponse à M. Berry, le bureau de presse de la présidence de la République a publié mercredi matin un communiqué dans lequel il accuse M. Berry de chercher à marginaliser le rôle du président, notamment en ce qui concerne le mécanisme de formation du gouvernement.
La tension entre les trois pôles du pouvoir a ainsi débordé du cadre des manœuvres politiciennes pour prendre la tournure d’un bras de fer, à caractère confessionnel, autour des prérogatives constitutionnelles et du rôle respectif des trois pôles du pouvoir qui représentent les trois principales communautés du pays (maronite, chiite et sunnite).
Pour l’heure la grande question qui se pose, ce mercredi 16 juin, est de savoir si M. Hariri finira par renoncer à former le gouvernement. S’adressant aux membres de son bloc parlementaire, il a souligné, mardi, qu’il ne se récusera que lorsque le président de la Chambre annoncera qu’il met fin à sa médiation. Une façon de faire de Nabih Berry le maître du jeu et le principal arbitre dans ce bras de fer qui paralyse le pays depuis de nombreux mois alors que la population est confrontée à la pire crise socio-économique et politique de son histoire contemporaine.