Le général à la retraite Khaled Nezzar, 81 ans, devrait comparaitre devant un tribunal suisse les 6 et 9 septembre, puis les 15 et 16 octobre prochain, pour être jugé pour crimes de guerre. Une chronique de Gilles Munier
En fuite en Espagne, Nezzar est théoriquement menacé d’extradition depuis que le Tribunal militaire de Blida a émis contre lui, le 6 août dernier, un mandat d’arrêt international pour « complot et atteinte à l’ordre public ». Mais, il n’a pas de raison de s’inquiéter car une accusation à caractère politique n’a aucune chance d’être enregistrée par Interpol, et de plus les pays de l’Union Européenne n’extradent pas les fugitifs risquant la peine de mort.
Tout laisse à penser qu’Ahmed Gaïd Salah, chef d’Etat-major de l’armée, s’est débarrassé du boulet Nezzar en le laissant filer à l’étranger. Ce dernier s’est transformé en général de série Z, plutôt ridicule, pour appeler à la sédition dans l’ANP sur You Tube. La vidéo l’assure d’encourir vraiment la peine de mort à Alger, mais surtoutd’acquérir plus rapidement le statut de réfugié politique en Espagne.
L’affaire Nezzar en Suisse (rappel)
Reconnaissant l’ancien ministre de la Défense Khaled Nezzar à la sortie d’une banque genevoise en octobre 2011, un Algérien porte immédiatement plainte pour l’avoir fait emprisonner arbitrairement et torturer entre 1992 et 1994, plainte aussitôt soutenue per Trial International, ONG qui lutte contre l’impunité des crimes de guerre.
Interpellé le 20 octobre à l’hôtel Beau rivage (300 à 500 euros le nuit), Nezzar est « entendu » par le Ministère public de la Confédération (MPC). Il est relâché le lendemain contre la promesse de répondre aux convocations qui lui seronnt adressées par la justice. Ou plutôt – selon des sources bien informées– grâce à une intervention expresse menaçante du régime Bouteflika.
Nota :
L’’ONG Trial International (Track Umpinity Always) appuie actuellement cinq citoyens algériens torturés entre 1990 et 1994. Elle accuse Khaled Nezzar – ancien ministre de la Défense puis membre du Haut Comité d’Etat (HCE), instance dirigeant le pays après le coup d’Etat contre le président Chadli Bendjedid – d’avoir « ordonné, autorisé et incité les agents de la fonction militaire et publique à exercer des actes de tortures, de commettre des meurtres, des exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées et autres actes constituant des violations graves du droit international humanitaire ».
Rentré en Algérie, Nezzar contre-attaque. Une pétition rédigée par l’un de ses proches, est lancée en décembre 2011 pour demander aux « pouvoirs publics algériens » d’intervenir pour mettre un terme à la procédure engagée par la justice helvétique.
En mai 2013, apparemment assuré de retourner en Algérie, Nezzar est auditionné par le juge d’instruction du Tribunal fédéral de Lausanne.. Il fanfaronne dans la salle d’audience en se présentant comme celui qui a sauvé le pays du «terrorisme islamique », alors que les accusations portées contre lui font état de tortures, d’exécutions sommaires et de disparitions. Le soutien bruyant d’une vingtaine de supporters venus d’Alger avec lui, installés dans un bar situé devant le tribunal, irrite le procureur.
En 2016, le nombre d’Algériens portant plainte contre Nezzar passe à cinq et les pressions du régime d’Alger sur Genève se font de plus en plus sentir. En mars, Muriel Berset Kohen, ambassadrice de Suisse à Alger – informe les procureurs chargés du dossier Nezzar que la poursuite de l’enquête est «une bombe à retardement en ce qui concerne les relations bilatérales» entre la Suisse et l’Algérie.
En 2017, Algérie Watch rapporte que le pouvoir algérien demande à la Suisse d’abandonner les poursuites contre Nezzar. A la manœuvre à l’époque : Saïd Bouteflika (Monsieur Frère) et Abdelmalek Sellal, Premier ministre. Tous deux sont aujourd’hui incarcérés sur ordre d’Ahmed Gaïd Salah.
En janvier 2018 : coup de théâtre ! Le général à la retraite pavoise : la baisse drastique des échanges commerciaux entre l’Algérie et la Suisse oblige le procureur fédéral à classer l’affaire, arguant qu’il n’y avait pas de conflit armé en Algérie entre 1992 et 1994.
Les victimes font évidemment appel.
Génocidaire présumé
Marc Bonnant, l’avocat de Nezzar, ne cache pas sa satisfaction, mais il craint tout de même que la décision soit cassée. Il a raison : le Tribunal Pénal Fédéral (TPF) annule le classement de l’affaire six mois plus tard et l’élargit même à la question de crime contre l’humanité.
Depuis, Hirak oblige, la justice suisse met les bouchées doubles pour juger Nezzar. Son avocat suisse Marc Bonnard, surnommé « le Mozart du barreau », le présentait comme le « héros du peuple algérien ». Il devrait lire les commentaires suscités par les tweets de son client et par son appel sur You Tube. Son client y fait figure de « génocidaire présumé »,et avec les généraux Toufik et Tartag, – anciens chefs de la police politique – d’homme parmi les plus haïs du peuple algérien.