Le Premier ministre libanais désigné Saad Hariri renonce à former un gouvernement, après neuf mois de tractations stériles, fave à l’intransigeance des amis du Président Aoun et à l’opposition du Hezbollah.
AAu terme de neuf (très) longs mois de négociations, de tractations, de polémiques, de marchandages, d’échanges d’accusations ou de conditions et contre-conditions, de démarches auprès de diverses capitales arabes et occidentales, dont notamment Paris, en vue de former un gouvernement au Liban, le Premier ministre libanais désigné, Saad Hariri – leader de la principale formation sunnite, le Courant du futur – a informé jeudi 15 juillet, en fin de journée, le président de la République Michel Aoun qu’il renonçait à former le gouvernement.
La veille, M. Hariri s’était rendu chez le président Aoun – à son retour d’une visite express au Caire – et avait remis au chef de l’Etat une dernière mouture de 24 ministres qui a été rejetée, jeudi, par le président. Le Premier ministre désigné devait annoncer aussitôt sa récusation, mettant fin ainsi à neuf mois de discussions stériles.
Hariri avait été chargé à la fin du mois d’octobre dernier de former un nouveau gouvernement après la démission du cabinet de Hassan Diab à la suite de l’explosion cataclysmique du 4 août 2020 au port de Beyrouth (plus de 200 morts, 6000 blessés et des quartiers du vieux Beyrouth chrétien dévastés).
Une première tentative de mettre sur pied une équipe ministérielle avait été entreprise par l’ambassadeur du Liban en Allemagne, Moustapha Adib, dans le sillage d’une initiative française lancée par le président Emmanuel Macron à Beyrouth même, le 1er septembre, en vue de placer le Liban sur la voie d’une sortie de crise.
Prisonnier des exigences formulées par certaines factions locales, en contradiction avec les termes de l’initiative française (axée sur la formation d’un gouvernement totalement indépendant des partis politiques) Moustapha Adib avait fini par jeter l’éponge à la fin du mois d’octobre. Saad Hariri avait aussitôt été chargé par le président Aoun de prendre la relève. Un long chemin de croix débuta pour le nouveau Premier ministre désigné. Et pour cause : le chef de l’Etat ne cachait pas son opposition à cette désignation qui lui avait été imposée par la majorité parlementaire contrôlée par le Hezbollah pro-iranien.
Les médiations locales et étrangères entreprises à plusieurs occasions, tout au long de ces neufs mois, afin de dégager un terrain d’entente sur une formule ministérielle entre le président Aoun et le Premier ministre désigné ont toutes fait choux-blanc.
Gebrane Bassil, la cause du blocage
En apparence, le différend entre les deux hommes portait sur une lutte d’influence entre leur camp politique respectif (le Courant du Futur de M. Hariri et le Courant patriotique libre du gendre du président, Gebrane Bassil), avec pour toile de fond des divergences portant sur les prérogatives du président de la République au niveau du processus de formation du gouvernement.
Le blocage était surtout dû, selon les sources de l’opposition, à la volonté du Hezbollah (principal instrument des Pasdarans iraniens au Liban) de geler la formation du gouvernement, et donc la sortie de crise sur base de l’initiative française, dans l’attente que se décantent les pourparlers de Vienne entre l’Iran et la communauté internationale.
Cette manœuvre obstructionniste du parti chiite pro-iranien a été implicitement confirmée par Saad Hariri dans une interview télévisée, quelques heures après l’annonce de sa récusation. Il a ainsi relevé d’une manière à peine voilée que le Hezbollah n’avait pas suffisamment usé de son influence afin d’amener le camp du président à faire preuve de plus de souplesse dans la mise sur pied de l’équipe ministérielle. M. Hariri a accusé sur ce plan le chef de l’Etat d’avoir voulu imposer un cabinet taillé à sa mesure tandis que le président affirme de son côté que le Premier ministre désigné chercait à marginaliser son rôle dans le processus de formation du gouvernement.
Le saut dans l’inconnu
Cette récusation de Saad Hariri constitue pour le Liban un nouveau saut dans l’inconnu du fait qu’elle intervient dans un climat de tension sociale et économique extrême due à l’effondrement qui s’accélère à tous les niveaux dans le pays. Dès l’annonce de la décision du Premier ministre désigné de jeter l’éponge, les partisans du Courant du futur ont envahi les principaux quartiers et secteurs sunnites où ils ont bloqué la circulation jusqu’à une heure avancée de la soirée, ce qui a provoqué des échauffourées avec l’armée et les forces de l’ordre.
Pour l’heure, le chef de l’Etat doit convoquer les groupes parlementaires à des consultations (contraignantes, comme le prévoit la Constitution) afin de désigner un nouveau Premier ministre. Le choix de cette personnalité risque de poser problème dans la conjoncture actuelle marquée, d’une part, par le conflit qui oppose l’Iran à l’Arabie saoudite et aux pays du Golfe, et d’autre part par les négociations de Vienne sur le nucléaire iranien. Il s’agit dans un tel contexte de désigner un chef de gouvernement qui bénéficie d’une assise et d’une légitimité sunnites, alors que le Hezbollah cherchera sans doute à imposer une personnalité de son choix, laquelle risquerait auquel cas d’être rejetée par la rue sunnite.
L’une des solutions qui pourrait être envisagée serait de renflouer le gouvernement démissionnaire de Hassan Diab dans le but d’organiser les prochaines élections législatives, prévues en mai prochain. Cela signifierait toutefois que l’adoption de réformes structurelles réclamées par les pays occidentaux afin de débloquer l’aide économique au Liban serait renvoyée à l’année prochaine, avec comme conséquence inéluctable une détérioration encore plus grave des conditions de vie de la population libanaise.