Alors que le régime promeut sa reconquête du territoire face aux insurgés jihadistes, les pertes militaires se multiplient. L’attaque d’un convoi de ravitaillement le 8 août aurait fait au moins 150 morts.
Depuis le deuxième coup d’Etat du 30 septembre 2022 qui a porté le capitaine Ibrahim Traoré au pouvoir, le Burkina Faso sombre dans le chaos lentement mais sûrement. D’exécutions sommaires contre les populations civiles en disparitions forcées, de violations contre la liberté de la presse en menaces contre les opposants, le pays des hommes intègres porte désormais bien mal son nom.
Le 25 avril 2024, l’ONG Human Rights Watch (HRW) a publié un rapport accablant envers l’armée burkinabé. Les militaires sont accusés d’avoir, le 25 février 2024, exécutés sommairement 223 personnes hommes, femmes, enfants dans les villages de Nondin et Soro situés dans la province du Yatenga dans le nord du pays. Aussi terrible soit-il, ce massacre de civils par des forces de défense et de sécurité et leurs supplétifs n’est pas une première dans ce pays, il fait suite à de nombreux autres.
Le massacre de trop
Depuis l’arrivée d’Ibrahim Traoré, ces tueries se sont multipliées et leurs bilans sont de plus en plus importants. Le scénario macabre suit toujours le même mode opératoire : les djihadistes attaquent un camp de l’armée, ensuite les militaires débarquent dans le village le plus proche et se vengent contre la population, l’accusant de ne pas les avoir prévenus et de soutenir les terroristes. Puis ils s’en vont ne laissant derrière eux qu’un champ de ruines et de désolation. Les quelques survivants errent sans savoir à quel saint se vouer, ils savent qu’il n’y aura pas de justice, jamais ces crimes n’ont été punis.
Lors des précédentes tragédies, comme celles de Zaongo ou de Nouna, les condamnations internationales ont été très molles demandant, sans insistance et sans y croire vraiment des enquêtes internationales. Mais cette fois, deux jours après la parution du rapport de HRW, les Etats-Unis et le Royaume Uni ont publié un communiqué conjoint faisant part de leurs « graves préoccupations » et appelant au « respect du droit humanitaire ». Sur le fond, cette déclaration n’aura que peu d’impact, sur la forme en revanche, sa rapidité et le fait que cette déclaration soit conjointe, est un signal clair envoyé au jeune chef de la junte burkinabè. La France se tait, compte tenu du climat ambiant, une condamnation de sa part eut été contreproductive, d’autant que quatre agents de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), accusés d’espionnage sont toujours retenus à Ouagadougou depuis le 1er décembre 2023.
La presse libre, une relique du passé…
Dans ce même texte, ces deux Etats déplorent la suspension des médias tels que la Voix de l’Amérique la BBC, le Monde et TV5. L’année dernière, RFI et France 24 avaient subi le même sort, ce qui n’était alors qu’une suspension provisoire, c’est pérennisé. Plus grave encore : le sort des journalistes burkinabè. Ils sont menacés, convoqués par la police, emprisonnés quelques jours dans le but de les intimider. Ceux qui écrivent encore des articles au vitriol contre le « tyran », comme Newton Hamed Barry œuvrent depuis leur exil. D’autres choisissent l’anonymat, comme celui qui a choisi de se cacher derrière le nom de plume d’Henri Segbo, le célèbre pseudonyme du journaliste Norbert Zongo assassiné en 1998. Ce dernier qui crache ses vérités au visage du pouvoir est la bête noire de la junte qui n’a toujours pas réussi à l’identifier.
Pas un jour ne passe sans qu’une personnalité ne fasse l’objet de menaces. En janvier, c’était le célèbre avocat maître Kam, enlevé dans la nuit par des hommes en civil armés, réapparu quelques jours plus tard… en prison, puis finalement relâché après une fronde des magistrats. Dernièrement, c’est l’enseignant-chercheur, Moussa Diallo également secrétaire général du syndicat CGT-B qui a, à son tour, subi les foudres du capitaine-président. Après avoir fait l’objet d’une tentative d’enlèvement raté, il a fini par être licencié en conseil des ministres le 25 avril ! Et la liste est longue…
Masquer les défaites
Ibrahim Traoré avait promis de ramener la sécurité sur tout le territoire en deux mois, il a échoué, les attaques djihadistes sont de plus en plus nombreuses et au lieu de regagner du terrain, il en a perdu. Dans son dernier discours, le 26 avril, il a refusé néanmoins de reconnaître les évidences, déclarant avec son emphase habituelle qu’il « se préparait à un conflit de haute intensité », mais contre qui ? Depuis 2015, le Burkina Faso ne se bat pas contre une armée d’un autre Etat, mais livre un combat asymétrique contre des groupes armés non-étatiques. Alors que tous les indicateurs sont au rouge, il a également assuré « préparer l’après-guerre » ! Plus la junte perd sur le terrain sécuritaire, plus le régime se cabre. Non seulement, il multiplie les exactions contre les populations et les mesures liberticides mais il tente de masquer ses échecs par des diversions. Dans ce même discours, il a accusé la Côte d’Ivoire d’héberger « tous les déstabilisateurs du Burkina ».
Autres types d’exutoires : les déclarations surréalistes sur l’avenir économique radieux du pays, avec ici la création d’une centrale nucléaire en coopération avec la Russie, là, le remboursement total de la dette intérieure, ou encore l’industrialisation massive du pays. Pour rappel, selon les Nations Unies, 15% de la population se trouve en insécurité alimentaire aigüe et cet Etat compte 2 millions de déplacés internes. La folie des grandeurs ajoutée au déni, à l’autoritarisme et à la violence rappellent les heures les plus sombres.
Le népotisme à l’oeuvre
Il se dit héritier de Thomas Sankara, lève le poing gauche et psalmodie quelques slogans révolutionnaires. Les panafricanistes nostalgiques du grand leader burkinabè l’ont vite reconnu comme tel. Et pourtant, inutile de gratter longtemps pour se rendre compte non pas des différences mais des contradictions profondes entre les deux hommes. La conception du pouvoir de Thomas Sankara n’a rien à voir avec celle du capitaine Ibrahim Traoré, dit IB. Le premier a refusé d’associer les siens à la gestion du pouvoir. Le second ne fait que ça.
Autour d’IB, dans l’ancienne bâtisse coloniale au quartier Koulouba de Ouagadougou qui fut longtemps le siège de l’autorité – jusqu’à la construction, début 2000, de l’immense et moderne palais de Kosyam – c’est la famille qui règne.
L’aîné, Inoussa Traoré, a été dès l’accession au pouvoir de son frère nommé « Haut Représentant » du Président, un poste non prévu officiellement mais qui fait de son titulaire un vice-président de fait, avec des rôles officiels désormais connus. Le frère cadet Kassoum Traoré n’a, lui, officiellement, aucune fonction.
Son petit bureau attenant à celui du Président ne désemplit pas. Sankara doit se retourner dans sa tombe
La revue de presse de Navarro sur le pouvoir chancelant d’Ibrahim Traoré