L’Algérie, ce système qui n’a pas besoin d’opposition

Dans sa ”chronique du blédard” publiée par le Quotidien d’Oran, le journaliste Akram Belkaïd dénonce l’autocensure de l’opposition algérienne et les réticences à s’élever contre le régime

UnknownDonc, la règle est claire – et elle l’est effectivement depuis longtemps. Personne n’a le droit de manifester contre le pouvoir algérien. L’opposition ? Ça n’existe pas, ou plutôt ça ne doit pas exister. Pourquoi le devrait-elle d’ailleurs ? Le pays va bien. Très bien même. L’Algérie est au top de tous les classements internationaux. C’est la meilleure économie du monde, c’est du moins ce qu’en disent les experts respectifs du Fonds monétaire international (FMI), de l’Unesco, du Forum économique mondial, des principales organisations altermondialistes, d’Amnesty International, de Reporters sans frontières et de tutti quanti. Elle fait partie des BRIC, les fameux leaders émergents qu’elle surclasse aisément en matière de performances macro, micro et tactico-tactiques

De plus, comme ne cesse de l’écrire le Nobel Joseph Stiglitz, Alger est l’archétype de la place financière du XXIème siècle avec sa Bourse aux milliers de valeurs cotées qui attirent les fonds d’investissement du monde entier. Un « hub » bancaire ultraperformant où le souvenir de l’époque où il était impossible de payer par chèque fait désormais beaucoup rire. Le système de santé algérien est cité en exemple à chaque grande messe internationale de même que celui de l’éducation dont ne cessent de s’inspirer les dirigeants de l’Ivy league étasunienne. Et que dire des infrastructures… Des lignes ferroviaires à grande vitesse, des barrages ultra-modernes, des centrales solaires au top de la technologie, de grandes centres de recherche et, last but not least, une agriculture à la fois innovante et respectueuse de l’environnement. Pour l’Afrique, l’Algérie est ainsi l’exemple à suivre en matière de sécurité alimentaire et, là aussi, le temps où elle faisait partie des pays les plus vulnérables en raison de leur dépendance aux céréaliers étrangers, et bel et bien révolu.

Omerta

Que l’on pardonne au présent chroniqueur ce préambule ironique. Il a été écrit à dessein pour que certains de ses lecteur, pas tous, prennent conscience de ce drôle de sentiment ambigu qu’ils viennent d’éprouver. Le constat, le vrai, c’est-à-dire l’accablant, à propos de l’Algérie, ils le partagent avec des milliers, pour ne pas dire des millions de compatriotes. Oui mais voilà, la fierté est toujours là, cette brave fifille d’un nationalisme ombrageux qui nous tenaille – notez bien que j’écris « nous » – jusqu’à la moelle des os et qui fait aussi que le pouvoir a beau jeu de ridiculiser la moindre critique à son égard. De fait, il y a une question que l’on doit nécessairement se poser après la contestation empêchée dans les rues de la capitale le 24 février dernier. Ce qui prime, ce n’est pas de savoir pourquoi la manifestation a été contrée par les forces de l’ordre et par les orchestres folkloriques qui ont sillonné la ville pour soit disant célébrer l’anniversaire de la nationalisation des hydrocarbures (nationalisation qui, rappelons-le au passage, a subi quelques liftings depuis et qui a même failli appartenir au passé avec la fameuse réforme avortée in extremis des années 2000). Non, ce qui est important c’est de comprendre pourquoi un régime politique avec un tel bilan catastrophique, et cela quel que soit le thème examiné, est finalement si peu contesté.

On parlera de l’effet rémanent de la décennie noire (c’est comme si, en 1977, on ne parlait encore que de la Guerre d’indépendance…). On évoquera l’effet insidieux de la rente plus ou moins (et plutôt mal) redistribuée. Mais on dira surtout qu’Alger n’est pas l’Algérie, que c’est une vitrine tenue d’une main de fer quand, dans le reste de pays, jacqueries et colères spontanées peuvent éclater à tout moment. On rappellera aussi que la colère au sud du pays contre cette insanité que sont les gaz de schiste montre que la résignation n’est pas de mise partout. Pour autant, il faut bien reconnaître l’existence d’une vraie réticence à s’élever contre le système. Ah ce système, on ne l’aime pas mais on a bien du mal à accepter que le critiquer dans la rue n’équivaut en rien à un acte de trahison nationale ou à une action au profit objectif de la fameuse main de l’étranger. On ne l’aime pas ce système, mais on agit comme si on faisait sien son échec et, du coup, tout discours semblable au liminaire de cette chronique est vécu comme une attaque personnelle qui fait oublier toute raison et objectivité.

Silence, on réprime

Il y a quelques temps déjà, dans mon blog, je me suis étonné de la vigueur des réactions outragées des Algériens à une (mauvaise) plaisanterie du président François Hollande à propos de leur pays. Je relevais que tout cela me paraissait disproportionné et que j’aurais aimé assister à de telles colères concernant des choses bien plus sérieuses. Que n’ai-je pas écrit… Des amis qui décident de rompre tout contact, des insultes sur les réseaux sociaux… Et ce genre de schizophrénie perdure. La question de l’exploitation des gaz de schiste devrait mobiliser des millions d’Algériens préoccupés par le sort des futures générations et convaincus que les ressources aquifères du Sahara sont un atout fondamental pour l’avenir. A la place, ça crie et ça tempête, à partir de son clavier, parce que Roger Hanin a été enterré à Alger, conformément à ses dernières volontés…

On accuse souvent l’opposition algérienne de ne pas être à la hauteur des enjeux. Mais encore faudrait-il que le fait de se regrouper à quelques-uns dans la rue ne soit plus considéré comme un délit. Encore faudrait-il que cette jeunesse militante – l’une des grandes satisfactions du moment et un espoir pour le pays – ne soit pas brimée comme elle l’est et, surtout, abandonnée à son sort par les plus anciens. On le sait, le système et sa clientèle ne lâcheront pas l’affaire facilement. C’est une question de survie pour eux. Mais ce n’est pas une raison pour leur faciliter la tâche. Sauf si, et c’est une explication qui n’est pas à négliger, les uns et les autres y trouvent finalement leurs petits et grands comptes et cela au-delà de leurs sempiternelles récriminations.